Dès les 1ers jours du confinement mi-mars, les coureurs pros dont les règles étaient strictes (principalement en France, Espagne et Italie) se sont montrés le plus souvent solidaires avec la crise sanitaire, mais agacés parfois, résignés souvent quant à leur « situation professionnelle » par rapport aux pays dont les conditions pour s’entrainer étaient plus souples. Comme en Belgique ou en Allemagne principalement.
Comme si, à la sortie du confinement ils auraient été victimes d’un véritable cyclisme à 2 vitesses : celui des « extérieurs » et celui des « intérieurs » à grands renforts de courses Zwift et de séances – trop – courtes.
Pour autant, quelles sont les possibilités réellement offertes par le home trainer en termes de performance ? Il n’est bien sûr pas question de plaisir mais le débat s’adresse à ceux dont le métier est de pédaler. Ceux-ci doivent parfois boucler une sortie de 5h, « parce qu’il le faut » c’est-à-dire parce que c’est leur entraineur qui a jugé bon de placer cette séance-là ce jour-là.
Pour tenter d’aller plus loin sur la question de la condition physique acquise par les adeptes forcés de l’entretien sur le home trainer, un témoignage intéressant et bien écrit est arrivé par Vincent Martins, coureur amateur en 2ème catégorie FFC et lui-même entraineur.
Vincent Martins | © Profil Facebook
Nous sommes en 2020 et il y a une chose fantastique qui s’appelle le home-trainer. Je précise que mon home-trainer n’est pas connecté et sans regrets quand je lis certaines polémiques sur les compétitions virtuelles parues il y a quelques semaines.
J’admets l’avantage de pouvoir simuler une compétition, de se confronter aux autres pour pouvoir mieux appréhender sa progression et se stimuler davantage pour dépasser ses limites.
Mais il doit être remis à sa place, gagner une course sur home-trainer, c’est à mes yeux comme gagner une pancarte à l’entraînement, ça rassure, ça fait plaisir, mais ce n’est pas gagner une course avec un troupeau d’adversaires le couteau entre les dents motivés à te faire la peau…
Peut-on se préparer correctement pour un haut niveau de compétition en utilisant uniquement le home-trainer sans pouvoir rouler sur route ?
Je crois que le home trainer permet de travailler toutes les qualités nécessaires à un cycliste, tant physiques (l’endurance, la PMA, le « lactique », les changements de rythme, le seuil) que physico-techniques comme la vélocité ou la force spécifique…
-Certes de nombreux repères sont changés, certes n’est pas idéal pour le sprint ou le travail technique en danseuse (et encore on peut largement débattre sur ces deux points).
-Certes on n’a pas les mêmes repères que dans un peloton (notez que ceux qui ont le droit de s’entraîner sur route en ce moment doivent le faire seul).
-Certes la fatigue musculaire et la perte en minéraux sont plus importantes (il y a de nombreuses stratégies de récupération et d’alimentation pour contrecarrer à ces 2 inconvénients).
-Certes ce n’est pas forcément agréable de rester 2, 3, 4 heures fixe dans son garage à suer comme un orage d’été.
-Certes ce n’est pas forcément pour ça qu’on fait du cyclisme… quand on rêve de magie de paysages, de grands espaces, de découverte.
Mais je crois qu’on peut largement maintenir et largement développer son potentiel grâce à cet outil, qui est d’ailleurs à mes yeux, indispensable même à celui qui a la liberté d’aller en extérieur.
En effet, il y a de nombreuses séances clés d’entraînement que je ne conçois de faire que sur ce support, qui permet une plus grande précision et une plus grande concentration dans l’effort, sans être influencé par des paramètres extérieurs (vent, circulation, feux ou stop, état de la route, pente irrégulière…)
Et par rapport à de très nombreux sportifs, nous, cyclistes, sommes très avantagés de pouvoir utiliser cet outil.
Songeons par exemple aux nageurs, aux joueurs de tennis ou aux boxeurs… et admettons que nous sommes de grands privilégiés…
A titre personnel, entre le 23 mars et le 27 avril, 5 semaines à avoir vraiment remis en route avec respectivement 20, 24, 21, 31, 18 heures par semaine soit 114 heures en tout, en moyenne 3h15 par jour, combiné au footing (1h30/semaine), à la musculation (12h/semaine), au gainage et aux étirements (10h/semaine), sans compter le jardinage (j’ai la chance d’être confiné dans un endroit où il y a de quoi faire à ce niveau…)
Et je ne suis qu’un modeste petit coureur, avant tout un passionné.
Pour aller plus loin sur le témoignage de Vincent Martins et en se plaçant au niveau professionnel :
-Il est certain que la condition physique d’un professionnel s’étant entrainé à l’intérieur ne sera pas immédiatement tout à fait égale à celui qui aurait pu rouler en extérieur. Il sera nécessaire d’effectuer quelques sorties de remise en route car le coup de pédale n’est pas tout à fait identique sur route. Le pratiquant pur de home trainer n’aura pas pu effectuer autant de pédalage en danseuse. Cependant, les prochaines courses étant prévues à une échéance lointaine, tout va revenir dans l’ordre.
-Effectuer 3h de home trainer c’est réellement 3h de pédalage, quand une partie des sorties sur route est constituée par de la roue libre, qui n’apporte rien physiologiquement parlant.
-S’entrainer sur home trainer c’est être certain de pédaler dans les bonnes zones de puissances, quand l’extérieur ne permet pas toujours de choisir les justes intensités.
-Une séance de 4h effectuée sur home trainer sera certainement plus payante qu’une séance en extérieur effectuée sur 5h par de mauvaises conditions atmosphériques. D’une part parce que, indoor l’organisme ne sera agressé que par la séance et non la lutte contre les éléments (« pour la survie » parfois…) et d’autre part parce que 5h sous la pluie ne permettent pas de faire de spécifique dans de bonnes conditions surtout considérant la période de l’année.
Chris Froome pendant le confinement | © Team Ineos
Pour revenir aux professionnels, citons Chris Froome qui se bat depuis près d’un an pour revenir à son meilleur niveau après sa chute impressionnante en marge du Dauphiné Libéré. Dans une interview accordée à l’Equipe il raconte avoir été rapidement confiné à son domicile monégasque. A raison de semaines stakhanovistes dont il a le secret (jusqu’à 30h par semaine de Home Trainer sans compter des exercices de renforcement), il explique être dans les mêmes niveaux de watts que lors de sa saison 2019. Ces références ont de quoi laisser songeur, comme si un tel « régime » pouvait remplacer des stages d’avant saison, de longues sorties en montagne et quelques courses de préparation. Sur la base de son témoignage, difficile de penser que les cyclistes confinés seront en retard quand la saison va recommencer par rapport à leurs collègues qui ne l’ont pas été, à l’image d’un Remco Evenepoel dont l’une des récentes sorties de 217 km (en Belgique) a fait le tour des réseaux sociaux.
Finalement, peut-on imaginer qu’en 2020 avec les outils dont il dispose aujourd’hui, un pro arrivant en méforme après 2 mois de home trainer (et 15 jours de remise en route en extérieur) a fait une faute professionnelle ? Si la question peut effectivement se poser aux alentours du 1er juin, elle ne pourra pas être utilisée comme excuse à l’heure où les courses devraient recommencer… 2 mois après.
Par Olivier Dulaurent