C’était un peu « Sky/Ineos devant, les autres derrière ».

Précisons que cette tactique était surtout présente quand un représentant de l’équipe se présentait en favori. En d’autres termes, surtout quand Bradley Wiggins, Chris Froome dans un 1er temps, rejoints dans un 2ème temps par Geraint Thomas et Egan Bernal, se présentaient pour jouer la gagne.

Sur le Giro par exemple, quand ces coureurs n’étaient pas présents ce schéma de course n’était pas adopté, au profit du spectacle bien souvent, mais ceci est un autre débat.

Sur le Tour de France, c’est-à-dire la course par étapes la plus prestigieuse et la plus relevée, Sky/Ineos mettait tous les moyens : les meilleurs coureurs, le leader emblématique du moment et pour couronner le tout, une préparation de stakhanoviste à coups de centaines de milliers de dénivelé positif sur les pentes du Teide à Tenerife entrecoupée de quelques courses de réglage (au Dauphiné notamment).

Pour les adversaires, pas vraiment de questions existentielles à se poser : les britanniques prenaient la course à leur compte et il fallait suivre le tempo très élevé d’équipiers étant de potentiels leaders dans d’autres équipes (Michal Kwiatkowski et Wout Poels par exemple, passé cette année prendre un peu de liberté chez Bahrain-McLaren). Il « suffisait » d’attendre une défaillance du leader pour espérer pouvoir quelques petites secondes. Mais de défaillance, il n’y en a pas eu très souvent. Les cas se comptent sur les doigts de la main notamment lors de circonstances de courses exceptionnelles dont a su bénéficier par 2 fois Romain Bardet : à l’arrivée au Bettex (pluie, chute de Froome) en 2016 et à Peyragudes (fringale de Froome) en 2017.

nullAvalanche de leaders chez Ineos | © Le Tour

2020, le changement c’est maintenant

Mais la saison qui démarre pourrait bien changer la donne, à plusieurs niveaux :

  • Ineos s’est attaché les services de Richard Carapaz alors qu’il est possible de se demander pourquoi l’équipe a fait ce choix en comptant à présent 4 « gros » leaders (Richard Carapaz, Egan Bernal, Geraint Thomas, Chris Froome) alors que le calendrier ne compte que 3 Grands Tours. Était-ce parce que le tempo n’était pas assez rapide de la part des équipiers qui faisaient le travail jusque-là ? Difficile à croire. Parce que les 4 coureurs vont se répartir équitablement les courses par étapes du calendrier ? Toujours difficile à croire, dès lors que l’on comprend bien qu’à demi-mots ils souhaitent se retrouver en pole position sur le Tour.

nullRichard Carapaz sur la dernière étape du Giro 2019 | © Sirotti

  • Jumbo Visma a réalisé à l’intersaison le transfert de l’année en allant chercher Tom Dumoulin, venu renforcer un peu plus l’équipe comprenant déjà Primoz Roglic, Steven Kruijswijk sans compter des équipiers de talent en haute montagne que sont Laurens De Plus et George Bennett.

Ainsi, est-ce un concours de circonstances qui fait que les 2 équipes ont fait le même choix au même moment, à savoir ajouter un leader de très haut niveau à un effectif déjà largement pourvu ? L’encadrement a probablement estimé que cette tactique était meilleure que celle d’avoir un ou des équipiers de grande valeur. Lorsque l’on connait la difficulté de gérer le leadership de coureurs dont le talent et l’ego de chacun (dans le bon sens du terme, parlons plutôt de « caractère ») doivent cohabiter ensemble, on ne peut que souhaiter beaucoup de pouvoir de persuasion au staff de ces 2 équipes.

nullPrimoz Roglic vainqueur de la Vuleta 2019 | © Sirotti

 

Est-ce que le spectacle peut sortir grandi de tels choix ?

Plusieurs cas de figure peuvent s’envisager :

–          Si les tactiques restent « frileuses », à savoir faire rouler les équipiers (voire les leaders, ceux-ci étant nombreux) à allure rapide et attendre que tout se joue sur les 3 derniers kilomètres en montagne, le spectacle risque de ne pas y gagner. La seule interrogation serait alors : qui va mener, Ineos ou Jumbo/Visma ? Sur la base des dernières années, il est possible d’imaginer qu’Ineos sait où elle met les pieds en gardant une telle tactique, qui lui réussit d’ailleurs. Mais un Nicolas Portal (Directeur Sportif chez Ineos) est suffisamment malin pour tenter parfois un coup de poker et « jouer » avec ses adversaires.

–          Avec cette abondance de leaders, il reste à espérer que certains leaders prennent des risques en tentant de renverser le cours des choses. Dans le cyclisme moderne, ce schéma de course qui ravit tant les suiveurs est pourtant rarement exploité. Movistar par exemple, n’a jamais vraiment exploité ce filon même lorsqu’elle comptait Nairo Quintana, Alejandro Valverde et Mikel Landa dans la même équipe. Le Tour 2019 reste probablement le meilleur exemple de ce qu’il ne faut pas faire et de l’inutilité d’avoir 3 coureurs jouant les 1ers rôles au général.

–          Avec nos 2 armadas Ineos et Jumbo-Visma tentant de réguler l’allure en tête de peloton, elles pourraient se focaliser à l’excès sur la tactique de l’autre, laissant partir des coureurs sous-estimés à tort. Dans cette catégorie, Vicenzo Nibali pourra regretter longtemps son obsession de Primoz Roglic sur le Giro 2019, ce qui a finalement laissé le champ libre à Richard Carapaz, ce dernier finissant par monter en puissance au fil des étapes.

Une telle erreur pourrait se répéter entre les 2 équipes les plus fournies au sommet de la pyramide. Reste à savoir qui pourrait bénéficier d’un tel cadeau mais surtout qui va tenter de le recevoir…

 Par Olivier Dulaurent