Chris, on imagine que vous êtes soulagé d’être à Majorque comme coureur professionnel après être longtemps resté sans équipe cet hiver…
Pour moi, l’hiver n’a pas été difficile. Je me suis toujours entraîné de la même façon. J’étais très concentré, même si j’étais à la recherche d’une équipe. Je devais simplement continuer à m’entraîner. Clairement, quand le manager de Lampre-Merida Brent Copeland a parlé à mon agent, il lui a dit que je l’intéressais. C’est à ce moment que j’ai commencé à discuter avec l’encadrement. Mais avant cela, je me contentais de m’entraîner et d’essayer de garder le moral. En décembre, ce n’était pas un problème, mais quand je me suis retrouvé la première semaine de janvier sans équipe, je me suis dit : « peut-être que je n’en retrouverai pas ». En entamant les discussions avec Brent, je savais qu’il y avait de bonnes chances que je rejoigne Lampre-Merida. J’ai fait ma rentrée à Majorque. J’y étais déjà venu avec RadioShack alors je connais bien l’île. C’est toujours sympa de revenir à un endroit que tu as déjà fréquenté, car tu connais déjà les routes. Mais je n’avais pas recouru à Majorque depuis 1997-1998. Depuis longtemps (en français).
Comment se sont déroulées les négociations ?
En fait, c’est Baden Cooke, mon agent, qui est allé voir Lampre en disant que j’étais toujours disponible. Beaucoup de gens pensaient que je serais retourné avec Trek Factory Racing. RadioShack se terminait, Trek, un sponsor américain, reprenait le flambeau… Lampre, comme beaucoup d’équipes européennes, pensait donc que j’allais continuer avec un sponsor américain.
Justement, pourquoi ne pas avoir continué l’aventure avec Trek ?
Je ne sais pas si ce sont des questions de salaire, ou s’ils n’avaient pas confiance en moi vu mon âge. C’est possible qu’ils voulaient déjà se concentrer sur les classiques avec Fabian Cancellara. Mais pour vous répondre très franchement, je n’en sais rien. Avant ma victoire au Tour d’Espagne, j’ai eu quelques problèmes de genou. Peut-être que l’équipe ne voulait pas me faire signer à cause de cela. Après la Vuelta, ils étaient peut-être intéressés, mais peut-être que l’argent était déjà dépensé. Je n’en sais rien.
Ces problèmes au genou sont-ils derrière vous ?
Oui, c’est terminé. Je me suis fait opérer en mai. Quand le problème est survenu, nous avons essayé différentes choses pour guérir. Finalement, après deux mois, on s’est rendu compte qu’il s’agissait d’un problème plus sérieux. J’ai donc subi une courte intervention pour nettoyer le genou en espérant que cela soit guéri. Cette fois, c’était bon.
Il y a eu beaucoup de rumeurs concernant votre nouvelle équipe. On a entendu parler de Yellow Fluo ou même de Christina Watches…
(Il hésite) Oui, bien sûr, il y a eu des discussions. Mon agent a parlé à toutes les équipes. En priorité, nous avons discuté avec les formations du WorldTour, c’est là que je voulais aller. Puis vous parlez aux équipes Continentales Pros. Et enfin vous discutez avec les autres qui ont le budget. La presse a dit que j’ai discuté avec l’équipe A, puis l’équipe B. J’ai parlé avec les équipes A à Z ! Toutes les équipes. C’était le travail de mon agent : discuter avec les équipes et voir quelle serait la meilleure solution. Je ne sais pas si nous étions proches de signer… En fait, je ne peux même pas dire que nous n’avons pas été proches de signer avec Christina Watches. S’ils m’avaient dit : « nous avons ce super programme de courses en Europe, ce super salaire, tu seras le leader au Tour de Catalogne, au Tour du Pays Basque et nous irons au Tour d’Espagne parce que tu es le vainqueur », nous aurions pu signer du jour au lendemain. Mais c’est valable pour toutes les équipes avec qui j’ai été en contact. Si une formation m’avait offert le salaire que je demandais, et le programme de courses que je voulais, j’aurais signé. C’est la même chose pour toutes les équipes.
Entre temps, vous avez changé d’agent, pourquoi ?
Fin décembre, j’ai discuté avec Baden Cooke, avec qui j’ai été coéquipier chez Mercury avant d’arriver en Europe. Bien sûr, à ce moment, je n’avais pas de contrat. Cela faisait des années que je travaillais avec mon ancien agent, depuis le début de ma carrière pratiquement. J’adore ce gars et j’ai beaucoup de respect pour lui. Je n’avais simplement pas de travail. J’ai alors dit à Baden : « si tu me trouves une équipe, tu es mon agent ». Baden m’a trouvé une équipe, il est devenu mon agent.
Parlons de la saison 2014. Quels seront vos principaux objectifs ?
Je suis dans une équipe italienne, donc ce sera le Giro et ensuite le Tour d’Espagne. J’aimerais avoir de bonnes jambes à Tirreno-Adriatico, au Tour de Catalogne et au Tour du Pays Basque. Quand tu es bien sur ces trois courses, tu es rassuré. Tu abordes le Giro à 100 %.
La victoire vous paraît-elle accessible ?
Si je peux gagner ? Bien sûr ! Vais-je gagner ? C’est différent. À chaque Grand Tour, le problème vient de la première semaine. Clairement, le Giro cette année va être très différent de la Vuelta que j’ai gagnée. En Espagne, il y avait de la montagne dès le deuxième jour. Pour le Tour d’Italie, les premiers jours en Irlande s’annoncent très difficiles avant d’arriver en montagne. C’est ce qui change tout. L’équipe s’attend à ce que je sois fort. Il y a aussi Przemyslaw Niemiec qui est un coureur fabuleux. Nous serons tous les deux protégés. Si l’équipe parvient à nous protéger jusqu’à la montagne, il n’y aura pas de problème (il rit). Le deuxième problème sera le contre-la-montre, et le troisième, les adversaires. Mais le premier, ce sera l’Irlande. Les adversaires, ce ne sont pas eux qui m’inquiètent en priorité.
Êtes-vous certain de pouvoir défendre vos chances sur la Vuelta avec un premier Grand Tour dans les jambes ?
Je n’en ai absolument pas peur ! Les deux courses sont très éloignées l’une de l’autre. Il est facile de faire le Giro, récupérer pendant deux ou trois semaines et reprendre l’entraînement pour la Vuelta. On l’a vu l’an dernier avec Vincenzo Nibali. On ne termine pas 2ème d’un Grand Tour sans être en forme. Ni faire le Championnat du Monde qu’il a fait. Clairement, même s’il n’a pas gagné, il était le plus fort au Mondial… après ma chute (il rit) ! En revanche, le plus malin, c’était Rui-Alberto Faria Da Costa.
Vous avez fait partie de la Française des Jeux aux débuts de l’équipe en 1997. Continuez-vous à suivre les résultats de la jeune génération ?
Ça a toujours été une équipe jeune. Du moins, Marc Madiot l’a transformé comme cela. Car quand je suis arrivé, il y avait de grands coureurs. Stéphane Heulot était un coureur exceptionnel. Il y avait aussi Davide Rebellin, Max Sciandri, Mauro Gianetti. Je crois que nous avons gagné trois Coupes du Monde lors de la première année. Marc Madiot essaye de révéler les jeunes talents et les rendre meilleurs. Je me rappelle l’avoir vu l’an dernier. J’en ai profité pour le remercier de m’avoir donné l’opportunité de courir en Europe. Alain Gallopin est celui qui m’a détecté, Madiot celui qui m’a fait signer. Ça a été une belle expérience de venir des États-Unis. À l’époque, il n’y avait pas de téléphones portables ! C’était une transition difficile. Et puis ce n’était pas évident d’apprendre une nouvelle langue. Mais j’ai bien aimé cette expérience, même si c’était difficile. J’étais un peu plus lourd à cette époque, même un peu gros, mais c’était le mal du pays (il rit).
Selon vous, jusqu’à quel âge peut-on gagner un Grand Tour ?
Je ne sais pas. Bien sûr, tout le monde pensait que la limite c’était 35 ans. L’an dernier, j’ai gagné à 41 ans. Je me pose parfois cette question. Miguel Indurain, par exemple, était-il fini ou n’avait-il plus l’envie de continuer en 1996 ? Il a perdu un Tour de France et a dit qu’il arrêtait. Mais il a gagné cinq Tours de France. Peut-être ne voulait-il pas en gagner un sixième. Me concernant, je sais que cette année, les jambes sont aussi bonnes que l’an dernier. La forme est toujours là. Même à 43 ans, je pense pouvoir gagner le Giro ou la Vuelta. Le seul aspect sur lequel j’ai régressé, c’est mon sprint. Mais je ne suis pas sûr que ce soit l’âge. C’est peut-être lié au poids. J’étais bien plus rapide quand j’étais plus jeune, mais j’étais aussi plus lourd.
Propos recueillis à Alcudia le 13 février 2014.