Mais rien de bien excitant pour les amateurs de beau cyclisme.
Le Giro peut-il supplanter le Tour ? écrivions-nous il y a quelques jours, au démarrage de la course italienne. Pour résumer, le Giro a su se faire une place au soleil, peut-être même la plus belle place, en utilisant des atouts différents, avec entre autres : des parcours variés, des bosses spectaculaires dès l’entame de la course, quelques cols très pentus, des routes pas toujours asphaltés.
Froome s’échappe sur le Colle del Finestre 2018 | © Sirotti
Que reste-t-il de tout cela sur l’édition 2019 ? Pas grand-chose. Certes, nous ne sommes qu’à la moitié de l’épreuve et ce qui nous sera réservé peut très bien aboutir à une course spectaculaire comme le Giro a su nous réserver ces dernières années.
Pour autant, cette année c’est une impression de déjà vu qui prédomine. Vous ne vous souvenez pas de l’ère Jean-Marie Leblanc sur le Tour de France ? La ressemblance est pourtant étonnante. A l’époque le Directeur de la Course vantait la fameuse « valse des maillots ». Il était question de ménager le suspense sur les 1ères étapes, très plates pour que les écarts soient minimes voire nuls au passage de la ligne d’arrivée. Mais au programme, des bonifications en cours d’étape et à l’arrivée pour aboutir à ces changements de maillots jaunes. Le but était de concentrer les étapes dures sur la 2ème partie voire la dernière semaine pour là encore ménager le suspense. Sans compter un long Contre la Montre après une semaine de course, permettant à un leader de s’emparer du maillot jaune, à défendre en montagne car forcément celui-ci allait être attaqué.
Miguel Indurain sur le Tour 1995 | © DenP Images
Sauf que ça ne fonctionne pas :
– Les chutes sont forcément nombreuses car le maillot de leader se joue à coup de secondes et 180 coureurs veulent être dans les 20ers.
– Le spectateur s’ennuie car les leaders restent sur la réserve et sur 5h de course qui arrive au sprint seules 5 min sont réellement exaltantes.
– Pour le classement général final, un coureur plus frais écrase souvent l’adversité dans les derniers jours.
– Certains coureurs ne digèrent pas le changement de braquet : après avoir usé et abusé du 53×11, tourner sur le 39×23 pendant 20 km reste toujours délicat. Lesdits coureurs attendent donc des jours meilleurs, se cachent (ou sont lâchés) mais ils ne tentent rien.
Par ailleurs, les coureurs du général programment à présent un pic de forme sur la 2ème partie et n’ont donc pas besoin d’être à 100% de leurs possibilités au commencement des 3 semaines. Alors qu’ils pourraient être mis en difficulté car au-delà du « jours sans » il y a aussi des « semaines sans » du fait que ce leader n’est pas encore à son top, ce qui peut augmenter le spectacle : défaillance ou obligation de refaire son retard. C’est d’ailleurs typiquement ce qui s’est passé sur le très spectaculaire Giro 2018 : Chris Froome est monté en puissance alors qu’il avait eu un début de Giro plus difficile. Si le tracé avait été comme en 2019, cela ne se serait pas vu car il serait resté sagement dans les roues, serait monté en puissance au fil des étapes sans qu’il ne soit attaqué et n’aurait pas eu besoin de sortir le grand jeu pour l’emporter : quelques attaques « Sky style » auraient suffi c’est-à-dire dans les derniers kilomètres de quelques ascensions finales et « le Tour était joué ».
Sky mène le train sur le Tour 2018 | © Bettini photos
Généralement les grands tours les plus spectaculaires ont lieu quand la bagarre fait rage régulièrement sur des étapes permettant de le faire. Citons par exemple le Tour 1987 qui a visité plusieurs massifs et se trouve être certainement le Tour le plus spectaculaire de l’histoire, si l’on veut bien regarder objectivement les choses et mettre de côté les médiatiques 8 sec entre Fignon et Lemond sur le Tour 1989.
Ces dernières années, le Giro a chèrement acquis sa légende dans le cœur des fans et il serait dommage qu’il tombe dans les errements que le Tour justement tend de plus en plus à éviter au fil des éditions avec des parcours qui tendent précisément à imiter ceux de son voisin transalpin.
Si un parcours est équilibré dès le départ, les leaders essayent de grignoter du temps sur chaque étape difficile en essayant de mettre en difficulté leurs adversaires. Au contraire, sur un parcours difficile uniquement dans sa dernière partie, les leaders attendent et attendent encore, n’osant pas se découvrir et jetant toutes leurs forces dans la bataille en même temps sur les mêmes étapes. Résultat : les écarts sont faibles car les attaques sont bien trop tardives dans le déroulement de l’étape pour provoquer de réels changements dans le classement général.
Les coureurs sont formatés à une tactique qui devient immuable. C’est facile à lire, plus facile à préparer pour être en forme sur une période donnée de quelques jours. Ceci n’aide évidemment en rien les surprises, provenant de la réelle bagarre sur la route. Ces bagarres sont le vrai spectacle que tous les fans attendent et devraient pourtant être au cœur des préoccupations de ceux qui dessinent et valident les parcours. Au-delà de cette question, on peut se demander pourquoi les étapes les plus dures sont systématiquement proposées en fin de grand tour alors que de telles étapes distribuées sur l’ensemble des 3 semaines devraient forcément donner lieu à des mises en place de stratégies et offrir le spectacle de joutes car, comme évoqué il semble utopique que les coureurs maintiennent le même niveau de forme sur 23 jours (21 étapes et 2 jours de repos) alors que les progrès des préparations physiques leur permettent de cibler 4-5 jours consécutifs où ils seront à bloc.
Une autre question est apparue telle un début de polémique : celle de la gestion des sprinteurs. Elia Viviani et Caleb Ewan sont rentrés à la maison. Malades ou épuisés ? Non, pas le moins du monde. Ces abandons ont été fustigés, tout comme à l’époque de Mario Cipollini qui faisait des « demi-Tours », dans tous les sens du terme. Son sponsor le payait pour gagner des étapes, il remplissait son contrat puis abandonnait pour se reposer et préparer des échéances plus lointaines. Lui expliquait à l’époque que cette façon de faire l’avait aidé à avoir une carrière plus longue, contrairement à ce qu’elle aurait été s’il avait été contraint à s’accrocher en montagne pour boucler le Tour ou le Giro. Il n’avait pas d’ambitions sur le maillot cyclamen ou vert.
La bataille entre sprinteurs sur le début du Giro 2019 | © Sirotti
Pour ces sprinteurs qui abandonnent après 10 jours, certes on peut leur dire qu’ils ne sont pas professionnels, qu’ils ternissent l’image de leur sponsor, voire qu’ils prennent la place d’un coéquipier qui aurait été tout heureux de boucler jusqu’à Vérone le Tour d’Italie. Mais que peuvent-ils espérer avec 10 jours de grupetto sans la moindre « carotte » avec une étape dans leurs cordes. On a vu Arnaud Démarre ou Peter Sagan s’accrocher en montagne pour la perspective du maillot vert ou d’une victoire sur une étape « intermédiaire » entre 2 étapes de montagne. Mais sur le Tour d’Italie 2019, Elia Viviani ou Caleb Ewan qu’ont-ils à espérer ? Même Viviani avec son maillot de Champion d’Italie a probablement jugé que l’image renvoyée par ce beau maillot sur ton Tour national ne valait pas la débauche d’énergie pour terminer tous les jours à 45 min de la tête.
Pour finir, espérons finalement pour le spectacle à venir que ce billet se trompe de combat et qu’à partir d’aujourd’hui jusqu’à l’arrivée le 02 juin, ce Giro 2019 entre dans la légende de son sport. Mais pour l’heure, sans vouloir faire injure aux duels entre Arnaud Démare, Elia Viviani ou Pascal Ackermann, ceux annoncés entre Primoz Roglic, Simon Yates et Vincenzo Nibali sont davantage attendus par les fans.
Par Olivier Dulaurent