Les raisons qui peuvent l’expliquer sont peut-être à chercher du côté des cadors.
En cette intersaison 2019-2020, au moment où Marcel Kittel arrête sa carrière à seulement 31 ans, où Mark Cavendish change une nouvelle fois d’écurie pour rejoindre Bahrain-Merida en espérant oublier chutes et autres virus, et enfin où Andre Greipel espère rebondir chez Israël Cycling Academy, le sort des 3 meilleurs sprinteurs de la décennie passée interroge.
Pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, il convient de se pencher rapidement sur les carrières respectives de ces 3 as du 53×11 à 105 tr/min (soit 64 km/h environ).
– Marcel Kittel représente un véritable gâchis sur la fin de sa carrière. En effet, à 29 ans alors qu’il n’enchainait rien de moins que 5 victoires sur le Tour 2017, il était le meilleur sprinteur du monde. Irrésistible sur les derniers 200m, ses victoires ne souffraient pas la contestation tant les écarts sur la ligne d’arrivée étaient flagrants. Pourtant, quelques mois après seulement, c’est-à-dire sur l’ensemble de la saison 2018 il ne gagne que 2 fois, sur Tirreno Adriatico. Un bilan indigne de son rang de meilleur du monde dans sa spécialité. 2019 est pire encore : un seul succès sur le Trofeo Palma et une saison bouclée au 10 avril qui l’a amené à déclarer peu de temps après : « Au cours des deux derniers mois, j’ai eu le sentiment d’être épuisé. En ce moment, je ne suis pas capable de m’entraîner et de courir au plus haut niveau. Pour cette raison, j’ai décidé de prendre une pause et de prendre du temps pour moi, de réfléchir à mes objectifs et de préparer un plan pour mon avenir. » Mais de pause et d’avenir cycliste, il n’y aura pas puisqu’il a finalement annoncé l’arrêt de sa carrière.
Marcel Kittel | © Sirotti
– Andre Greipel s’est maintenu plus longtemps au tout meilleur niveau : 4 étapes sur le Tour en 2015 (à 33 ans), Champion d’Allemagne, 3 étapes sur le Tour d’Italie et une étape sur le Tour de France en 2016 (à 34 ans). Il a ensuite marqué assez brutalement le pas, n’empochant plus autant de succès d’envergure même si son bilan 2018 faisait encore état de 8 victoires c’est-à-dire un bilan qui contenterait beaucoup de sprinteurs. C’est d’ailleurs sur cette base encore relativement solide qu’il avait été embauché par Akéa-Samsic pour 2019. Mais avec une seule victoire à la clé, sur la Tropicale Amissa Bongo à la concurrence modeste pour un coureur de son niveau.
André Greipel à pied dans la dernière rampe de la Planche des Belles Filles | © Sirotti
– Mark Cavendish est souvent considéré comme le meilleur sprinteur de tous les temps. Ses 30 victoires sur le Tour de France et ses 15 succès sur le Giro en attestent. Mais sa carrière a connu de nombreux hauts et quelques bas du fait de son tempérament tempétueux l’ayant souvent conduit à goûter à l’asphalte. Alors que les saisons 2014 et 2015 (à 30 ans) l’avaient vu empocher moins de succès d’envergure qu’à l’accoutumlée, il s’était parfaitement repris en 2016 avec 4 victoires sur la Grande Boucle. Mais c’était avant qu’il ne contracte une mononucléose. Depuis il n’a jamais vraiment retrouvé son niveau.
– Dans un passé un peu plus lointain, Mario Cipollini montre la même courbe de carrière. Jugez plutôt : en 2002, à 35 ans il réalise une saison somptueuse : Milan San Remo, Gand Wevelgem, Championnats du Monde, 6 étapes du Giro et 3 étapes de la Vuelta s’ajoutent ainsi à son palmarès. Mais 2003 amorce un déclin brutal même si 4 victoires (dont 2 sur le Tour d’Italie) figurent à son bilan. 2004 puis 2005 poursuivent la baisse et annoncent la fin de carrière.
Finalement, que retirer de ces 4 expériences ? Le fait qu’à un certain âge, finalement assez variable entre Marcel Kittel (30 ans) et Andre Greipel/Mario Cipollini (35 ans) – Mark Cavendish se situant entre les 2 coureurs allemands -, les performances chutent très brutalement d’une année à l’autre, comme si un ressort s’était cassé. Définitivement par définition ?
Les raisons de l’insuccès
Evidemment, à ce niveau-là de performance c’est-à-dire au top niveau mondial dans un domaine qui se joue souvent au millimètre, les « non succès » peuvent s’expliquer. Par exemple, par une légère méforme qui a obligé pendant la course le coureur à entamer un potentiel physique faisant défaut dans les derniers mètres. Mais il s’agit souvent d’un problème résultant d’un véritable cercle vicieux : le sprinteur qui gagnait mais ne gagne plus (pour un détail parfois) finit par douter. En doutant, il fait les mauvais choix au mauvais moment et gagne encore moins… doutant encore plus. D’autant qu’il ne faut pas perdre de vue que le sprint est un véritable « combat » au dernier qui freine avant tel virage, au 1er qui frotte avant tel rétrécissement, préservant ainsi des pulsations (ou des watts) qui seront déterminants dans l’emballage final.
Avec les années, il est possible d’imaginer que des coureurs ayant déjà beaucoup gagné, étant parfois pères de famille, se mettent à placer un coup de frein là où l’adversaire de 25 ans, plus avide de victoire encore, fera tout pour gagner quitte à se mettre en danger. A cela, s’ajoute forcément un « vieillissement » au niveau des fibres rapides dont nous savons qu’elles se dégradent plus vite que les fibres lentes, celles de l’endurance. Marcel Kittel est probablement entré dans cette catégorie, lui qui était arrivé chez les pros comme rouleur puis qui s’était façonné un physique de sprinteur à force de travail. Moralement, il ne semble pas avoir supporté sa saison 2018 durant laquelle il a couru après la forme et les victoires alors qu’il semblait imbattable quelques mois avant.
Pour Andre Greipel, il est difficile de l’imaginer jouer régulièrement la victoire la saison prochaine alors qu’en 2019 il a rarement été présent… pour tenter de disputer le sprint.
Quant à Mark Cavendish, son cas est certainement plus mystérieux car l’homme a souvent été présent là où les suiveurs ne l’attendaient plus. Pour autant, en 2020 il fêtera ses 35 ans. Difficile donc de se projeter sur une inversion de la tendance des 2 dernières saisons. Mais the Man of Man reste motivé comme en atteste sa 31ème place sur les derniers Championnats du Monde qui déroulaient certes dans son pays mais dont le parcours et les conditions météorologiques auraient pu le faire abandonner depuis longtemps. La condition physique qu’il affichait ainsi sur ces 280 km lui ont forcément permis de faire sa coupure hivernale avec une excellente condition physique et donc de reprendre avec un niveau qu’il n’a pas eu depuis longtemps.
Par Olivier Dulaurent