Dix ans. Déjà. Voilà aujourd’hui une décennie que Marco Pantani nous a quittés dans des conditions qui restent encore aujourd’hui plus que floues, retrouvé mort un 14 février 2004 des suites d’une overdose dans un hôtel miteux d’Emilie-Romagne. Une tragédie qui fait partie intégrante du mythe du Pirate, resté intact encore aujourd’hui. Un peu à l’image des rockstars Jimi Hendrix, Jim Morrison, Kurt Cobain, ou de l’acteur James Dean, tous fauchés à la fleur de l’âge. « Non, mais vraiment qu’est-ce qu’il t’a pris d’aller mourir à Rimini », chantait Didier Wampas dans une chanson hommage à l’Elefantino. Car la mort de Pantani est sans doute à la hauteur de son talent et de ses exploits : hors-norme.
Le Pirate laisse encore aujourd’hui cette image d’un grimpeur romantique, sensible à fleur de peau… et maudit. « Il a mal fini sa carrière et sa vie, commente Mauro Gianetti, qui l’a côtoyé durant sa carrière sans avoir couru sous le même maillot. Mais tout le monde, ou du moins la plupart des gens, comprend que c’était quelque chose de presque inévitable. Il avait une aura folle, tout le monde l’adorait, mais cette dimension était insupportable pour lui. »
On a tout dit ou presque sur le coureur. Grimpeur de talent dans une époque trouble. Bien sûr, le dopage fait partie intégrante de la carrière de Pantani. Mais il n’empêche que ses chevauchées restent dans l’histoire, et notamment celle de cette célèbre étape des 2 Alpes en 1998 lorsque, sous la pluie glaciale, il renverse Jan Ullrich pour remporter son premier et unique Tour de France. « C’est une personne qu’on ne pouvait pas ne pas aimer, résume Mauro Gianetti. Sa classe, son aisance dans la montagne, c’était extraordinaire. Tous ceux qui aiment le vélo ne peuvent pas oublier ce qu’il a fait. » « Cela fait dix ans qu’il est mort, mais il vit encore dans le cœur des tifosi », affirme pour sa part Damiano Cunego, vainqueur du Giro l’année de la mort de l’Elefantino.
Du coureur, on connaît chaque ligne de son palmarès. Une 2ème place sur le Tour d’Italie en 1994, derrière Evgueni Berzin mais devant Miguel Indurain, le révèle au grand public. La même année, sur le Tour, il monte sur la troisième marche du podium, malgré la présence de Claudio Chiappucci dans son équipe Carrera. Après une année 1995 sans relief, il se fracture la jambe sur Milan-Turin et est écarté des pelotons pendant de longs mois. 1997 marque son retour au plus haut niveau, bien qu’il soit trop juste pour disputer la victoire du Tour à Jan Ullrich. C’est alors que le Pirate connaît son année de gloire en 1998, et réalise le doublé Giro-Tour que personne n’est parvenu à réaliser depuis.
Mais il est écrit que Pantani ne connaîtra pas une carrière comme tout le monde. Alors qu’il est sur le point de remporter son deuxième Giro en 1999, l’Italien est mis hors course à deux jours de l’arrivée finale. Après ce coup de tonnerre, le Pirate ne sera jamais plus le même coureur. Il vivra trois saisons difficiles marquées par quelques coups d’éclat comme au Ventoux ou à Courchevel lorsqu’il fait craquer Lance Armstrong dans Joux Plane.
« Je me souviens de son Giro 2003, le dernier auquel il ait participé, se remémore Damiano Cunego. Je me souviens notamment de l’étape de Cascata del Toce où il a attaqué pour la dernière fois. J’y étais. C’était un athlète extrêmement fort. Simple et très humble. Pour moi, il a toujours été un exemple à suivre. Dans les catégories de jeunes, je me suis beaucoup inspiré de lui. Notamment sur son style. Ce qui m’a marqué, c’est qu’il avait toujours les mains en bas du guidon dans les cols. »
Mais derrière ce coureur à la classe folle, se cachait quelqu’un de très fragile. « C’était une bonne personne, un coureur très fort, mais avec une faiblesse psychologique très marquée, confirme Mauro Gianetti. Personne n’a compris l’amplitude de sa faiblesse. Personne n’a su interpréter les signaux de difficulté qu’il émettait tout en regardant simplement ses performances extraordinaires en tant que coureur. Dans le peloton, ce n’était pas un mec qui parlait avec tout le monde. Non pas parce qu’il n’avait pas envie, au contraire. Il était extrêmement timide. Le coureur avait une très grande dimension, et il n’était pas facile de l’approcher. C’était l’époque des premiers bus et il se cachait. Il sortait au dernier moment. Si tu n’étais pas dans la même équipe, c’était dur de parler avec lui. »
Comment expliquer qu’un tel champion ait connu tant de difficultés à vivre avec son époque ? « Je pense qu’il avait peur de sa dimension, avance Mauro Gianetti. Elle était tellement grande qu’il n’arrivait pas à la supporter. Pendant un moment, le personnage du Pirate l’a aidé à supporter ce poids. Mais à un moment, ce n’était plus suffisant. Il avait divisé l’homme, le coureur et le Pirate. Peut-être ne l’a-t-on pas aidé. Peut-être n’a-t-il pas voulu se faire aider. Mais en tout cas, il était obligé de se cacher derrière le masque du Pirate pour être lui-même. C’était presque un jeu pour lui : c’est le Pirate qui était mis en avant, qui faisait ces exploits. C’est ce qui crée cette dimension extraordinaire. C’est pour cette raison que l’on parle de sa mort dix ans après et qu’on en parlera encore longtemps. »