Depuis sa création en 2003 par Patrick Lefevere, cette formation s’est avérée, sous la direction de son fondateur, une formidable machine à gagner. Cela lui vaut d’être aujourd’hui classée au sommet du classement UCI des équipes professionnelles pour les 12 deniers mois et au 2ème rang du même classement pour la saison en cours.
Mais au delà de son lot habituel de 60 ou 70 victoires annuelles voire plus, nul besoin de regarder le palmarès de l’équipe de près pour faire une autre constat, tout aussi éloquent : en 18 années cette équipe n’a pas gagné une seule fois le classement général d’un Grand Tour, qu’il s’agisse du Tour de France, du Giro ou de la Vuelta, malgré un total impressionnant de 105 victoires d’étapes dans ces 3 épreuves. Et 2021 ne semble pas devoir déroger à la règle, malgré une 4ème place obtenue par Joao Almeida dans un Giro pour lequel des ambitions légitimes avaient été affichées, et avec la 12ème place de Mattéo Cattaneo comme plus haute position au Classement Général du Tour qui vient de s’achever.
Deceuninck Quick Step est davantage habitué à viser les courses d’un jour ou les étapes, à l’image de Fabio Jakobsen qui a renoué à la victoire sur le Tour de Walllonie | © Deceuninck Quick Step
Comment cela est-il possible ? Les Grands Tours ne sont-ils pas les épreuves cyclistes les plus prestigieuses et les plus connues au monde, leur notoriété allant bien au delà des seuls amateurs de vélo, et n’est ce pas dans leur histoire qu’ont été écrites les plus belles légendes et que l’on trouve la plus grande dramaturgie ? Comment est-il possible qu’une équipe aussi dominante de son sport puisse être aussi absente du palmarès principal de ses épreuves les plus emblématiques ?
Une culture spécialisée
Une bonne part de la réponse à cette question repose dans la spécialisation et la concurrence croissantes qu’a observé le cyclisme au cours des années, qui impose aux meilleurs coureurs de se concentrer sur ce qu’ils font de mieux et de choisir de manière fine les épreuves et les dates sur et pendant lesquelles ils seront les plus compétitifs.
Et pour la Deceuninck Quick Step, les épreuves ciblées en priorité, ce sont d’abord les classiques du printemps, Milan-San Remo, puis les flandriennes et ardennaises… Pas les classements généraux des Grands Tours. Une question de choix et de « tradition belge » qui font préférer historiquement aux coureurs et aux équipes un certain format de courses et l’on sait que choisir une chose implique souvent de renoncer à une autre… Et si pour le Giro le Classement Général faisait clairement partie des objectifs, pour le Tour il est apparu clairement que l’équipe était plus configurée pour et soucieuse d’emmener – avec le succès que l’on sait – les sprints pour Cavendish ou de le ramener dans les délais aux arrivées des étapes de montagne.
Une autre partie de la réponse doit se chercher du côté de la culture de l’équipe : la culture des classiques implique un certain type d’entrainement et de qualités athlétiques à développer (l’explosivité et le sprint notamment), une adaptation à des météos diverses, savoir rouler sur les pavés, et plein d’autres choses encore… A la maitrise totale de ces paramètres s’ajoute un esprit d ‘équipe marqué par une solidarité entre coureurs très forte, qui lui vaut le surnom de « wolfpack ».
A l’inverse, viser le Classement Général des Grands Tours impose de plutôt développer l’endurance et le seuil anaérobie en montagne, pouvoir mettre en place un train de rouleurs-grimpeurs plutôt qu’un train de sprinteurs… Cela implique peut-être aussi une approche différente du management sportif d’une équipe : un candidat à la victoire dans le Classement Général d’un Grand Tour doit compter ses coups de pédale et optimiser sa dépense d’énergie tout au long des marathons que sont ces épreuves. Il ne doit pas la disperser en participant par exemple au train du sprinteur de l’équipe comme l’a fait un Alaphilippe en jaune lors du Tour 2019…
Tout cela, nul doute que le management de la Deceuninck Quick Step le sait mieux que quiconque, et si le virage vers une spécialisation plus axée sur le Classement Général des Grands Tours n’a pas encore été pris c’est une affaire de choix.
Rouleur-grimpeur, Remco Evenepoel possède le profil parfait pour les Grands Tours | © Deceuninck Quick Step
Mais quid du futur ?
A la suite de l’inclusion dans l’équipe du prodige Remco Evenepoel, un pur talent comme on en avait plus vu depuis des lustres, vainqueur à 19 ans de la Classica San Sebastian et vainqueur en 2020, âgé d’à peine 20 ans, des 4 courses par étapes qu’il a disputées, Patrick Lefévère n’a pas hésité à déclarer « qu’il voulait gagner les Grands Tours avec lui ».
S’il est plus que certain que Remco Evenepoel possède tout le talent requis pour gagner plusieurs Grands Tours dans sa carrière, on peut se demander en quoi cette nouvelle ambition de l’équipe Quick Step, pourra ou devra modifier tant son fonctionnement que son approche de la course.
En premier lieu, on devrait s’attendre à moins de versatilité dans le « leadership » de l’équipe. Si l’équipe est passée maître dans le changement de leader en cours de classique, comme lors du dernier Ronde ou Alaphilippe parti leader a terminé au service du vainqueur Casper Asgreen, elle devra utiliser ce genre de pratique avec beaucoup plus de prudence dans les Grands Tours.
A ce titre, les flottements observés lors du dernier Giro, commencé avec Almeida officiellement leader mais Evenepoel portant le numéro 91, continué avec Evenepoel en tant que leader, Almeida devant l’attendre sur les Strade Bianche et dans le Zoncolan, puis terminé avec Almeida à nouveau leader, auront certainement été éclairants. Incidemment, il est très probable que sans les 3min 36 perdues à attendre Evenepoel Almeida aurait fini sur le podium, et très près de la 2ème place car il est probable que dans l’étape de Cortina il a perdu et non gagné du temps en figurant dans l’échappée matinale, au vu du débours sur la ligne de ses compagnons de cette même échappée, qui n’étaient pourtant pas les premiers venus (Formolo, Nibali, Pedrero, Ghebreigzabhier). Dans un Grand Tour, au vu de la longueur de l’épreuve et de l’importance du mental, il sera important que le leader se sente rassuré et non constamment menacé dans son leadership, et qu’il n’ait pas l’impression que son management va le « lâcher » à la première difficulté.
Ensuite, il sera peut être nécessaire d’envisager un renforcement de l’équipe en coureurs capables d’accompagner très loin, très haut et très vite le leader en haute montagne. Si l’équipe n’est aujourd’hui pas démunie dans ce domaine avec des coureurs comme Knox, Serry, Masnada ou Cattaneo, elle devra néanmoins compter avec le départ d’Almeida. Et en mai dernier, Patrick Lefévère déclarait « qu’il n’était pas pressé pour construire une équipe de Grand Tour », et « qu’il savait qu’une équipe de Grand Tour coûte de l’argent ». Argent qui devra certainement venir de ses sponsors, qui pour ce qu’on en connaît à ce jour n’ont pas le même profil que ceux des dernières équipes gagnantes du Tour et du Giro, c’est-à-dire une multinationale et un Etat-Nation, sponsors certainement plus intéressés par les retombées d’une victoire dans le Tour de France qu’à celles d’un succès dans une classique de printemps baptisée du nom d’une autoroute (Grand Prix E3)…
Julian Alaphilippe va-t-il tout vouloir sacrifier pour un très hypothétique maillot jaune sur les Champs Elysées ? | © Deceuninck Quick Step
Enfin, il sera peut-être nécessaire, compte tenu de la densité encore plus forte de talents et de personnalités qui sera atteinte dans cette équipe Deceuninck QuickStep « reconfigurée pour gagner les Grands Tours », de mettre en place une approche basée sur le long terme, c’est-à-dire en donnant aux leaders un calendrier et des objectifs suffisamment à l’avance, afin de les préparer au mieux – donc à base de courses par étapes et de stages en altitude.
A ce titre, Vélo Magazine avait rapporté des propos de Patrick Lefevere expliquant ne pas encor avoir évoqué avec l’intéressé lui-même les objectifs sportifs Julian Alaphilippe entre 2022 et 2024. Dès lors, il est difficile de croire que l’équipe a un plan avec le coureur français pour tenter d’emporter le Tour de France. C’est plutôt Remco Evenepoel qui détient le plus fort potentiel de l’équipe pour viser la plus haute marche du podium. Encore faut-il que ce dernier puisse bénéficier d’une équipe à son service, ce qui passera forcément par un recrutement allant dans ce sens.
Par Olivier Dulaurent et Adrien Sarrault