Il y a 15 jours à peine c’était les Championnats du Monde de cyclo-cross. A-t-on une chance de voir un successeur à Dominique Arnould, dernier Champion du Monde français ?
– Si Antoine Benoist persiste dans le cyclo cross et accepte de rentrer dans le circuit fermé flamand (c’est-à-dire rentrer dans une équipe belge) il a une chance. Chez les filles c’est plus facile, on a une ou 2 filles qui on du potentiel pour monter sur la plus haute marche en Elites.
Je pense par exemple à Juliette Labous même si elle est sur une trajectoire route et cyclo cross en préparation. Marion Norbert-Riberolle a de belles qualités et se trouve déjà sur le circuit belge. Elle a cependant beaucoup de travail sur le plan technique alors que le physique est son point fort.
Vous regrettez ce cyclisme qui sacrifie le cyclo cross en France ?
– En France, on ne sacrifie pas le cyclo cross mais le souci est surtout que c’est une discipline qui est « bloquée » par les belges et les hollandais. Soit tu vas habiter en Belgique et tu entres dans ce circuit, soit tu n’y entres pas et passé 20-21 ans, c’est déjà trop tard.
On a vécu un début de saison marqué par 4 belles étapes sur Bessèges avec 4 victoires françaises. Quel regard avez-vous là-dessus ?
– Je dois encore être un vieux car ce sont des épreuves intéressantes à analyser, que l’on peut considérer comme « sociales ». Je n’aime pas ce terme mais je n’en trouve pas d’autre. On renoue avec la vie du peloton, avec la vie des groupes. A Bessèges on est dans la plus pure tradition du cyclisme. Sur le plan des résultats, il y a toujours des choses à dire. L’an dernier, j’avais noté et cela s’est confirmé, qu’il y avait une fraîcheur avec des noms comme Christophe Laporte et Marc Sarreau qui apparaissaient. J’aime le fait de garder cet aspect fraicheur même s’il ne laisse pas augurer de ce qui se passera dans 3 mois.
Mais quand le climat reste bon quand la fraternité est là comme dans le cyclisme français en ce moment, je trouve que c’est très sain et devrait donner de belles choses.
Votre métier de sélectionneur de l’Equipe de France, c’est un métier qui vous prend combien de jours par an ?
– D’abord ce n’est pas un métier, c’est une responsabilité ou une fonction que j’ai assurée. Je ne compte ni mes jours ni mes heures. Je considère que je n’ai jamais travaillé de toute ma carrière. Le travail c’est quand tu fais quelque chose d’alimentaire car tu as besoin de vivre. J’ai eu la chance, à part entre 14 et 18 ans en tant qu’apprenti, de ne jamais travailler à part l’administratif que je trouve rébarbatif.
© Cyrille Guimard
Avec le recul, le débat en légitimité par rapport à votre âge, qu’en pensez-vous ?
– Jusqu’à preuve du contraire, ce ne sont pas les gens de 30 ans qui gouvernent le monde, ce sont plutôt les gens de 60 ans et plus qui le font. Je n’ai pas du tout été touché par ces commentaires. Je sais comment les hommes et les médias fonctionnent. La compétence est un souci quand tu es jeune. Finalement, non seulement cela ne m’a pas touché mais cela m’a surtout amusé. Qui serait plus légitime que moi aujourd’hui ? Quand on observe le palmarès de mes coureurs en cyclo cross, celui de « mes » coureurs sur route, à l’heure actuelle qui dirige les équipes ? Des gens qui sortent de « chez moi ». Je n’en fais pas une gloriole. Si c’est réel c’est que j’ai apporté des choses aux gens qui ont travaillé avec moi.
J’ai toujours été dans la transmission du savoir. Je n’ai jamais mis de barrière. Au contraire, pour avoir une équipe qui tourne, il faut en face des gens qui ont soif d’apprendre et à qui tu vas avoir envie d’apprendre, des gens qui ont de la personnalité aussi. Tu ne bâtis pas une équipe avec des gentils, tu peux avoir des gentils mais on ne fait pas une équipe qu’avec eux. Je considère que j’ai donc ma légitimité et que pour l’heure je me sens intellectuellement en pleine forme. Ou alors, si ce n’est pas le cas il faut me le dire (rires).
A l’heure actuelle, je suis encore celui qui a le plus d’idées dans un monde conservateur comme ce n’est pas permis.
Cyrille Guimard remettant en selle Laurent Fignon / © L’Equipe
En parlant de vos élèves, quel est celui dans lequel vous vous reconnaissez plus ?
– Difficile à dire car en fonction de leur parcours, de leur personnalité, de leur culture chacun réussit. Que ce soit les frères Madiot, Martial Gayant, Yvon Ledanois, Jean-René Bernaudeau avec Dominique Arnould et j’en oublie forcément. Je suis plus satisfait de leurs réussites, pas seulement dans le sport. Par exemple, dans d’autres domaines je ne crois pas que Jacques Bossis ou Hubert Arbes n’aient pas réussi. Ou encore Bernard Hinault et Greg Lemond.
J’ai toujours essayé de donner une âme à un groupe. J’ai toujours fonctionné non pas avec une équipe mais avec un commando. C’est ça le management dont la 1ère qualité est le recrutement. Avec des gens qui sont capables de vous apporter aussi. Des coureurs comme Robert Mintkiewicz, Fignon ou Lemond m’ont personnellement beaucoup apporté.
A partir du moment où le recrutement est réalisé, il faut être dans l’échange, notamment des convictions. Il n’y a rien de plus « mauvais » qu’un patron s’offusquant que ses collaborateurs puissent avoir des idées, des avis voire des avis tranchés. Ou alors ça veut dire qu’il y a un problème de complexes.
Après, je dois dire que j’ai bénéficié de grands maitres dans le management, notamment des directeurs chez Castorama ou Système U. Quand on a la chance d’avoir pu les côtoyer, on n’a pas besoin de diplômes.
Aujourd’hui, vous managez des jeunes dont l’environnement est régit par un aspect que vous n’avez pas connu en tant que coureur : les réseaux sociaux. Avec pour conséquences chez le coureur cycliste, une utilisation monomaniaque du téléphone portable ou bien l’augmentation de l’ego quand il a des milliers de followers. Comment appréhendez-vous cela ?
– En réalité, je m’en moque complètement. Pour moi, une seule chose compte : la relation humaine ainsi que l’affect qui va exister entre l’autre (ou le groupe) et moi. Il faut recréer différemment la communication. Mais par exemple, quand j’ai l’Equipe de France pendant 3 jours, faut-il rompre avec habitudes que les coureurs ont par ailleurs toute l’année ?
Paradoxalement, je n’ai jamais interdit le téléphone mais finalement très peu l’ont réellement utilisé. Si je note quelque chose, cela peut arriver que j’en fasse la remarque en aparté.
Après, en Equipe de France tu n’es plus dans l’habitude et la routine de l’équipe pro.
A suivre le 2ème volet demain…