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Peut-on espérer qu’un coureur qui arrive facilement et rapidement en forme comme Thibaut Pinot, puisse tirer un avantage sur ses concurrents ?
– Je l’espère très fortement. Fred Grappe disait que pour arriver au top il fallait 3 mois à un coureur en partant de zéro. Là les coureurs ne repartent pas de zéro. Donc un Thibaut Pinot au top en septembre avec une bonne préparation estivale j’y crois. Même si je ne vois pas de bouleversement dans le top 10 mondial. Bernal paraît tellement fort. La maturité de ce garçon est ahurissante. J’avais suivi 2 étapes du Tour des Pays de Savoie (dans la voiture Fortuneo) qu’il avait gagné. Sa classe était tellement éclatante. Il transpirait la facilité. Avec l’impression de jouer avec les autres et de faire absolument tout ce qu’il voulait quand il le voulait. On peut se demander où est son point faible. Je me dis parfois qu’un Français seul aura du mal face à ce « Real de Madrid » du vélo qu’est l’équipe Ineos. Qu’il faudrait une coalition Française. Alaphilippe, Bardet, Pinot, Barguil qui se donnent un coup de main. Ça aurait de la gueule. Même si c’est du ressort du rêve tant les enjeux financiers sont aujourd’hui cruciaux et empêchent de voir ce cyclisme d’alliance et d’entraide.
La 3ème semaine du Tour peut-elle amener des surprises avec cette préparation tronquée ?
– Je pense avoir répondu en disant que je n’y crois pas. En tout cas je ne crois pas au cas de figure du coureur qui coincerait car il a manqué d’entraînement. Mais ce qui sera très intéressant à suivre c’est plutôt l’inverse. Le coureur qui coince par manque de fraîcheur parce qu’il en aura trop fait pendant cette période. On a vu des choses incroyables (pour ne pas dire insensées) sur home trainer avec des coureurs faisant des séances ultra longues. Est-ce que cela n’expose pas à un risque de fatigue à terme ? Peut-être que, plus que d’habitude encore, le trop sera l’ennemi du bien durant cette période. Maxime Bouet qui me disait être resté raisonnable sur le volume durant le confinement a peut-être bien raison.
Parle-nous justement de Maxime et de ton expérience d’entraineur avec lui.
– Nous avons arrêté notre collaboration en cours de saison dernière suite à ses nombreuses chutes et blessures (quasiment 2 mois d’arrêt). Il est maintenant suivi par Kevin Rinaldi qui est l’entraineur des coureurs basés dans le sud de l’équipe Arkéa (l’équipe s’est structurée en embauchant 2 nouveaux entraineurs). Nous avons donc fait les saisons 2017, 2018 et une partie de 2019. Je profite de cette interview pour remercier publiquement Maxime pour la confiance totale qu’il m’aura accordée. Je ne pense pas avoir eu un autre coureur qui suive autant un plan d’entrainement à la lettre. C’était au watt près pour chaque exercice. Cette aventure aura été pour moi extraordinaire. Pour commencer nous avons rempli tous nos objectifs et même au-delà. Quand Maxime m’a demandé de l’entrainer en 2017 alors qu’il traversait une période difficile. Le but de la première saison avait été de retrouver le niveau, le plaisir et de signer un nouveau contrat. Ce qu’il a fait en faisant preuve d’une régularité impressionnante. En 2018 l’enjeu était de retrouver le chemin de la victoire tout en épaulant son leader Warren Barguil. Et il a tout simplement débloqué le compteur de l’équipe en apportant la première victoire pour Arkéa. Mais ça ne s’est pas arrêté là. Sur ces 2 saisons il aura fait son meilleur classement sur le Tour de France (même si ça peut paraître anecdotique puisque son rôle était de protéger Warren, mais ça reflète un niveau global du coureur), sur le Dauphiné, sur le Tour de l’Ain. Quand il ne terminait pas dans le top 10 il était rarement au-delà de la vingtième place. Maxime c’est « Monsieur régularité ». Toujours présent quelle que soit la course ou le terrain. Et cela malgré un calendrier de courses pas toujours favorable. Et surtout malgré des soucis à répétition. Je n’ai quasiment pas connu 3 mois tranquilles sans un pépin. Et pourtant j’avais arrêté de compter le nombre de top 20 ! Du coup le staff de l’équipe était vraiment content de lui. Nous avions carte blanche pour son calendrier de 2019. Chose primordiale pour gérer la fatigue. Nous avons abordé 2019 avec une motivation de Junior. Ses tests hivernaux étaient parfaits. Tous les voyants au vert. Et dès le début de saison première chute. Mettant par terre (au propre comme au figuré) les espoirs de concrétiser – dès l’entame de saison – le travail hivernal. Le ressort s’est définitivement rompu après sa chute de Paris-Nice qui l’a obligé à 1 mois d’arrêt. C’est le vélo. Un sport dangereux et aléatoire.
Un des maillots de Maxime Bouet | © Frédéric Ostian
On te sent déçu de l’épilogue de votre collaboration ?
– Et comment ! Triste pour lui déjà car il a souffert dans sa chair. Déçu aussi car l’objectif de notre 3ème saison c’était une victoire en Word Tour. Et ça je suis convaincu que nous en prenions le chemin. Et si lui a travaillé dur pour y arriver moi aussi j’y ai bossé comme un fou. La performance de Maxime c’est une chose qui m’habitait 24h/24. J’étais sur tous les sujets pouvant lui permettre de progresser. Je ne suis pas certain qu’un entraîneur d’équipe puisse apporter autant car il a un groupe à gérer avec un devoir de ne pas faire de préférence de coureur. Moi je voulais à tout prix qu’il gagne lui et pas un autre. C’était obsessionnel chez moi. Presque jusqu’à l’indigestion. Donc quand ça s’arrête du jour au lendemain on se dit que le travail est inachevé. Et j’ai horreur de laisser quelque chose en plan en n’étant pas allé jusqu’au bout. Et puis je me dis aussi que ce qui paye dans la relation coureur/entraîneur c’est le long terme. Il n’y a qu’à voir R.Bardet avec J.B Quiclet, T.Pinot avec son frère, J.Alaphilippe avec son cousin ou bien encore W.Barguil avec Pascal Redou. Tous sont sur du long terme. Dans les bons moments mais aussi dans les mauvais. Changer sur une contre-performance quand tout marche bien par ailleurs n’est à mon avis pas la solution. Il faut changer quand ça ne va vraiment plus ou quand on est allé au bout d’un cycle. En se disant qu’il n’y a pas ailleurs une formule magique qui va faire gagner 50 watts. L’élément clé c’est l’entente entre le coureur et son entraineur. Quand les 2 personnalités fonctionnement on a 90% de la réussite à venir.
Mais oui je suis frustré car comme je le disais je n’ai pas connu une seule saison sans problème avec Maxime et que malgré tout nous avons eu de super résultats. J’étais donc hyper motivé à l’idée de connaître une saison sans pépins physiques et avec le choix du calendrier. Pour aller décrocher cette victoire en World Tour. Mais je souhaite de tout cœur qu’il y arrive. Il le mérite. Et j’ai un bon feeling le concernant. Car je me dis que la roue tourne et que 3 années avec des problèmes c’est que le chat noir est passé. Il est maintenant opérationnel à 100% pour y arriver. Et j’aurais été un acteur de sa carrière. Comme me l’avait gentiment dit son père. A une période où il aurait pu s’arrêter.
Être entraineur indépendant dans une équipe pro c’est possible en n’étant pas intégré dans l’équipe ?
– Oui c’est toujours possible et Pascal Redou en est la preuve avec Warren. Mais cela devient hyper compliqué avec un nombre d’opportunités proche de 0. Aujourd’hui les équipes veulent gérer cet aspect entrainement en interne. Et on peut le comprendre. Avec la crainte d’un gourou externe pas très sérieux. Moi l’équipe ne me connaissait pas. Qui suis-je au fond ? Même si j’étais en contact avec l’entraineur de l’équipe Théo Ouvrard et que l’on se voyait sur certains stages. Mais mon profil est quand même particulier : pendant 20 ans cadre dans l’industrie pour changer de vie et devenir un entraineur sur le vélo avec ses coureurs ; ça peut gêner ou inquiéter. Et là encore Maxime a été super. Cherchant toujours à m’intégrer. Et puis il y a un point non négligeable : le coureur paye un entraineur extérieur alors qu’il peut avoir un entraineur d’équipe gratuitement. Même si le budget n’est pas énorme pour un coureur qui gagne bien sa vie il faut le prendre en compte.
Mais pour finir ma place n’était pas simple. Peu d’interaction avec l’équipe. Et puis on peut avoir l’image d’un profiteur vu de l’extérieur. Ou même vu des proches du coureur ou de sa famille. Qui peuvent se dire qu’on est là que pour se faire sa publicité. Pour profiter de l’autre. Mes amis d’enfance doivent rigoler s’ils lisent ça. Profiter des autres ne peut pas être plus à l’opposé de ma personnalité. La seule chose qui m’a habitée c’est de voir un coureur performant et bien dans ses baskets. Et croyez-moi ça n’est pas une sinécure. Car dans le sport de haut niveau il y a 98% de galères pour 2% de bonheur. Peut-être plus encore dans le vélo qui est tellement difficile. Mais l’aventure humaine a été géniale. On a passé beaucoup de temps ensemble sur le vélo et en dehors. Je garderai des souvenirs indélébiles et j’espère bien retravailler un jour avec un pro. Ce monde est unique. Je vais peut-être manquer de modestie en disant que mon profil atypique peut faire du bien dans un milieu dans lequel la quasi-totalité des entraîneurs sortent du même moule. Je ne me prends pas pour un autre mais pour quelqu’un qui a eu un autre parcours qui peut apporter un éclairage différent. Faire des bons plans d’entraînement on sait tous le faire. Mais derrière il y a tellement d’autres choses dans la performance d’un cycliste. Il y a la technique mais il y a l’humain. Et l’humain doit être majoritaire.
Un cadeau du coureur à son coach | © Frédéric Ostian
Ta marque de fabrique est d’être sur le vélo avec le coureur. Pas trop compliqué avec Maxime ?
– C’est certain que ça demande de garder un niveau. Car il est hors de question d’être un boulet. Être sur le vélo c’est pour moi capital pour « ressentir » le coureur. Souvent en stage avec Maxime je modifiais les séances en cours de route. Car je voyais à son coup de pédale ou à son mental s’il pouvait en mettre plus où à l’inverse si c’était trop dur. Je ne suis pas certain qu’en étant au volant de la voiture on puisse capter ces signaux de la même manière. En 2 ans et demi je crois qu’il ne m’a jamais dit qu’une séance était infaisable. Car je teste aussi toutes mes séances d’intensités. Et je l’ajuste ensuite au niveau du coureur. Ça me permet d’être créatif dans ce que je propose. Et Maxime me le disait : c’est cool d’avoir des séances nouvelles chaque semaine. Et puis je me dis que l’apport d’un entraîneur c’est aussi parfois de donner l’envie à un coureur de se défoncer pour son coach. Max devait parfois se dire : il mouille le maillot le coach, je ne peux pas le décevoir ! Même si c’est 1% de gain sur le mental c’est bon à prendre. Si je garde une image de l’entraineur que je rêvais d’être c’est un départ d’étape du Dauphiné. J’étais venu en vélo. J’accompagnais Maxime au départ en bavardant avec lui la main sur l’épaule. Romain Bardet que je connais par ailleurs nous double et nous dit : « c’est une super belle image le coureur et le coach avant le départ ». J’aime cette image de l’entraîneur de Tennis qui est au côté de son joueur. C’était mon rêve.
Du coup entrainer des non professionnels a le même intérêt ?
– Très clairement je répondrai par un grand OUI. Ce qui est intéressant c’est l’aventure humaine que l’on va partager avec son coureur. Pas l’importante de la course. J’ai souvent des coureurs qui s’excusent en me disant que préparer telle ou telle course ça ne doit pas être intéressant pour moi. Bien au contraire. C’est l’humain qui fait vibrer. Et la progression et le bien être que va trouver le coureur. Avoir quelqu’un d’heureux c’est pour moi la plus belle récompense ; Je voulais trouver du sens dans mon changement de vie professionnelle. C’est le plus beau que l’on puisse trouver. Le coaching ça n’est pas un chiffre sur une feuille de résultat. C’est le chemin que l’on va faire ensemble pour y arriver. Avec des profils tous uniques. Et un mot que je veux entendre plus que de raison : le plaisir ! Même s’il est parfois balayé d’un revers de main par l’envie de résultat.