Comme un symbole, pour le Brivadois il s’agissait de sa 1ère participation au monument belge tout en étant sa dernière course avec AG2R La Mondiale, lui qui avait fait toutes ses années professionnelles au sein de la structure Chambérienne : depuis 2012 chez les pros mais il évoluait déjà depuis 2 ans dans la réserve de l’équipe au sein du Chambéry Cyclisme Formation.
Ce changement radical n’est pas anodin pour le grimpeur français, comme en témoignage l’émotion qui l’a envahi dimanche dernier une fois la ligne d’arrivée franchie.
Il est possible de penser que le tournant date du Tour de France 2019, une épreuve terminée dans la douleur à la 15ème place, maillot de Meilleur Grimpeur sur le dos toutefois.
Mais pour Romain Bardet qui avait franchi les étapes une à une chez les professionnels, à force de travail et de rigueur, la progression a subitement été stoppée. En effet, les saisons 2016 à 2018 avaient fait naitre de gros espoirs sur la plus grande course du monde. Certains observateurs avaient probablement procédé à un raccourci un peu facile : lorsque l’on fait 2ème puis 3ème d’une course, on doit pouvoir l’emporter un jour. C’était probablement oublier un peu rapidement que ces places sur le podium étaient dues à des circonstances favorables et qu’au bilan comptable, Romain Bardet ne réussissait pas à prendre du temps à ses adversaires « à la pédale » en montagne, tout en perdant un temps important et précieux dès lors qu’il fallait rouler Contre La Montre.
Le Tour 2018 n’avait pas été tout à fait à la hauteur mais cette année là de belles places d’honneurs (2ème des Strade Bianche, 3ème de Liège Bastogne Liège et du Dauphiné Libéré), ponctuées par une médaille d’argent aux Championnats du Monde, avaient fait oublier le relatif échec du mois de Juillet (6ème à Paris).
C’est donc la saison 2019 qui a amorcé une vraie rupture, l’intéressé lui-même avouant ne plus prendre plaisir sur la course française, se préparant quasiment de façon routinière en passant par les mêmes stages, les mêmes courses, lui qui aime surtout les scenarii non écrits par avance.
2020 devait être l’année de la reconquête du plaisir de pratiquer son métier, après avoir convaincu son staff et son sponsor qu’il devait « faire autre chose ». Las, crise sanitaire oblige, il a fallu passer par un programme classique incluant le Dauphiné Libéré (regain de forme sur la fin) et le Tour, pour lequel les jambes étaient présentes en début d’épreuve avant une vilaine chute qui l’a obligé à abandonner.
Paris Tours 2020 | © AG2R La Mondiale
Une approche personelle « à la Sky »
Très rapidement après son début de carrière, porté par les « gains marginaux » chers à l’équipe Sky qui expliquaient que leurs résultats étaient une somme de détails aboutissant à une différence sensible, Romain Bardet s’est intéressé par tous les aspects menant à la performance : sommeil, diététique, entrainement, stages ou matériel, tout passait à l’analyse de ce perfectionniste.
La plupart du temps et alors que ce genre d’initiative aurait dû venir de son staff, Romain s’est forgé souvent seul des compétences dans les domaines évoqués. Quand il n’a tout simplement pas initié lui-même des stratégies qui ont ensuite profité à l’ensemble de l’équipe ! Comme par exemple, les 1ers stages au printemps en Sierra Nevada où, sur ses deniers personnels il était accompagné de son père, devenu mécano/masseur/conducteur de derny pour engranger les milliers de mètres de dénivelé jusqu’à plus soif. Aujourd’hui, la technique est rôdée et les stages font partie de la préparation de l’équipe, qui les multiplie, que ce soit au début du printemps en Espagne ou dans les Alpes pour acquérir le coup de pédale de la montagne.
Les plus fins amateurs de matériel ont aussi pu remarquer l’emploi de galets de dérailleur arrière XXL sensés diminuer la friction. Pour autant, difficile de parler du matériel comme étant un atout pour AG2R en général et pour Romain Bardet en particulier, tant l’équipe a semblé courir davantage après les euros qu’après les watts au fil des contrats pour les cadres et les différents équipements.
Romain Bardet au Puy Mary le jour de sa chute | © AG2R La Mondiale
Un choix finalement logique
Pour Bardet, qui parle déjà couramment anglais, quoi de plus naturel que de se tourner vers une équipe anglosaxonne dont l’approche semble par définition correspondre à sa minutie. Connaissant le sérieux et le professionnalisme de Romain Bardet, le staff de Sunweb a probablement pensé qu’à 30 ans (il les aura le 09 novembre prochain) le potentiel de progression était encore là puisque, par définition le potentiel n’avait peut-être pas été exploité à 100%.
Et lorsque la saison 2020 est analysée, les résultats ne font que confirmer que le choix des « blancs et noirs » est le bon pour Bardet. Les performances sont presque trop bonnes puisqu’à la vue des performances de ses futurs coéquipiers sur le Tour et le Giro, il sera difficile d’exiger un statut de leader unique. Cependant, ce genre de concurrence peut aussi faire le plus grand bien à Romain Bardet, lui qui avait peut-être fini par s’endormir sur ses lauriers au sein d’une équipe qui lui demandait certes des résultats, mais pour laquelle son statut était couru d’avance.
Par Olivier Dulaurent