Benoît, peux-tu te présenter ?
Bonjour, alors j’ai eu un parcours assez atypique, j’ai fait du vélo au niveau amateur jusqu’à du DN 2 en première catégorie. Dans les années 1990 j’ai complètement arrêté pour m’orienter vers de nouveaux horizons, comme le parapente et le kitesurf pour lequel j’ai travaillé. Mon parcours pour revenir au vélo a commencé à la suite de la demande de mon fils de vouloir faire du VTT. Puis les copains ont commencé à me pousser à m’y remettre et je m’y suis pris au jeu. J’ai acheté un premier vélo type endurance puis un second vélo un peu plus « cyclosportive ». Mais je m’y suis remis sans contraintes, avec les copains, et aussi pour redécouvrir le beau paysage de ma région en étant un peu moins la tête dans le guidon. Pour ce qui m’a amené à créer ma marque de cycle, j’ai toujours eu un pied de curiosité dans les loisirs dans lesquels j’étais. Dans le parapente, j’étais pilote de test, afin de mettre au point les éléments aux normes européennes. Et par la suite pour le kitesurf j’ai commencé à faire des planches pour des copains, puis pour les meilleurs mondiaux. J’ai même des planches qui ont remporté des championnats du monde. Pour le cyclisme, j’ai un copain qui fabrique des fan bike en Ardèche, sa marque s’appelle Salamandre cycle, il m’avait proposé de me prêter un vélo pour traverser toute a Camargue. Cela a mené à de riches échanges autour de nos confections respectives. Puis je recroise un copain qui travaille pour Passoni et me prête un vélo de la marque, en acier. J’en tombe complètement amoureux car l’acier est très performant, très proche du titane au niveau du confort, mais avec l’agrément d’un vélo qui ne résonne pas, qui reste bien posé sur la route, et très confortable.Gros plan sur les soudures, auxquelles s’attache particulièrement Benoît Jouffret
Et alors comment as-tu franchis le pas de la marque MV 1897 ?
Donc à la suite de cet essai concluant, j’avais la possibilité de vendre mon carbone pour acheter cet acier, ou alors de voir s’il était possible de m’en fabriquer un en utilisant l’atelier du collègue. Donc je suis allé le revoir, mais il m’a averti que j’allais galéré, que ça allait être compliqué, donc il n’était pas réellement partant pour m’aider à le mettre au point. Mais il m’a dit d’aller faire un stage de soudure pour voir si j’étais doué, et qu’ensuite on en rediscuterait. J’ai donc fait une première formation, puis une seconde plus spécialisée vers la finesse des tubes de vélo. Je suis alors retourné voir mon collègue qui m’a fourni deux caisses de tubes, je me suis entraîné pendant six mois et quand j’ai estimé que j’étais au point je suis allé rencontré l’entreprise Rochouse à Saint-Etienne, qui a accepté avant que je crée mon entreprise de me fournir deux jeux de tubes. J’ai alors décidé de créer ma marque.Logo de MV 1897
Alors justement ce principe de souder avec le procédé tig, il est connu dans d’autres domaines que le vélo, non ?
Tout à fait ! Tout ce qui est tuyauterie de précision est utilisé dans l’armement, dans le nucléaire, l’alimentaire ou en aérospatial, lorsqu’on a besoin d’avoir une soudure pleine, sans cavités.
On parle de l’alu, du titane, de l’acier naturellement sur lequel toi tu travailles, ce sont d’abord et avant tout des marchés de niche ?
Tout à fait, cela ne peut pas être un marché grand public car les marges seraient très réduites pour les grands fabricants, c’est pour ça que le carbone est tout à fait adapté à ce genre de marché. Quelques marques s’aventurent un peu pour proposer des vélos en acier car ces derniers ont fait d’énormes progrès et se démarquent particulièrement au niveau du confort. Sur une échelle de 0 à 10, si les titanes étaient à 10 et les aciers à 9, les carbones seraient à 3. Donc c’est assez éloigné. Et au niveau performance, si les carbones sont à 10, alors les aciers sont entre 8,5 et 9. Donc les aciers sont assez proches d’un niveau carbone haut de gamme au niveau performance.
Comment tu présentes ça au niveau de la durée de vie ?
On a des vues sur les vélos des anciens, qui n’ont pas la rigidité d’aujourd’hui ni le rendement, mais sont quand même durables dans le temps. De plus, avec les nouveaux aciers qui sont beaucoup mieux fabriqués par les fonderies au niveau de la corrosion, on sait qu’ils vont durer plus longtemps de ce côté-là. Par rapport au carbone, ils se démarquent par leur réparation un peu plus facile après une chute. Si on perd légèrement les qualités du carbone, au niveau de l’acier, on retrouve totalement les qualités initiales. Donc par rapport à la durée de vie en acier, on peut être assez confiant sur ce niveau-là, même si on n’a pas assez de recul pour comparer réellement avec le carbone, qui n’est apparu que depuis une vingtaine d’années.Un cadre en acier de la marque artisanale MV 1897
Pour aller jusqu’au bout de la démarche, toi, quand tu as une demande client, tu passes toujours d’abord par une étude posturale avant de passer au sur-mesure ?
Tout à fait. Quand j’étais coureur les études posturales étaient moins technologiques qu’aujourd’hui, où l’on fait désormais plus confiance aux logiciels avec le travail d’un algorithme, mais qui peut mener à des résultats différents selon les études. Moi je fais des études posturales qui sont essentiellement basées sur le visuel, en m’aidant simplement de capteurs de puissance ou de home-trainers. Je filme la personne de côté, de face. Je pars sur les bases sur lesquelles elle a l’habitude de rouler. J’apporte des modifications où je filme à chaque fois. Ensuite on utilise une application qui simule sur home-trainer un parcours, avec les montées et les descentes, qui permet de voir les différentes postures à différentes allures et avec différents braquets. Mais comme ça reste du virtuel, j’aime bien aussi aller voir la personne rouler physiquement sur la route avec son vélo, si possible avec des petites modifications que j’ai repérées, tout ça toujours filmé, et je fais enfin un petit bilan avec la personne. Je lui montre toutes les évolutions qu’il y a eu et je lui montre les résultats informatiques des données récoltées, et on voit qu’une meilleure position, avec des douleurs qui n’apparaissent plus, vont de paire avec un meilleur pédalage, et parfois avec un peu moins de watts pour la même côte, etc… Et puis il faut aussi savoir ce que la personne veut de ce vélo, si c’est un vélo pour faire des cyclosportives, si c’est un vélo typé endurance, si c’est un gravel… Je prends aussi en compte les mensurations de la personne, ainsi que ce qu’elle attend du vélo au niveau de la réactivité ou de la maniabilité. Donc on condense ces données pour en déduire une géométrie qu’on reporte sur le banc. Enfin je fais rouler une dernière fois la personne, donc ce n’est pas une étude posturale de deux heures, mais bien d’une bonne demi-journée, avec 5-6 heures de travail. Mais c’est un travail qui paie puisqu’ensuite les gens sont très satisfaits du vélo et de la posture, j’ai d’ailleurs eu plusieurs messages de remerciements.Exemple de vélo sur-mesure proposée par la marque MV 1897
Donc la démarche du sur-mesure va jusqu’au choix par le client de tous les autres composants ?
A commencer par les tubes ! Car même dans une même gamme, il y a différents tubes, et le choix entre eux s’effectue en prenant en compte la destinée du vélo.
Dans l’absolu, tu ne montes pas les roues toi-même, mais tu peux proposer des roues montées artisanalement c’est ça ?
Alors je suis récemment rentré en contact avec des monteurs, mais je peux également proposer du montage à la carte avec quelqu’un qui veut vraiment du travail spécifique. Sinon je trouve que le milieu aujourd’hui où l’on a le plus de choix, même au sein d’une seule marque, c’est au niveau des roues. J’ai vu une évolution en 5 ans au niveau des roues avec des gammes de marques hyper complètes, ce qui permet de forcément trouver chaussure à son pied, mais si vous voulez du spécifique vous pouvez vous tourner vers un artisan qui pourra vous en monter une en prenant en compte toutes vos préférences au niveau des éléments.
Le titane et l’aluminium, ce sont deux domaines sur lesquels tu n’as pas envie aujourd’hui d’aller ?
Il y a des personnes qui font ça très bien depuis des années. Moi sur le marché je ne voulais pas copier les copains, et j’ai l’idée de faire des vélos très typés cyclosportives, même si je travaille sur un petit hybride en ce moment, entre gravel, petit voyageur et rouleur. Pour l’aluminium, il y a également des grandes marques qui le font aussi en Asie, d’ailleurs il y a eu beaucoup d’artisans qui sont morts à cause de cela.Un cadre dans l’atelier de la marque MV 1897
On voit aujourd’hui les grands fabricants qui sont passés à l’électrique sur des cadres route traditionnels où l’on ne voit quasiment plus de différences. C’est un paramètre que tu comptes intégrer à ton tour ?
J’y ai réfléchi. Il y a la possibilité aujourd’hui de positionner un moteur dans les tubes, mais pour la possibilité de monter un moteur type standard avec « l’usine à gaz » sur le dessus du tube, je ne suis pas très intéressé par ce sens-là. Je n’ai pas eu de demandes encore… Je finirai peut-être par m’en fabriquer un pour moi pour voir les difficultés techniques, pour que je sache faire, car je m’y plongerai tôt ou tard. Mais je me concentre d’abord sur le présent, c’est-à-dire proposer des vélos premium.Zoom sur les tubes en acier d’un cycle
Pour conclure, tu vois comment ton activité dans dix ans ?
Difficile à dire car je travaille dans la passion, mais j’espère continuer à confectionner des vélos. J’ai une activité principale qui ne me permet pas de remplir le portefeuille, c’est vraiment par passion que je fais ce travail, mais si je viens à avoir beaucoup de plus de demandes j’irai dans ce sens-là. Mais comme je travaille vraiment par passion je ne me projette pas vraiment dans l’avenir par rapport à cela.