Avec l’émergence récente à très haut niveau de certains phénomènes qui passent directement de la catégorie Junior à celle des Professionnels, victoire à l’appui, la catégorie des Espoirs a-t-elle toujours une raison d’être ?
Finalement, Remco Evenepoel n’est pas seul au monde. En effet, Tadej Pogacar le 3ème de la dernière Vuelta (il fêtait ses 21 ans quelques jours plus tard), vainqueur du Tour d’Algarve et du Tour de Californie, semble marcher sur le même genre de trace que le phénomène Belge. Quinn Simmons, le Champion du Monde Junior 2019 est déjà professionnel cette année, non pas dans une « petite » équipe mais directement chez Trek Segafredo.
A ces coureurs, il est possible d’ajouter Mathieu Van der Poel qui a été Champion du Monde Elites en cyclocross à un âge où il aurait pu prétendre courir chez les Espoirs – il a d’ailleurs été Champion du Monde Junior sur route en 2013. N’oublions pas Egan Bernal, professionnel à 19 ans et vainqueur de la plus grande course du monde – le Tour de France – à 22 ans ou encore Peter Sagan, 5 « gagnes » en 2010 à l’âge de 20 ans dont 2 étapes de Paris-Nice et des étapes sur le Tour de Californie ou en Romandie. Ces coureurs là n’ont pas connu les Espoirs, cette catégorie qui est souvent assimilée à une passerelle entre les Juniors justement et les professionnels. Cela ne semble pas leur avoir porté préjudice et ils auraient certainement perdu du temps et une certaine progression s’ils avaient « végété » en Espoirs. Pour autant, ne s’adresse-t-on pas à ici aux meilleurs des surdoués de la route, avec une génération contemporaine de coureurs exceptionnels ? Un peu comme si l’on considérait normal d’avoir 3 des plus grands Champions de tennis de l’Histoire (Roger Federer, Novak Djokovic et Rafael Nadal) jouant en même temps sur le circuit. La probabilité est pourtant très faible.
Egan Bernal | © Team Ineos
En dehors des phénomènes
Il serait certainement trop réducteur de supprimer une catégorie d’âge sous prétexte que 5 ou 6 coureurs hors normes s’en sont passés. Cela serait oublier les cas de la plupart des professionnels dont la progression est plus lente, comme des diamants que l’on façonne au fil du temps. Et ici, les exemples sont finalement plus nombreux, ceux ayant atteint leur apogée cycliste durant leurs meilleurs années sans avoir fait parler d’eux, ni chez les Juniors, ni chez les Espoirs ni durant leurs 1ères années chez les professionnels. Le plus connu d’entre eux est très certainement Chris Froome mais les cyclistes ont immensément plus souvent leur meilleur rendement à 28 qu’à 20-22 ans !
Sur les dernières années en observant le palmarès des Championnats du Monde Espoirs, nous retrouvons les noms de coureurs qui « marchent » aujourd’hui. Michael Matthews, Arnaud Démare, Alexey Lutsenko, Matej Mohoric ou Benoît Cosnefroy sont autant de coureurs ayant inscrit leur nom au palmarès du « maillot irisé des jeunes ». Il est évident que le passage chez les professionnels leur a permis de poursuivre leur progression mais au contraire, s’ils avaient atteint ce rang à l’âge où ils ont été Champions du Monde Espoirs, la marche aurait pu être trop haute. Avec le risque d’être découragé, de devoir se cantonner dans le rôle d’équipier ou encore de perdre cet instinct de la gagne, celui qui s’acquière lorsque l’on court à son niveau plutôt que lorsque s’enchainent les courses où la tête n’est qu’un lointain mirage.
Pas seulement les Espoirs
Ce phénomène peut largement s’étendre à d’autres catégories d’âge, de sexe et même de niveau. Prenons pour exemple le niveau Elites amateur : les jeunes coureurs qui ne se frottent qu’aux « vieux de la vieille » ayant l’expérience voire une certaine ruse, de même que la maturité physique de leurs 30 ans, peuvent gêner la progression de ces jeunes qui doivent parallèlement progresser physiquement mais aussi tactiquement, pour éviter de faire à l’échelon supérieur des erreurs qu’ils ont commises précédemment.
Arnaud Démare peut être pris pour référence, lui qui terminait entre autres 5ème des Championnats du Monde Espoirs en 2010, ce qui lui aurait permis de légitimement avoir sa place chez les professionnels. Au contraire, il a préféré poursuivre une année supplémentaire au sein du club de Nogent sur Oise, afin de continuer à se mesurer aux meilleurs amateurs français. 2011 a donc été pour lui l’année de transition par excellente avec de belles victoires en amateurs puis une place de stagiaire pro (Française des Jeux) au mois d’août sur le Tour du Poitou Charente avant le titre mondial le mois suivant. Tout était réuni pour un passage chez les pros en 2012 avec une maturité globale très élevée, comme en attestent ses 4 victoires sur l’année dont la Vattenfall Cyclassics, épreuve classée en World Tour.
Arnaud Démare | © Arnaud Démare
Autre exemple de progression en courant à son niveau, avec la FFC qui permet aux cadettes de courir avec les cadets lorsque leur contingent est réduit. Mais elles subissent plus la course qu’elles ne pèsent dessus. C’est donc bien grâce à des courses à leur niveau, entre filles, que se développe le sens tactique, la gestion des efforts plutôt que de passer 1h30 les fesses sur le bec de selle avec pour seul point de repère la roue arrière du coureur qui précède.
Le 2 cas de figure sont possibles
Le compromis actuel ne semble pas si bancal : pour les surdoués du cyclisme, la question ne se pose finalement pas. A 18-20 ans, quand un Bernal ou un Evenepoel ont des watts pour jouer la victoire chez les pros, l’intérêt de la catégorie des Espoirs est très certainement nul. D’une part, ils perdent leur temps et d’autre part, ils en font finalement perdre à leurs adversaires, qui jouent directement la 2ème place (avec l’absence de tactique qui s’y rattache) au lieu de les aider à finir leur formation. Ces mêmes coureurs, qui ont peut-être besoin de plusieurs saisons à 30000 km annuels et de développer leurs qualités tactiques sur de nombreuses courses avant de donner le meilleur d’eux-mêmes. Et c’est bien la catégorie Espoirs qui offre cette possibilité, celle de travailler sur la durée.
Par Olivier Dulaurent