D’autant plus paradoxale donc avec 3 grands favoris absents , de la catégorie des rouleurs-grimpeurs c’est à dire ceux qui dominent le Tour de France depuis 20 ans (Tom Dumoulin, Chris Froome et Primoz Roglic). Surtout qu’elle porte sur un coureur sur lequel repose depuis plusieurs années une bonne partie des espoirs du grand public français et qui s’est montré très consistant ces dernières années dans son rôle de porte-drapeau du cyclisme français sur le Tour de France, notamment avec 2 podiums.
Et pourtant, à regarder le sujet de plus près, force est de constater que Romain Bardet semble ralentir dans sa quête de victoire sur le Tour de France.
Depuis sa première participation en 2013, si ses résultats sont constants et consistants, (6ème en 2014, 9ème en 2015, 2ème en 2016, 3ème en 2017, 6ème en 2018) le coureur semble depuis son meilleur résultat il y a 3 ans se heurter à un plafond de verre, n’ayant jamais donné, et particulièrement lors de l’édition 2018, l’impression de pouvoir remporter l’épreuve.
Le Tour est cadenassé
La raison la plus souvent invoquée pour cela est son manque de compétitivité dans les épreuves chronométrées. Mais ce n’est certainement pas la seule : le Tour est une épreuve verrouillée, avec lors des étapes de montagne un tempo trop rapide pour autoriser des manœuvres d’envergure qui permettraient de creuser des écarts et combler le retard accumulé lors des Contres-La Montre.
Souvenons-nous de l’attaque conjointe d’Alberto Contador et de Nairo Quintana sur la Vueta 2016 qui avait mis à mal Chris Froome et aurait dû renvoyer toute l’équipe Sky à la maison pour cause d’arrivée hors délais. Ce scénario semble véritablement impossible en juillet.
Romain Bardet en Contre La Montre : un point qui reste un handicap | © Sirotti
Face aux rouleaux compresseurs mis en place par certaines équipes, une en particulier, peu d’options tactiques restent disponibles : attaquer en toute fin d’étape comme à Peyragudes en 2017, ou en descente comme à Domancy en 2016. Et les tentatives de son équipe AG2R d’imposer son propre tempo se sont le plus souvent soldées par des échecs, comme lors de l’étape arrivant au col de Portet de l’édition 2018 ou même dans l’étape de l’Izoard du Tour 2017, où faire rouler les coureurs d’AG2R dans le col de Vars n’avait eu comme résultat que de les faire sauter eux mêmes.
Un palmarès pas à la hauteur du talent
A partir de ce constat d’une certaine forme d’impuissance à viser sur le Tour de France plus haut que les places d’honneur ou le podium, une deuxième question se pose : cette priorité absolue que semblent donner Romain Bardet et son équipe au Tour de France dans l’établissement de leurs objectifs et l’organisation de leur saison n’affecte-t-elle pas leur capacité à remporter d’autres courses, certes de moindre importance que le Tour, mais néanmoins très prestigieuses ? En effet, au cours de sa carrière pro, Romain Bardet n’a engrangé que 7 victoires : 3 étapes du Tour de France, une sur le Dauphiné, une classique de l’Ardèche, un Tour de l’Ain, et une Drôme Classique, c’est à dire un bilan qui ne correspond pas à son standing ni à son niveau, lui qui a pratiquement tout le temps figuré dans les 20 premiers du classement mondial et parmi les 3 meilleurs coureurs français. Dans le même temps, son « rival » français Thibaut Pinot compte 31 victoires chez les professionnels.
Des épreuves comme le Dauphiné, le Tour du Pays Basque, le Tour de Suisse ne seraient-elles pas à sa portée si elles étaient abordées comme des objectifs en soi et non plus comme des épreuves de préparation au Tour ? Il est bien sûr impossible de répondre à une telle question autrement qu’en spéculant. Mais ce qui est certain, c’est que, comme coureur français il « doit » accepter cette culture et cette sacralisation du Tour sans lequel un coureur n’est pas grand-chose.
© Sirotti
De l’avis même de certains coureurs l’ayant disputé, une échappée sur le Tour sans victoire à la clé amène plus de notoriété et de considération que des victoires ou des bonnes places au classement général de la Coupe de France. Le Tour pour un coureur français étant primordial, il faudrait donc tout lui sacrifier, même des victoires sur des épreuves d’une semaine. On pourrait penser que le palmarès de Romain Bardet serait plus étoffé s’il était suisse ou allemand, ou encore s’il courrait pour une équipe étrangère qui l’aurait probablement envoyé régulièrement sur le Giro ou la Vuelta. Sur les 2 épreuves, il ne compte qu’une participation au Tour d’Espagne et c’était en 2017 ! Bien peu pour un coureur qui aime la montagne, les courses par étapes et qui dispute actuellement sa 8ème saison professionnelle.
On pourrait penser aussi que sur ces 2 Grands Tours où les leaders se retrouvent fréquemment seuls en fin d’étape, Romain Bardet serait à son avantage pour s’exprimer, dans des schémas de course plus osés, comme celui observé lors de l’édition 2016 de la Vuelta évoquée ci-dessus ou encore sur la Vuelta 2012 où le même Contador avait renversé la course au détriment de Joachim Rodriguez.
© Sirotti
Un Tour néanmoins bien plus ouvert
Romain Bardet pourrait donc viser d’autres courses que le Tour. Mais il est néanmoins indéniable qu’en cette saison 2019 les jeux sur la grande boucle semblent plus ouverts que toutes ces dernières années : Froome, Dumoulin et Roglic seront absents, Thomas n’a pas été impérial avant qu’une chute n’abrège son Tour de Suisse, Bernal n’a jamais eu le leadership d’une équipe dans un Grand Tour, Nibali a couru le Giro, Porte et Fuglsang n’ont pas suffisamment de garanties sur 3 semaines, Kruiswijk ne retrouve plus sa forme du Giro 2016, Quintana n’est pas bien meilleur que lui sur les chronos… Dans ce contexte, un Romain Bardet au top de sa condition possède ses chances, sur un parcours qui lui convient (des Contres-La-Montre réduits à une portion congrue) et qui passe sur ses terres d’origine. La question de plutôt viser ou non d’autres courses que le TDF est peut être une question pour l’avenir mais certainement pas pour la semaine prochaine, où ce sera le Tour, et à fond !