Aujourd’hui auréolé de 39 victoires à son tableau de chasse, le titre de Louvain constitue certainement la plus belle victoire de sa carrière. Voici les éléments qui permettent de préciser cette affirmation.
© Deceuninck-quickstep
Parce que c’est le Championnat du Monde
Julian Alaphilippe en rêvait, il l’a fait. C’était déjà en 2020 sur le circuit d’Imola à l’arrivée duquel il expliquait lui-même que c’était sa plus belle victoire et au bout, le plus beau des maillots à garder une année. De tous temps, le Championnat du Monde a toujours constitué une victoire à part. Pour son maillot irisé comme récompense et parce que, selon le parcours les chances de l’emporter sont potentiellement présentes pour de nombreux profils de coureurs à l’inverse de la plupart des autres courses d’un jour les plus prestigieuses (à l’exception notable de Milan San Remo). En effet, Mark Cavendish n’avait aucune chance sur Liège ou le Tour de Lombardie, de même qu’il est peu probable que voir Tadej Pogacar ou Egan Bernal emporter le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix. A l’inverse, chacun a ses chances pour être Champion du Monde, un jour, à l’image de Mark Cavendish d’ailleurs.
Cette année encore, sur la base de leur niveau habituel, les spécialistes des Grands Tours (rouleurs-grimpeurs donc) tels que Pogacar ou Roglic avaient leurs chances, de même que les sprinteurs passant les bosses (Colbrelli, Matthews), les spécialistes des flandriennes (Stybar, Van Baarle), ceux des Ardennaises (Kwiatowski, Alaphilippe). D’autant plus que la majorité des grands noms du peloton étaient présents, alors que certains d’entre eux font souvent l’impasse sur certaines grandes courses du calendrier car leurs objectifs sont ailleurs.
Parce que c’était en Belgique
Ce petit pays par la taille et le nombre de ses habitants (11 millions) est pourtant le berceau du cyclisme et « le pays du vélo ». Selon les estimations, environ 1 million de spectateurs étaient présents sur le bord de la route. Même si bien sûr, tous n’étaient pas belges, l’équivalent de 10% de la population a assisté à la course !
La sélection de l’équipe nationale avait fière allure et telle qu’elle a été constituée, il a fallu se « séparer » de grands noms tels que Philippe Gilbert ou Greg Van Avermaet qui auraient pu avoir leur mot à dire sur un tel parcours, que ce soit physiquement ou sur le plan du collectif.
Une course au succès immense sur le bord de la route | © http://tornanti.cc
Parce que l’ambiance était extraordinaire
Dans leurs retours sur la course, plusieurs coureurs ont expliqué en détails à quel point l’ambiance était incroyable, digne d’un stade de foot à ciel ouvert. Il y avait le nombre comme évoqué mais surtout un engouement incroyable. Florian Sénéchal allait même jusqu’à évoquer que « les frustrations des spectateurs liées à plus d’une année de Covid-19 ont semblé se libérer en un seul jour de course. »
Parce que le parcours était judicieusement choisi
L’adage « ce sont les coureurs qui font la course et non le parcours », a parfois bon dos. En effet, si certaines étapes de montagne à plus de 4000 m sur les Grands Tours « accouchent d’une souris » notamment par le fait de routes larges et trop souvent rectilignes, ici c’était l’inverse. Un dénivelé plutôt réduit (« seulement » 2300 m environ vérifiés sur les compteurs GPS et répartis sur 268 km) mais la distance a joué un rôle important. A ces chiffres s’ajoute surtout la nature du parcours avec des virages serrés et des routes étroites, obligeant un placement au millimètre et des relances soutenues. Primoz Roglic avouant même avoir eu « l’impression de disputer un criterium de 270 km. »
Ces pics de puissance fatiguent inévitablement les organismes et privilégient les coureurs à la grande technique. Dès lors, rien d’étonnant de retrouver l’adroit et spécialiste des efforts courts Zdenek Stybar à la 7ème place, alors qu’il n’était même pas cité au rang des outsiders. Imaginons un seul instant la même distance et le même dénivelé sur un parcours que nous sert habituellement le Tour de France. Le résultat aurait été tout autre et… l’arrivée se serait jouée sur un sprint massif.
Wout Van Aert était le grand favori | © Jumbo Visma
Parce qu’il n’était pas le favori
Au départ de la course, Wout Van Aert était le grandissime favori. Sur la base des ses dernières sorties et surtout du Tour de Grande Bretagne, où il avait été impérial à savoir aussi fort que Julian Alaphilippe dans des bosses nettement plus exigeantes que celles du circuit de Louvain, et toujours aussi rapide au sprint. Dès lors, il lui « suffisait » d’accompagner les coups et d’aligner tout le monde au sprint.
De son côté, et comme à son habitude à l’approche de ses objectifs, Julian Alaphilippe était présent mais jamais impérial. Il avait même été battu sèchement par Benoit Cosnefroy sur la Bretagne Classic, victime de crampes dans les derniers kilomètres. Il faut ainsi reconnaitre qu’Alaphilippe se rate rarement lorsqu’il annonce avoir coché une course. Que ce soit sur le plan mental (il sait se transcender) ou physique (avec l’aide son cousin entraineur), il sait répondre lorsqu’il l’a décidé.
Parce qu’il entre dans l’histoire
Avec 2 victoires consécutives, chose qu’aucun français n’avait réalisée jusque-là, Julian Alaphilippe a encore franchi un cap. Cyrille Guimard n’hésitant pas à le placer dès aujourd’hui (série en cours…) au 5ème rang des plus grands champions cyclistes du pays derrière Bobet, Anquetil, Hinault et Fignon.
Toujours sur le registre des comparaisons, Alaphilippe rejoint le club des 7 à avoir réussi à conserver le maillot arc-en-ciel (Ronsee, Van Looy, Van Steenbergen, Bugno, Bettini et Sagan, ce dernier étant le seul à avoir gagné trois ans de suite). Mais le français est le premier à s’imposer en solitaire deux années de rang.
Et à 29 ans, il lui reste quelques belles années, pour théoriquement encore remonter dans le classement.
Juste après l’attaque à 17 km de l’arrivée | © Deceuninck Quick Step
Parce qu’il a été particulièrement spectaculaire
Lorsqu’il est en forme et que le parcours le permet, Julian Alaphilippe gagne avec la manière. D’un profil proche de celui d’Alejandro Valverde, il ne se contente pas d’accompagner les coups – il les provoque -, pour utiliser sa pointe de vitesse dans la dernière ligne droite. Avec 5 franches attaques dans les 60 derniers kilomètres, les spectateurs se sont régalés… de ce spectacle. Les suiveurs et Laurent Jalabert en tête sur France TV, ont considéré qu’il se dévoilait trop tôt lors de sa 1ère attaque. Mais ce dimanche, le natif de Saint-Amand-Montrond avait plusieurs cartouches dans le chargeur, à la différence certainement de ses courses de préparation. Cela lui a permis de gagner à sa manière, « à la Alaphilippe » pourrait-on dire aujourd’hui.
Parce qu’il a écrasé la course
Son sacre en Belgique représente probablement sa plus grande performance athlétique à ce jour. Plus forte qu’à Imola où il avait planté une banderille sur un parcours nettement plus adapté à ses caractéristiques. Plus forte que ses plus belles victoires sur le Tour, victoire sur le chrono du Tour 2019 peut-être. Son attaque victorieuse à 17 km était déjà la 5ème comme évoqué plus haut et surtout elle a semblé indiquer que ses adversaires étaient incapables de procéder à la moindre accélération (Nelson Powless mis à part) à cet instant précis, bien contents de rester dans le sillage des roues de ce petit peloton. Le fait d’avoir réussi à résister ensuite sans « s’écraser » sur les autres parties montantes du circuit, montre aussi sa grande supériorité qui s’est matérialisée par un écart important (32 secondes) sur ses poursuivants au passage de la ligne d’arrivée, le plus important depuis Cadel Evans en 2009.
Par Olivier Dulaurent