Raymond Poulidor est parti ce matin, pour lui rendre hommage, nous avons souhaité remettre le Champion à l’honneur, avec cette interview qui date de 2014.

 

« J’ai assisté à l’évolution du Tour de France pas à pas. Evidemment, si j’arrivais maintenant, de 1962 à nos jours, je ne m’y reconnaîtrais plus. »

 

– Raymond, vous souvenez-vous de votre premier passage de Tour de France ?

Bien sûr. C’était en 1951, chez moi à Saint-Léonard-de-Noblat. J’étais sur le bord de la route, j’avais 15 ans et je m’étais déplacé tout seul, avec le vélo de ma maman, pour voir le passage du Tour de France. Je me souviens qu’un dénommé Roger Lévêque, un pistard, était Maillot Jaune. Evidemment, lorsqu’on est gamin et que l’on voit passer le Tour de France, qu’est-ce que l’on cherche ? Le Maillot Jaune ! Mais tout dépend où l’on est placé. Si c’est en montagne, on a le temps de l’apercevoir. Si c’est sur le plat ou en pleine bagarre, on veut tellement le voir qu’on ne voit finalement rien du tout.

 

– De là est née votre passion pour l’épreuve. Comment la suiviez-vous à cette époque ?

L’été, je travaillais avec mes parents, qui étaient domestiques agricoles. Le Tour de France se disputait au moment de la moisson, au mois de juillet. Alors quelquefois on faisait une pause. L’un d’entre nous allait écouter la radio et transmettait les résultats à toute la famille. C’était la TSF. Elle donnait quelques petits comptes rendus. Et si nous n’avions pas pu prendre les résultats, nous allions dans un café à côté où, sur un tableau noir, étaient affichés à la craie tous les classements. Je suivais ça régulièrement, et j’ai commencé dans le même temps à faire des courses régionales. On appelait ça les « courses sauvages » : ouvertes aux non licenciés. Il y avait des jeunes de 10/15 ans, des coureurs de 30/40 ans… Certains avaient des vélos de course, d’autres des demi-courses, d’autres des vélos de femmes…

 

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– Quel souvenir gardez-vous de ces premiers Tours de France que vous suiviez ?

A ce moment-là il y avait un duel Robic-Bobet. Et vous savez, quand il y a des duels, on prend toujours le parti du plus faible. Moi je prenais parti pour Jean Robic. Il avait des pépins à tout-va. D’ailleurs, une fois, on a détaillé les fractures qu’il avait. On a vu son squelette et je crois bien qu’il avait eu des fractures de tous les os qui existent ! Le crâne, le fémur, partout, partout, partout ! C’était le malchanceux mais quel panache, quel grimpeur ! Il n’avait peur de personne.

 

– En tant que coureur ou suiveur, vous avez couvert plus de la moitié des Tours de France de l’Histoire ! Quelle reste l’édition qui se détache dans votre cœur ?

Il y a eu ce fameux duel avec Jacques Anquetil en 1964, l’année où je suis passé très près de la victoire. Dix ans après, je me battais face à Eddy Merckx. Anquetil-Merckx, c’est ce qui se faisait de mieux dans le cyclisme. Pourtant le Tour de France qui m’a marqué reste mon tout premier en 1962. J’avais été sélectionné par Marcel Bidot pour disputer le Tour 1961 aux côtés de Jacques Anquetil dans l’équipe de France. Mais mon directeur sportif de Mercier Antonin Magne ne m’avait pas donné l’autorisation, sachant que l’année suivante le Tour de France allait se disputer par équipes de marques. Je me souviens donc avoir pris le départ de ce Tour 1962 sur la place Stanislas de Nancy, qui a bien changé, comme le Tour de France.

 

– Des débuts pourtant douloureux…

J’avais un bras dans le plâtre au départ, mais ça a été tellement merveilleux par la suite. Quand on m’a déplâtré, j’ai gagné la grande étape de la Chartreuse en réalisant 120 kilomètres d’échappée entre Briançon et Aix-les-Bains. Au final je termine 3ème de mon premier Tour de France, derrière Jacques Anquetil et Joseph Planckaert, en ayant perdu plus de neuf minutes le premier jour.

 

– Vous évoquiez un Tour de France qui a bien changé. Quelle en était l’atmosphère en 1962 ?

Je me souviens que sur le Tour de France, exceptionnellement, les directeurs sportifs avaient le droit d’avoir une deuxième voiture. Il n’y avait pas les bus qu’il y a maintenant aux départs et aux arrivées. Nous arrivions en voiture et nous nous préparions au milieu du public. On s’asseyait soit sur le pare-chocs, soit sur le trottoir. Et le public était là. Aujourd’hui il n’a plus ce même contact avec les coureurs qu’à notre époque. Mais il est tellement nombreux que c’est difficile à gérer. A l’époque 500 mètres de barrières suffisaient. Tout cela a bien changé, et je ne parle pas de l’infrastructure du Tour de France. J’ai assisté à cette évolution pas à pas. Evidemment, si j’arrivais maintenant, de 1962 à nos jours, je ne m’y reconnaîtrais plus.