Un « score » qui n’élimine aucun grand favori et qui rend ainsi d’autant plus incertaines et palpitantes les 2 semaines à venir.
« La valse des maillots »
Revenons quelques années plus tôt, quand le Tour de France était immuable : un prologue, une semaine de plat, quelques côtes de 4ème catégorie disséminées ça et là, puis un 1er (long) Contre La Montre qui était ainsi le 1er rendez-vous important pour le classement général. Bien sûr des bonifications étaient distribuées sur ces étapes de plat, tant à l’arrivée que sur des sprints intermédiaires. Les sprinteurs, dont les caractéristiques physiques leur avaient permis d’être bien placés au général après le prologue, s’en donnaient à cœur joie. Selon les intermédiaires et l’arrivée, il était évident que les bonifications allaient énormément jouer pour le maillot jaune.
De son côté, le maillot du « meilleur grimpeur » était également sur la sellette avec de véritables sprints pour ces côtes de faible difficulté. A l’époque, Jean-Marie Leblanc, le patron du Tour avait inventé une expression pour cette 1ère semaine soi-disant indécise : « la valse des maillots ».
C’est ainsi que Frédéric Moncassin, Eric Zabel, Mario Cipollini ou encore Tom Steels sont autant de sprinteurs ayant connu les joies du maillot jaune. Ces scenarii immuables se sont reproduits dans les années 2000. Parallèlement, le Tour est devenu de plus en plus dense, de plus en plus disputé, avec des enjeux financiers immenses : chaque point de chaque maillot vaut de l’or, chaque échappée même condamnée d’avance devient une immense tribune d’exposition pour le sponsor.
Frédéric Moncassin en jaune sur le Tour 1996 | © Est Republicain
Mais finalement, que ce passe-t-il pour les spectateurs et téléspectateurs ? Un ennui mortel, devant un copier-coller d’une étape à l’autre, d’une année à l’autre. A de trop rares exceptions près, l’issue de l’étape est connue d’avance et devant sa télévision, le passionné ne vibre que dans la dernière ligne droite, pendant quelques trop courtes minutes. Avant cela, il ne se passe pas grand-chose en dehors de la visite touristique du pays à travers les magnifiques plans proposés par les hélicoptères et grâce à la réalisation impeccable.
Parallèlement, tant sur le Giro que la Vuelta, des parcours musclés dès les 1ères étapes obligeaient les leaders à se découvrir. Les organisateurs étaient inspirés de placer des raidards aux encablures de l’arrivée ou tout simplement au niveau du finish. Sur de nombreuses étapes, les puncheurs avaient le droit de citer alors que le Tour n’était que pour les rouleurs, les grimpeurs aux pentes régulières sur de grands cols, et les baroudeurs pour constituer sur l’échappée publicitaire.
Une conséquence malheureuse de ce découpage français du parcours se répétait : les chutes. Avec les enjeux évoqués ainsi que l’omniprésence des oreillettes, les quelques 180-200 coureurs recevaient l’ordre d’être dans… les 20ers. En effet, tel ou tel rétrécissement était annoncé, et pour préserver les chances de chaque équipe, que ce soit pour préserver les chances au sprint mais surtout au général, les coureurs se devaient d’être placés à l’avant. Mais forcément, au « jeu » du 1er qui frotte et au dernier qui freine, les chutes sont inévitables.
La liste est très longue, des coureurs ayant préparé depuis des mois le rendez-vous de juillet, mais victimes de chutes pour cause de « guerre de la 1ère semaine » : Alex Zülle en a été une victime fréquente, mais à ses côtés Evgeni Berzin, Tony Rominger ou Yvan Gotti sont rapidement rentrés à la maison pour les mêmes raisons.
Chute collective sur le passage du Gois | © Diario AS
Plus près de nous, tout le monde a certainement en tête la terrible chute sur le Tour 2015 entrainant entre autres William Bonnet, Fabian Cancellara, Tom Dumoulin et Daryl Impey… le vainqueur du jour à Brioude. L’arrivée de l’étape était pourtant en haut du Mur de Huy. Mais voilà, le parcours de l’étape n’avait pas été très sélectif et c’est à nouveau un peloton compact, « reposé » (car il s’agissait seulement de la 3ème étape) et donc « agressif » qui s’apprêtait à se présenter au pied de la bosse qui constitue déjà l’arrivée de la Flèche Wallonne au mois d’avril. Si le malheureux William Bonnet avait commis l’erreur de de retourner à 80 km/h pour vérifier si son leader Thibaut Pinot était bien dans sa roue, la nervosité globale du peloton a forcément été un accélérateur.
2019, un renversement de situation
Tous les suiveurs sont certainement d’accord pour dire que le Giro 2019 n’a pas été exaltant : une 1ère semaine plutôt plate, des leaders au général qui attendent et attendent encore, redoutant une dernière semaine où tout se jouerait. Et « fatalement », le grand favori Tom Dumoulin victime d’une chute lors de la 4ème étape, le conduisant à ne pas se présenter au départ le lendemain. Globalement et par rapport aux éditions précédentes, le spectacle a été moins présent. Certes, « ce sont les coureurs qui font la course » mais le parcours n’a pas été vraiment inspirant, alors que la nervosité affichée sur les 1ères étapes était davantage celle retrouvée en Juillet.
Tom Dumoulin arrive blessé sur le Giro 2019 | © Sirotti
C’est comme si le Giro avait singé les mauvais côtés du Tour.
A l’inverse, pour le Grand Tour que nous vivons actuellement, le parcours a été très rapidement accidenté et les grosses chutes collectives très rares. Certes, la fatalité qui a mené une fois de plus Tejay Van Garderen au tapis puis à l’abandon, a encore frappé. De toutes façons, il n’existe aucun parcours garantissant une absence de chutes, qui constituent malheureusement un aspect intrinsèque du sport cycliste, quel que soit le niveau de la compétition.
Mais aux arrivées de chaque étape, aucun coureur n’a raconté la tension extrême relevée sur de précédentes éditions. ASO semble avoir intégré ces caractéristiques de spectacle et de sécurité puisque le Grand Départ 2020 depuis Nice, annonce quelques cols (Colmiane, Turini et d’Èze dès la 2ème étape) permettant de « calmer » le peloton.
Certes, du fait du changement annuel du site de départ, il sera impossible de proposer chaque année des cols sur les 1ères étapes mais les suiveurs se souviendront du départ de Liège en 2012 qui n’avait que bien trop peu exploité le relief des Ardennes belges.
La grande majorité des régions françaises permettent de dessiner des parcours à l’image du Tour 2019.
Julian Alaphilippe assure le spectacle à Epernay | © Sirotti