Si aujourd’hui, « Dernière étape du Tour » et « Champs Elysées » sont quasiment synonymes, ce n’est en fait qu’à sa 62ème édition, en 1975, que la Grande Boucle a commencé à s’inviter sur les pavés qui séparent la Concorde de l’Etoile, l’honneur d’accueillir les Tours de l’Après-Guerre ayant jusque-là été réservés au Parc des Princes jusqu’à 1967 et à la Piste Municipale de Vincennes de 1968 à 1974. Mais en 1975 les arrivées à l’ancienne sur des vélodromes — dont Paris-Roubaix perpétue encore la mémoire — avaient vécu. La démolition de celui de l’ancien Parc avait d’ailleurs commencé dès le lendemain de la dernière apparition du Tour sur sa piste, dans une étape gagnée par Raymond Poulidor. Le Tour était donc à la recherche pour sa conclusion d’un nouveau point de chute, et la légende veut que ce soit par l’intermédiation du présentateur vedette d’alors Yves Mourousi que le fraichement élu Président Valéry Giscard d’Estaing donna l’autorisation à ce que la dernière étape du Tour se déroule sur les Champs Elysées.

nullCaleb Ewan l’emporte au sprint sur le Tour | © Lotto Soudal

 

Aujourd’hui, près d’un demi-siècle plus tard, si cette dernière étape élyséenne a su donner au Tour quelques unes de ses dramaturgies ou séquences les plus marquantes, avec bien sûr les fameuses 8 secondes de 1989, mais aussi lors de la première édition l’attaque de Merckx dès le km0, l’échappée victorieuse des 2 premiers du Classement Général Hinault et Zoetemelk en 1979, le sprint rageur d’un Hinault en jaune en 1982, l’entrée solitaire sur la Concorde de Greg LeMond en 1991, ou encore la spectaculaire cabriole d’Abdoujaparov cette même année, force est de constater que depuis une quinzaine d’années le scénario de cette dernière  journée du Tour est devenu totalement prévisible et verrouillé : une procession devant les caméras entre la périphérie de l’Ile-de-France et la capitale, agrémentée par quelques interviews de coureurs et directeurs sportifs et par la coupe de champagne du maillot jaune, puis un critérium de quelques boucles entre l’Arc de Triomphe et les Tuileries achevé par un sprint massif réglé par le maillot vert ou l’un de ses concurrents immédiats. Sportivement, une journée pour rien, presqu’une non-étape, aux dires des mauvaises langues : en comparaison, le Giro laisse ouverte jusqu’à la fin la course pour le classement général, la maglia rosa pouvant changer d’épaules au terme des tous derniers kilomètres comme bien sûr l’an dernier, quand Tao Geogheghan Hart et Jay Hindley s’étaient retrouvés dans la même seconde le matin du dernier jour, ou en 2017, Nairo Quintana ne cédant son paletot rosé à Tom Dumoulin qu’au terme du dernier dimanche.

Alors, histoire de redonner un peu de nouveauté et de piment sportif à cette dernière étape, ne devrait-elle pas changer de format, voire de lieu ? 

Mark Cavendish devant Wout Van Aert au sprint sur le Tour 2021Mark Cavendish devant Wout Van Aert au sprint sur le Tour 2021 | © Deceuninck Quick Step

Oui 

La réalité sportive de cette étape est qu’elle est totalement neutralisée pour ce qui concerne le classement général, et que pour le reste elle se résume en un sprint de quelques centaines de mètres entre la Concorde et la ligne, les seuls échappés « allant au bout », outre le duo déjà cité, étant Alain Meslet en 1977, Eddy Seigneur en 1994 et Alexandre Vinokourov en 2005.

Or le Tour de France comporte bien 21 étapes et non 20, et pour les amateurs de cyclisme, assister à une étape neutralisée est plutôt frustrant, car le sport est le grand absent de la journée. Et c’est le sport, la compétition et le suspense qui ont fait et font la légende du Tour, et non les photos convenues de l’équipe du vainqueur franchissant groupée la ligne d’arrivée sur des vélos jaunes.

Ne faudrait-il pas au minimum varier le format de cette dernière étape, en réhabilitant pour celles-ci les épreuves de Contre la Montre ? Un format qui d’une part honore davantage les coureurs, chacun des finisseurs ayant son moment « à lui », et qui d’autre part permet de prolonger le suspense voire d’assister à des renversements spectaculaires comme celui de 1989 déjà cité ou celui de 1968, quand Jan Janssen ravit in extremis le maillot jaune à l’infortuné Herman Van Springel. Ce format  de CLM est d’ailleurs très nettement le choix fait par les organisateurs du Giro, leur dernière tentative en 2018 d’organiser dans les rues de Rome une dernière étape sur le format de celle des Champs n’ayant pas vraiment été un succès.

Au delà des aspects purement sportifs, le succès populaire du Tour réside dans le fait qu’il est un spectacle qui va à la rencontre des gens, dans toute la France, sur toutes les routes. C’est essentiellement cela qui plait à toutes les marques qui investissent sur le Tour, même si ce concept de rencontre avec les Régions est un peu dénaturé par les hordes parfois alcoolisées venues de loin en camping-cars pour assister aux étapes de montagne… Mais assister à cette étape le Tour intéresse-t-il vraiment les parisiens, qui de plus ne représentent que 5% à peine de la fréquentation des Champs Elysées ce jou là, devenus depuis longtemps une terre de touristes ? Rien n’est moins sûr…

D’ailleurs ce désamour des autochtones pour la prétendument « Plus belle avenue du Monde » ne reflète t’il pas simplement le fait que les Champs Elysées ne sont plus ce qu’ils étaient ? L’image mythique de Jean Seberg y vendant le Herald Tribune à Jean Paul Belmondo et les ballades de Joe Dassin y chantant ses balades appartiennent en effet à une époque depuis longtemps révolue. Aujourd’hui les Champs Elysées c’est d’abord une affaire de commerce et d’enseignes, où les fast-food côtoient les meilleures marques du secteur du luxe, un secteur historiquement assez éloigné des racines populaires du cyclisme, dans la culture française tout au moins.

Arnaud Démare a manqué sur l'étape des Champs ElyséesArnaud Démare a manqué sur l’étape des Champs Elysées | © Groupama – FDJ


Non 

A l’inverse, les arguments en faveur du statu quo quand au format de cette dernière étape ne manquent pas. 

Le premier d’entre eux n’est que le retournement d’un des arguments principaux des détracteurs de cette étape des Champs : la géographie du Bassin Parisien étant ce qu’elle est, l’organisation d’un Contre-La-Montre est en effet la seule manière de maintenir le dernier jour du suspense pour le Classement  Général, car une étape en ligne, à moins peut être de faire gravir au peloton le Mont Valérien une dizaine de fois, ne saurait créer d’écarts entre les premiers du Classement Général, nous ne sommes plus en 1947 quand Robic avait arraché le maillot jaune des épaules de Pierre Brambilla. Mais un Contre-La-Montre, sauf peut être pour les spécialistes gavés de données, de temps intermédiaires et d’images via leur télévision, ce n’est pas très spectaculaire pour le profane, surtout vu du bord de la Route,

Et le Contre-La-Montre final, le Tour a choisi de l’organiser non le dernier jour de course, mais l’avant-dernier, avec l’issue que l’on connait pour l’édition de l’an dernier à la Planche des Belles-Filles. Il serait donc inutile et malvenu de dupliquer l’exercice deux jours de suite.

Ce choix étant fait, la dernière étape du Tour peut donc être abordée et doit être considérée comme une fête, la célébration de la conclusion d’une épreuve très populaire, mais surtout très dure et très exigeante, tout particulièrement en cette année 2021. Et les Champs-Elysées ne sont ils pas lieu parisien de célébration le plus emblématique, celui où l’on organise chaque année le défilé du 14 juillet, et où ont été célébrés le bicentenaire de la révolution et les victoires des Bleus en Coupe du Monde ?

De plus, il et indéniable que la notoriété mondiale des Champs Elysées contribue à la sacralisation du Tour de France, qui ne peut se permettre de s’achever ailleurs qu’à Paris, à la différence du Giro, car l’Italie étant un pays moins centralisé celui-ci peut se permettre d’alterner entre plusieurs villes (Milan, Rome, Florence, Vérone..) pour sa conclusion. Et avec une arrivée à Paris, le choix pour le format de l’étape est simple : Contre-La-Montre ou étape en ligne, ce qui implique quasi systématiquement un sprint.

Enfin il est remarquable que Le Tour s’est toujours terminé à Paris, même lors des éditions où il y passait aussi comme simple ville étape (1951) ou vile de départ (2003).

Enfin, le dernier argument retenu ici est que la présence du Tour sur les Champs-Elysées, qui ont longtemps été et sont encore le royaume de la voiture, est aussi un symbole magnifique de la conquête actuelle de Paris par les vélos. Et peut-être qu’un jour, comme la Rue de Rivoli toute proche qu’emprunteront dimanche les coureurs ils leur seront, avec les piétons et autres moyens de mobilité douce, totalement réservés.

 

 Par Olivier Dulaurent et Adrien Sarrault