Depuis quelques jours, un débat agite les amateurs de cyclisme de compétition : la FFC a en effet annoncé que les braquets allaient devenir libres dès la saison prochaine, et ce à partir de la catégorie des minimes pour les filles (qui vont courir avec les cadettes) et des cadets pour les garçons, et pour les courses se disputant sur la route. Les minimes garçons vont conserver leur 46×14 actuel.
Dans son immense majorité, cette décision a d’abord surpris et rapidement choqué, scandalisé, écœuré, etc.
Pourtant, ces réactions à chaud se placent par définition sur le registre de l’émotion et de l’expérience personnelle, comme celle de « Marcel » qui a gagné le Grand Prix de Trifouilly les Bois en 1979 après avoir pris 10 kg l’hiver, repris après 2 mois de coupure, enchainé 2 mois de petit plateau avant de l’emporter au sprint en 52×14.
Le sujet est d’autant plus délicat que nous parlons ici de jeunes cyclistes et même de jeunes qui sont potentiellement nos enfants, que tout le monde veut évidemment voir s’épanouir dans sa pratique sportive, avec une belle progression à la clé, une absence de blessures et en faire des fervents adeptes de notre sport pour de longues années. En bref, tout le monde veut le meilleur pour nos jeunes, que soit « Marcel » ou la FFC.
Mais la façon de parvenir aux objectifs a de quoi diviser.
52 et 39, des plateaux autorisés pour nos jeunes cyclistes | © Vélo 101
Pour le maintien des braquets limités
La position visant à poursuivre la règle actuelle qui fixe par exemple le 50×14 chez les cadets et le 46×14 chez les minimes, insiste sur « l’égalité des chances ». Elle indique que les différences de morphologies et d’avancée dans la puberté sont tellement importantes que le fait de permettre un 53×11 ne va faire que creuser les écarts.
Par conséquent, ces écarts qui auront été créés vont aboutir à écœurer ces sportifs en devenir. Pire même, ils vont être « cassés », voire se blesser en tirant les mêmes braquets que Wout Van Aert. Le syndrome du dopage continuant de planer pour certains suiveurs car pour pousser les développements de 10m à chaque tour de pédale, il sera nécessaire de « se soigner ».
Pourtant, il suffirait de suivre l’exemple de Lucien Van Impe qui aurait gagné des kermesses sur le 48×14 et qui a été le professionnel et même l’excellent grimpeur que l’on sait.
L’un des buts de la FFC devrait être de garder des effectifs importants alors qu’à l’inverse, le nombre de licenciés continue à décroitre. Car, à coup sûr, les « lâchés » du dimanche ne vont plus reprendre de licence l’année prochaine, alors que les braquets limités permettaient de minimiser les écarts et ainsi de garder la motivation des jeunes. Certains parents ont même peur que leur fils en cadet, « taillé comme une allumette » pour cause de puberté à peine tardive, ne finisse par faire du sur place, bloqué qu’il sera sur son fameux 53×11.
Le départ d’une course cadets, en braquets limités | © Ecole de Cyclisme Bourg en Bresse
Pour l’arrivée des braquets libres chez les jeunes
Chaque argument visant à ne rien changer peut véritablement être combattu, avec les mêmes buts : former des cyclistes français d’élite internationale, garder des jeunes cyclistes qui s’amusent sur le vélo et par conséquent repeupler les effectifs.
Abordons d’entrée un aspect moins crucial et relativement temporaire a priori : limiter le casse-tête du matériel, dans un contexte accentué par une certaine pénurie de composants.
Vouloir éviter d’écœurer les jeunes moins forts, moins puissants, moins avancés dans la puberté, c’est remettre en cause le principe même de la compétition, qui fait qu’actuellement il y a déjà un premier, un podium et un dernier. Et ce à chaque course ! Penser que l’on va éviter d’écœurer certaines jeunes en laissant un 46×14 ou un 50×14, c’est oublier bien vite que les différences se font déjà dans les bosses par exemple où, en raison même de la pente il n’y a pas vraiment de braquets limités (dès lors que l’on cherche la plus grande efficacité, base de tout sport d’endurance).
En évoquant spécifiquement les braquets et les bosses, monter assis, en force, un raidard à 12% en 50×14 est aujourd’hui possible en course ou à l’entrainement pour travailler la force mais caresser un 53×11 sur un long faux plat descendant vent de dos au cœur d’un peloton lancé à 70 km/h, est interdit parce que cela va casser nos jeunes, les blesser voire les conduire au dopage ? En suivant ce raisonnement par l’absurde, c’est plutôt les bosses qu’il faudrait supprimer des courses chez les jeunes, là où les puissances développées sont les plus élevées sur la durée et surtout là où les cadences sont les plus basses.
D’ailleurs, puisqu’il est question de cadence, ce n’est pas parce qu’un développement de 10 m est installé sur un vélo d’un cycliste qu’il est toujours le plus pertinent. Loin de là évidemment. Bien plus encore que les adultes, les jeunes cyclistes savent tourner rapidement les jambes et pour un instant précis si le 53×17 ou le 53×14 sont plus efficaces, c’est ce braquet qu’ils vont employer. Naturellement et parce qu’il est plus économique.
Ainsi, les phases où les braquets supérieurs aux 46×14 ou 50×14 (actuellement en place) seront utilisés, seront uniquement les moments où ils seront plus efficaces. Penser que nos jeunes cyclistes vont rouler sur le gros braquet dès le km 0 et jusqu’à l’arrivée, est bien mal connaitre la façon dont sont gérées concrètement les cadences à ces âges-là. Par ailleurs, ces moments de « gros braquets » seront précieux et vont poursuivre l’apprentissage des cyclistes, sur le plan du rythme avant le passage à la catégorie d’âge supérieure, sur le plan de l’adresse sur le vélo également car les vitesses enregistrées seront plus élevées.
Pour autant, le travail de la vélocité ne sera pas oublié par les entraineurs et éducateurs, au même titre que toutes les autres qualités qu’il convient de travailler pour devenir un meilleur cycliste. D’ailleurs, s’inquiète-t-on de la « santé » du jeune cyclocrossman ou du jeune VTTiste quand il s’arrache à 60 tours/min dans un bourbier ou un talus très raide à passer en force sous peine de descendre du vélo ? Dans ces disciplines, les braquets ne sont pas limités et pourtant, il n’y a pas de blessures supplémentaires, pas plus de coureurs qui jettent l’éponge du fait de l’utilisation par des adversaires de braquets supérieurs. Au contraire, davantage que sur la route, les écarts dans ces 2 disciplines sont nettement supérieurs. Notamment parce que la notion de puissance (et de force, ne confondons pas les 2 notions) y est fondamentale, du fait de la différence de VO2 max, d’entrainement, de gabarit ou de puberté.
Des cadets qui utilisent les dérailleurs à bon escient | © Ecole de Cyclisme Bourg en Bresse
Enfin, le vélo étant un sport mécanique, le choix du développement reste particulièrement tactique (notamment sur la piste par exemple) et à ce sujet il est intéressant de faire intervenir cette notion assez tôt dans leur apprentissage. Donc, oui le 58×11 sera contre-productif pour une jeune cadette alors que l’argument est jeté en pâture sur les réseaux sociaux pour discréditer l’ouverture aux braquets libres. A l’inverse, ce choix est à faire avec l’athlète en fonction de sa condition physique, de ses aptitudes et préférences pour avoir la meilleure utilisation possible en fonction du terrain. C’est d’ailleurs ce que font les pros, qui n’ont jamais autant mouliné depuis quelques années et qu’ils peuvent aujourd’hui parfois s’équiper d’un 58×10 s’ils le souhaitent. Preuve s’il était nécessaire, que le « tout à droite » installé sur un vélo n’augure en rien les cadences employées. Bien au contraire !
Au-delà du débat qui anime les 2 parties, lire ici les arguments de la FFC en faveur de la suppression des braquets limités chez les Juniors :
https://www.ffc-bfc.fr/uploads/actualites/f5088c71c2d8aa77ed579ec47a298b42.pdf
Par Olivier Dulaurent