Cette décision est une demi-surprise dans la mesure où il y a eu des fuites de prises de contacts chez AG2R Citroën dont le budget a sérieusement été revu à la hausse avec l’arrivée du constructeur automobile et même chez Ineos, dont le manager Dave Braislford qui s’exprime dans un excellent français, aimerait trouver une popularité plus importante dans le pays de la plus grande course du monde.
Pourtant, le coureur français a ainsi clairement signifié ses préférences, à savoir poursuivre dans la continuité et les courses d’un jour au détriment d’une profonde remise en question en signant pour une équipe française ou en s’inscrivant dans une démarche visant la plus grande course du monde.
A-t-il eu raison de prolonger son contrat ?
Julian Alaphilippe en reconnaissance avant le Tour des Flandres | © Deceuninck Quick Step
Oui
En restant chez Deceuninck Quick Step, Julian Alaphilipe sait où il met les pieds. Il est estimé par le manager de l’équipe Patrick Lefevere, et a la confiance de ses équipiers. Quand il est en forme et qu’il a ciblé un objectif, il ne se rate que rarement. A la fin du présent contrat, il aura 32 ans et aura certainement atteint l’apogée de sa carrière même si l’exemple d’Alejandro Valverde et ses 41 printemps au départ de Liège Bastogne Liège dimanche, montre que l’âge n’est pas toujours une limite.
Deceuninck Quick Step est une équipe qui l’a amené au niveau où il se trouve aujourd’hui. « On ne change pas une équipe qui gagne a-t-on coutume de dire » dans le milieu sportif. Dès lors, pourquoi penser qu’en allant voir ailleurs, Julian Alaphilippe va trouver de meilleurs équipiers, du meilleur matériel, un meilleur encadrement que celui qu’il a aujourd’hui ?
A ce jour, le coureur, le coureur français c’est 37 victoires, toutes acquises chez « Quick Step », sa seule équipe chez les pros. A l’heure actuelle, il n’existe pas d’équipe plus forte pour les courses d’un jour, celles qui permettent de mettre en avant les qualités d’explosivité d’Alaphilippe, bien qu’il ait brillé sur le Tour de Californie et le Tour de Grande Bretagne (gain du général), et évidemment sur le Tour de France 2019 avec une 5ème place à la clé.
Aller voir ailleurs, pour viser surtout les courses à étapes et les Grands Tours, c’est forcément sacrifier une partie de la saison des classiques et ses qualités de puncheur au profit de stages en montagne, afin de planifier un pic de puissance en mai pour le Giro ou en Juillet pour le Tour. Le tout, avec une perspective très aléatoire car ces courses là sont moins nombreuses et les aléas liés aux risques (défaillance, chutes) sont nettement plus nombreuses que pour des courses d’un jour, par définition plus nombreuses et étalées dans le temps. En effet, si le coureur se rate sur un événement en particulier, il lui reste toujours la possibilité de monter sur la plus haute marche un peu plus tard. D’ailleurs Julian Alaphilipppe, avant même son objectif de la saison sur Liège Bastogne Liège, considère déjà sa campagne des classiques réussie avec une victoire sur le Flèche Wallonne et une 6ème place sur l’Amstel Gold Race.
Par ailleurs, le natif de Saint-Amand-Montrond est un coureur d’instinct qui aime l’attaque et le spectacle. L’enfermer sur un « schéma Grands Tours » où il faut compter ses coups de pédale et rester concentré pendant 3 semaines, serait contre nature.
Enfin, pourquoi se concentrer sur les courses par étapes alors que son palmarès est encore en devenir et insuffisamment complet dans la mesure où il lui manque par exemple le Tour des Flandres, le Tour de Lombardie et dans une moindre mesure Paris- Roubaix, une course probablement moins adaptée à ses qualités.
Julian Alaphilippe en jaune sur le Tour. Un coup d’essai ? | © Deceuninck Quick Step
Non
C’est effectivement l’éternel refrain : la France n’a toujours pas trouvé de successeur à Bernard Hinault, dernier vainqueur français du Tour en 1985. Alors c’est vrai que dès que l’un des nôtres « marche » sur les courses par étapes, nous avons tendance à nous enflammer et mettre la pression sur le coureur en question. Mais comment faire autrement avec Julian Alaphilippe, 5ème d’un Tour qu’il n’avait pas préparé pour briller au général, tout en gagnant un Contre La Montre et battant le futur vainqueur en haute montagne en milieu d’épreuve, et en conduisant une équipe qui n’était pas bâtie pour cela ?
A partir de là, comment ne pas rêver ?
Comment ne pas imaginer qu’une équipe comme Ineos Grenadiers, avec leur expérience de la préparation des Grands Tours, n’aurait pas pu amener Julian Alaphilippe quelques petits pourcents plus haut, afin de lui faire éviter de finir l’épreuve sur les rotules ?
Comment ne pas avoir envie de remporter la plus grande course du monde, lorsque l’on porte déjà le plus beau des maillots et que l’on est français ?
Une carrière de cycliste au plus haut niveau sur les Grands Tours, est potentiellement courte, entre expérience exigée, endurance nécessaire mais également récupération indispensable (qui condamne les coureurs plus anciens), même si la jeune génération (Pogacar, Bernal, Hindley, Geoghegan Hart, etc.) semble faire voler en éclats les croyances concernant le profil nécessaire pour briller sur ces épreuves de longue haleine.
Au crépuscule de sa carrière, si Alaphilippe n’a pas tenté de miser sur 1 ou 2 éditions, la « gagne » sur le Tour de France, il emportera probablement des regrets au moment de mettre « le vélo au clou ».
Par Olivier Dulaurent