Franck Boudot est mécanicien depuis 10 ans au sein de l’équipe. Son parcours professionnel l’a conduit à un atelier de magasin de cycles, puis à occuper une voiture de Directeur Sportif en Elites. L’interview que vous lirez ci-dessous est d’autant plus intéressante que son point de vue sur plusieurs sujets est quelque peu différent de celui de ses collègues d’autres équipes, que vous avez pu lire les semaines précédentes. Son avis sur son métier et ses contraintes, sur l’évolution du matériel sont particulièrement intéressant.
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Quelle est pour vous la principale évolution que vous ayez connu entre l’augmentation du nombre de pignons, les disques, l’électronique ?
– Ça évolue tellement que c’est tous les ans qu’il faut se mettre à la page. Mais quelque chose m’a finalement marqué : le groupe Sram avec l’absence complète de fils.
Nous étions déjà passés en Campagnolo avec Kuota (groupe électronique). Avec Sram nous avons été les 1ers à toucher ce groupe eTAP. Du côté des disques, nous n’avons pas encore vraiment touché ce matériel mais il faudra probablement s’y mettre, tôt ou tard.
Quel est le côté le plus passionnant de ce métier ?
– La plupart des mécaniciens qui sont là, nous avons tous couru en approchant de près ou de loin le haut niveau, et c’est ce niveau de pro qui nous fait rêver. Et à travers lui, les émotions des victoires, que ce soit de Romain Bardet, Blel Kadri, Alexis Vuillermoz et tant d’autres.
A l’inverse, quel est le côté le plus contraignant ?
– A titre personnel, je dirais qu’il s’agit de laisser ses enfants à la maison. Partir 6-7 mois de l’année, ce n’est pas toujours évident. Ensuite, il faut bien s’entendre avec ses collègues car on passe beaucoup de temps avec eux. Ce n’est pas une contrainte à proprement parler car tout se passe bien mais nous devons évidemment gérer nos humeurs sur de longues périodes.
Quelles fonctions précises avez-vous, c’est-à-dire dans une voiture qui suit la course ou bien cela varie ?
– Il y a quelques années c’était davantage les anciens qui étaient au camion, à changer les boyaux, à réparer les roues ou à entretenir les vélos d’une manière générale. Les jeunes eux, étaient en course. Mais aujourd’hui, nous essayons de tourner. Un jour en voiture 1, un jour en voiture 2, un jour à l’hôtel pour récupérer. Il y a ensuite une préférence en fonction des qualités parce qu’untel est meilleur mécanicien pour les réglages ou un autre est très rapide pour changer une roue en course.
Franck Boudot lors du Giro 2019 | © Vélo 101
Au niveau des innovations qui n’ont pas forcément marché (les tiges de selle intégrées, les freins sous les bases arrière), laquelle retenez-vous en particulier ?
– Sincèrement, je ne vois pas tellement de choses. Ce qui est devenu pénible est la gestion des chronos : on fait beaucoup d’efforts avec des ergonomes, en soufflerie, en entrainement avec des tests de matériel puis se voir refuser un matériel ou une position par l’UCI pour des raisons parfois obscures. C’est frustrant car forcément il faut faire des changements de dernière minute.
La vie d’une équipe, ce sont des changements de partenaires (roues, groupes, cadre). Vous le voyez comme une contrainte ou comme quelque chose qui vous passionne ?
– C’est un peu le mélange des 2. Tout dépend de la marque que l’on quitte, celle que l’on prend. Nous sommes aussi dépendants de la direction de l’équipe. C’est Vincent Lavenu qui gère les partenaires techniques. Derrière, nous nous adaptons. Habituellement ça se passe bien.
Quelles sont les gros moments de stress ?
– Il s’agit par exemple d’un CLM par équipes en début de Tour de France ou encore toutes les étapes type Paris Roubaix sur le Tour. On a toujours peur des crevaisons et chutes même si nos coureurs se débrouillent bien.
Nous avons encore en tête l’un de vos leaders, Jean-Christophe Péraud qui crève à un moment important sur le Tour mais qui dépose délicatement son vélo. A l’inverse, certains coureurs se moquent du matériel. Que cela vous inspire-t-il ?
– Quand on le voit dans d’autres équipes, oui ça choque. Nous avons la chance d’avoir des coureurs respectueux, les jeunes compris. Sur l’énervement, il peut y avoir quelques gestes ou mots, compréhensibles étant donné le moment. Quand tout marche, nous apprécions aussi que les coureurs le disent.
Comment gérez-vous le fait d’avoir, sur les grandes courses des gens qui viennent vous voir sur les parkings ? Le voyez-vous comme quelque chose qui vous met en valeur ou bien, est-ce une contrainte dans votre travail ?
– Ça fait partie du jeu, du folklore. Il ne faut pas oublier que si ces gens-là et les spectateurs en général n’étaient pas là, nous ne serions pas là non plus. Par rapport au caractère de chacun, après 10 ou 15 jours de course comme nous venons de le vivre sur le Giro, ce n’est pas toujours évident car la fatigue s’installe et il nous faut parfois finir notre travail dans un temps imparti, tout en étant concentré pour faire du bon boulot. Néanmoins, nous arrivons à gérer et à essayer d’être agréable avec tout le monde.
Quel est le coureur le plus méticuleux que vous ayez eu ?
– Je dirais les cyclocrossmen, comme Clément Venturini ou John Gadret. Ils connaissent le matériel sur le bout des doigts, ils sont pointilleux.
Franck Boudot lors du Giro 2019 | © Vélo 101
A propos des disques, voyez-vous tout le peloton pro passer aux disques ? Si oui, à quelle échéance ?
– Cela fait 2-3 ans que l’on nous dit que cela va envahir le peloton pro et pourtant il n’y a toujours rien de véritablement concret. En tout cas, je constate que ce n’est pas une demande de tous les coureurs allant dans ce sens. Aujourd’hui, avec le matériel dont nous disposons, il n’y a pas de problèmes : ça freine. Nous avons vu quelques dépannages complètement catastrophiques avec des disques, ça n’encourage pas. Alors effectivement, sur quelques étapes bien spécifiques cela peut apporter quelque chose, peut-être. Mais je n’ai ni le sentiment qu’il s’agit d’une priorité ni que cela est un vrai gain.
Les coureurs communiquent de plus en plus à l’aide des réseaux sociaux. Et ils utilisent aussi des moyens comme WhatsApp pour communiquer avec leurs mécanos alors qu’avant il existait un contact systématiquement direct, par la force des choses. Comment abordez-vous cela ?
– Dans l’équipe c’est un moyen de communication que nous utilisons. Par exemple pour savoir de quel matériel tel ou tel coureur a besoin pour le lendemain. Autrefois, il y avait cet échange 5 min avant le message ou après le message entre le coureur et le mécano. C’était un échange sympa même si moins rapide et l’on a tendance à perdre.
Il faut aussi tenir compte des générations. Parmi notre équipe de mécaniciens, certains ont 60 ans et d’autres 25 ans. La façon de communiquer est donc différente même si tout le monde essaye de s’adapter.
Il ne faut pas oublier non plus que l’on passe 7 mois de l’année ensemble mais sans se côtoyer vraiment car par exemple nous mangeons en décalé le soir, il y a les obligations liées à la course. Il est important de garder des liens entre les membres du staff et les coureurs eux mêmes. Pour résumer, les réseaux sociaux nous facilitent les choses d’un côté mais il ne faut pas que ça pollue les relations d’un autre côté. Il y a un juste milieu à trouver, c’est important.
Du côté des points WT Matériel 101, c’est toujours le statut quo. Et ce ne sont pas les points marqués aujourd’hui par Sam Benett (Bora Hansgrohe) sur le Dauphiné Libéré qui vont changer la donne. En tête nous retrouvons toujours Specialized/Shimano/Roval.
Le podium WT Matériel 101 | © Vélo 101