Pour preuves la Planche des Belles Filles, le Grand Colombier, le Mur de Péguère, la Dent du Chat, le Plateau des Glières, le col de Sarenne et tant d’autres reliefs du territoire français qui font aujourd’hui le punch des Tours de France modernes, sur les mêmes bases que le Giro et la Vuelta dont les épouvantails sont légion : Angliru, Zoncolan, Finestre pour ne citer que les plus connus.
Si le Tour 2019 a été autant réussi, au-delà d’un Julian Alaphilippe qui a dynamité la course, c’est bien parce que le parcours le lui permettait. Les arrivées à Epernay, les contreforts du Massif Central, la Planche des Belles Filles dans sa version Gravel et très pentue, le chrono de Pau étaient autant de lieux où les qualités de puncheur (les plus télégéniques) permettaient de s’exprimer. A la différence des ascensions plus classiques des Alpes dont les longues montées à 6-7% mettent en avant les rouleurs-grimpeurs encadrés par une équipe au diapason.
Le Tour 2020 n’est jamais allé aussi loin dans sa recherche du pentu, de la montagne en général et de la réduction des kilomètres favorables aux rouleurs.
Est-ce que cela en fait le meilleur parcours jamais crée ? Deux points de vue diamétralement opposés s’affrontent.
Oui
Avec 20 jours de course entre le 1er et le dernier col du Tour de France, le spectacle sera presque quotidien. Par « spectacle », il est ici question de lutte pour le maillot jaune et non des lénifiantes étapes de plat, dirigée par l’échappée publicitaire à l’avant, régulée par le peloton à l’arrière et adjugée par l’un des 3 ou 4 meilleurs sprinteurs du monde. Bien sûr ces étapes sont nécessaires et il serait impossible de demander aux coureurs du général de faire la course absolument tous les jours. Mais avec une lutte entre leaders tout au long des 3 semaines, les surprises sont à prévoir.
En effet, aujourd’hui avec la finesse dans la programmation de l’entrainement, certains coureurs sont littéralement dirigés pour donner le meilleur d’eux-mêmes sur la dernière semaine du Tour quand ce n’est pas sur les 4 derniers jours, à l’image d’Egan Bernal pas encore à son tout meilleur niveau dans les Pyrénées mais ayant atteint les 100% dans les Alpes. C’est ainsi que les meilleurs coureurs du monde arrivent sur le Tour avec une certaine marge, voire 500-1000 g de trop par rapport à leur poids de forme. Chaleur et longues étapes leur permettent alors d’aller chercher les derniers pourcents de forme et de puiser dans les dernières réserves de masse grasse pour être au top. C’est cette technique payante qu’avait adoptée l’équipe Sky-Ineos avec Froome sur son Giro victorieux en 2018. Et plus encore, du fait de la concurrence encore plus élevé, le Tour aujourd’hui se joue bien à ces détails. Et si Froome ou Bernal ont pu se permettre d’arriver à 90% de leur potentiel sur ces Grands Tours, cela ne parait pas envisageable au départ de Nice en 2020. Sous peine de risquer une perte de temps sur le col du Turini ou de la Colmiane.
La 2e étape du Tour 2020 | © ASO
A l’inverse, s’ils arrivent à un niveau proche de leur top, alors le risque est de décliner au cours des 3 semaines ou d’essuyer une défaillance en cours de route. Julian Alaphilippe est là pour le confirmer, lui qui avait ciblé le début de Tour et les parcours qui lui étaient les plus favorables… sans se douter que son état de grâce se prolongerait au-delà de la 1ère semaine. Mais pas tout à fait sur les 23 jours de présence sur l’épreuve.
Au-delà de cette incursion dans le sud des Alpes dès l’entame du Tour, les leaders continueront à se découvrir : 2 jours plus tard sur l’arrivée à Orcières-Merlette, puis à nouveau 48h après via le méconnu et difficile col de la Lusette sur une route granuleuse, étroite et sinueuse menant au sommet du Mont Aigoual, puis en gardant l’alternance entre étape de transition et étape pour le général, avec 2 jours (consécutifs cette fois) dans les Pyrénées.
Il sera alors temps de visiter l’Ile d’Oleron, une incursion qui sera à surveiller côté vent avant d’aller explorer une autre arrivée exigeante sur les pourcentages importants du Puy Mary. Cette nouvelle arrivée devrait laisser les leaders s’exprimer entre eux, car il est difficile d’imaginer les équipiers pouvoir suivre. Quoiqu’avec la densité des équipes Ineos et Jumbo Visma, avec plusieurs leaders dans la même équipe, tout est possible… Reste à espérer – pour le spectacle – que tout ce beau monde ne soit pas au même (top) niveau en même temps.
Ce sera loin d’être fini pour les coureurs du général qui devront s’attaquer à un plus gros morceau encore sur la dernière semaine. Jugez plutôt : arrivée difficile au Grand Colombier, l’étape passant par le difficile Plateau des Glières (mais peu exploité par les coureurs lors du passage en 2018) et surtout le col de la Loze au dessus de Méribel, qui est peut-être devenu – grâce à son récent asphaltage – le col le plus difficile de France. Mais la course peut aussi s’emballer en direction de Villard de Lans, une étape a priori moins difficile que les parcours cités précédemment mais qui peut créer du mouvement si un coureur ou une équipe décident d’attaquer par surprise. D’autant que l’envie de souffler sur ce genre d’étape moins terrifiante se fera forcément sentir pour certains.
Profil du col de la Loze | © ASO
Et pour finir en apothéose, le seul contre la montre du Tour se développera sur 36 km seulement avec une arrivée en haut de la Planche des Belles Filles. Autant dire que les meilleurs rouleurs hésiteront à se mettre à la « Planche » sur les 30ers au risque d’exploser sur l’arrivée. Il est déjà possible de s’attendre à des changements de vélo au pied de la bosse, une transition toujours intéressante à suivre.
Pour résumer ce point de vue, le Tour de France 2020 s’annonce superbe dans la mesure où, par définition aucun coureur ne va prendre 2 ou 5 min d’avance grâce à ses qualités de rouleur puis gérer ce matelas à l’aide de l’équipe la plus forte du plateau. Ce schéma de course, particulièrement soporifique a pourtant été ce à quoi les suiveurs ont assisté de (trop) nombreuses fois. En juillet prochain, les écarts pourront intervenir de façon très régulière et un pur grimpeur peut enfin l’emporter, 22 ans après Marco Pantani.
Non
Quel genre de coureur doit sacrer le Tour de France ? Le meilleur rouleur, le meilleur grimpeur, le meilleur gestionnaire ou celui ayant la meilleure équipe ? Un peu tout à la fois, certainement. Autrement dit, le Tour de France devrait faire monter sur la plus haute marche le coureur le plus complet, à l’aise sur tous les terrains. Or, réduire le contre la montre à sa portion la plus congrue, 36 km dont 6 km d’un raidard final, c’est indiquer que les coureurs vont passer environ 45 min en effort solitaire sur un parcours vallonné alors que les heures de selle tournent autour des 80-85 heures à l’arrivée. Certes, les 70-80 km de certains chronos des ères Anquetil-Merckx-Hinault ou la « double dose de 60 km » de l’époque Indurain offraient un avantage d’une grosse poignée de minutes à son vainqueur, vis-à-vis des grimpeurs. Mais entre le « trop » de l’époque et le « trop peu » de 2020, un juste milieu serait peut-être préférable.
D’autant que si les rouleurs grimpent souvent très fort (Dumoulin, Froome, Thomas), les grimpeurs et puncheurs sont également aujourd’hui capables de rivaliser (Bernal, Pinot, Alaphilippe) en limitant ainsi les dégâts voire en étant plus forts.
Un Contre La Montre sur un parcours vallonné et un autre, par équipes, par exemple en début de Tour sur une distance raisonnable, offriraient à la fois un beau spectacle et une légitimité sur le classement final.
Il est vrai que la France attend toujours un successeur de Bernard Hinault tout en haut du classement mais dessiner un parcours pour que l’un de ses compatriotes l’emporte est aussi étonnant voire exagéré que le Giro 1984 tracé pour Francesco Moser et dont l’une des rares étapes de montagne a été annulée pour une hypothétique question de météo.
Le symbole « Tour pour les français » est d’autant plus évident que le seul CLM se trouve chez Thibaut Pinot, pour Thibaut Pinot.
La seule étape CLM sur le Tour de France 2020 | © ASO
Enfin, il est toujours possible de lire quelques critiques fondées sur le parcours qui ne va explorer que la partie sud du pays ou presque. Cependant, difficile de les entendre à partir du moment où la totalité du parcours fait 3500 km et ne permet donc pas de faire un réel « tour de la France ». Une idée qui ne serait d’ailleurs pas envisageable puisque la partie interne du pays ne serait pas explorée et les parcours immuables d’une année à l’autre. Sans parler de l’impact économique et de l’idée d’une certaine alternance entre les villes étapes.
Finalement, entre les « pros 2020 » et les « antis 2020 », il existe autant de raisons de se réjouir que de s’inquiéter. Et si un parcours offrant aux coureurs col de la Croix Fry-Plateau des Glières-col de Romme et col de la Colombière (difficile de faire plus corsé, les amateurs qui ont bouclé l’Etape du Tour peuvent témoigner) en 2018 n’a pas vraiment départagé les coureurs du général, c’est bien que ce sont les coureurs qui font la course et non le parcours qui leur est proposé. Cependant, malgré les réserves émises, le Tour 2020 a de quoi laisser espérer de grands moments.