En cet été 2019, le « mercato du cyclisme » prend les allures de son homologue du football : Richard Carapaz s’est engagé pour le Team Ineos tandis que Tom Dumoulin a annoncé il y a une dizaine de jours avoir signé pour Jumbo Visma.
Cette situation fait penser à l’époque de l’US Postal où déjà, Lance Armstrong avait demandé à ce que Roberto Heras soit « acheté », quitte à faire un gros chèque, afin que le petit grimpeur espagnol soit un équipier plutôt qu’un adversaire. Cela a évidemment fonctionné puisqu’Heras a souvent été le dernier étage de la fusée Armstrong dans les dernières ascensions.
Roberto Heras menant devant Lance Armstrong | © AP
Dans un passé plus récent mais avec les mêmes méthodes, Richie Porte a souvent été le dernier équipier de Chris Froome, au point de finir parfois 2ème de certaines étapes de montagne. Et comment ne pas évoquer le tandem Froome – Wiggins qui a avait fait tant jaser sur le Tour 2012, l’équiper Froome étant légèrement plus fort que le leader Wiggins en montagne.
Si les forces au sein de l’équipe n’étaient pas évidentes à gérer pour l’encadrement, que dire du spectacle affiché devant les écrans, avec un Froome à qui l’on demandait à l’oreillette de ralentir pour attendre son leader, alors que celui-ci n’était pas en difficulté ?
Et si nous refaisions l’Histoire ? En effet, à quel Tour de France 2012 aurions-nous assisté si les 2 britanniques avaient été dans 2 équipes différentes ? Certainement un très beau spectacle, Wiggins pouvant a priori refaire son (léger) retard en montagne grâce à ses qualités de rouleur. Le suspens aurait pu se prolonger sur toute la durée de l’épreuve alors que cette année là, le seul piment de la course aura été de savoir lequel des 2 protagonistes allait prendre le leadership au sein de l’équipe Sky.
Au-delà de cet épisode, continuons les hypothèses : tout le monde s’accorde à dire que le Tour de France 2019 a été spectaculaire au niveau de la lutte pour le général. Merci Julian Alaphilippe, merci aussi à l’incertitude qui a régné lors de la dernière semaine.
En poussant le raisonnement du Team Ineos qui tente de recruter les meilleurs coureurs du monde sur les courses à étapes, admettons que les 8ers du général du Tour 2019 (Egan Bernal, Geraint Thomas, Steven Kruijswijk, Emanuel Buchmann, Julian Alaphilippe, Mikel Landa, Rigoberto Urán et Nairo Quintana) aient été dans la même équipe. Quel aurait été le niveau du spectacle ? Proche du néant probablement.
C’est pourtant ce que nous « propose » le Team Ineos avec pas moins de 4 vainqueurs potentiels qui devraient éventuellement être alignés sur le Tour de France 2020. D’autant plus que ces 4 coureurs ont déjà été vainqueurs d’au moins un Grand Tour : Froome, Thomas, Bernal et Caparaz. Etant donné que l’équipe ne se rate que rarement dans la préparation physique qui mène au Tour de France, il est déjà possible d’extrapoler sur la densité de niveau qui nous sera offert dans le dernier col.
2 coureurs du Team Ineos aux 2ères places du général sur le Tour 2019 | © Sirotti
Bien sûr, il reste la grande incertitude du sport et malheureusement les chutes en font partie : Chris Froome n’a pas pu prendre le départ, Geraint Thomas a eu du retard à l’allumage au printemps accentué par une vilaine chute au Tour de Suisse, Egan Bernal est aussi tombé en se cassant la clavicule au mois de mai. Pour autant, il ne faut évidemment pas attendre des forfaits liés aux chutes pour espérer voir une belle course.
Car au contraire, quelle course pourrions-nous avoir si ces 4 coureurs étaient adversaires ! Nous aurions de quoi attendre Juillet avec impatience.
Le « front » des courses par étapes a également pris une autre tournure récemment après que Tom Dumoulin a annoncé rejoindre Jumbo Visma, dont l’effectif comprend pourtant déjà Steven Kruijswijk (3ème du Tour 2019), Primoz Roglic (4ème du Tour 2018, 3ème du Giro 2019) et Laurens De Plus un coureur en devenir qui va fêter ses 24 ans dans les jours qui viennent.
Sur le Tour 2020, qui va donc rouler pour qui ?
Primoz Roglic remporte sur Tirreno Adriatico 2019 | © Sirotti
L’adage dit que « l’abondance de biens ne nuit pas » mais ceci ne s’applique pas vraiment au cyclisme.
Mais alors, faut-il limiter le budget des équipes comme cela a été évoqué ? Et si cela entre en vigueur, comment être sûr que 4 vainqueurs potentiels ne seront pas dans la même équipe ? A partir de quel budget va-t-on éviter l’embauche d’un leader en tant qu’équipier ? Quels seraient les leviers possibles de l’UCI pour éviter ces regroupements ?
Pour le moment, ce sont autant de questions qui restent sans réponses.
Dans le football, avec seulement 2 équipes sur le terrain, le plus beau spectacle se limite déjà lui-même aux « grands matchs » puisque les meilleurs joueurs du monde se retrouvent repartis dans 5 ou 6 clubs différents.
En cyclisme, les Grands Tours représentent une grosse partie de la vitrine de ce sport.
Quel Tour de France espérer si Richard Carapaz ne peut pas attaquer Egan Bernal, lui-même ne bougeant pas pour tracter Geraint Thomas abritant Chris Froome ?
Espérons que ces « scenarii catastrophes » puissent être arbitrés par un coureur tiers, porté par une condition physique de rêve comme cela a été le cas de Thibaut Pinot jusqu’à 3 jours avant l’arrivée…
Par Olivier Dulaurent