Quelle est la probabilité de passer professionnel selon votre nationalité ? C’est la question sur laquelle le Global Odds Index s’est récemment penché. Site spécialisé dans les probabilités, voué à « rendre les concepts lointains plus tangibles » selon son auto-proclamation, il porte un intérêt tout particulier aux tendances qui régissent notre société, fruit du hasard ou produit de multiples facteurs. Pour cette dernière étude, le site a fait appel à l’entreprise allemande Magmatic Research, avec le souhait de mettre en lumière les grandes nations productrices d’athlètes de haut-niveau, et celles qui en forment le plus proportionnellement à la taille de leur population. Pures données numériques, les résultats constituent toutefois de riches matériaux d’analyses, éclairant ainsi les enjeux géopolitiques parcourant le cyclisme contemporain.
Les nations historiques, principaux viviers du peloton international
A l’écoute du mot « cyclisme », il serait étonnant que la discipline vous inspire des nations africaines, asiatiques ou nord-américaines. A l’inverse, il est beaucoup plus probable que vous vous imaginiez les pavés du Mur de Grammont en Belgique, les mythiques cols français ou encore les sommets italiens enneigés. Plus d’un siècle après sa naissance, le cyclisme sur route reste en effet l’apparat de ses nations fondatrices, de ces pays historiquement portés vers la Petite Reine. Les chiffres le confirment. Les cinq plus grandes cohortes de coureurs professionnels sont européennes, à savoir l’Italie (9,30% du peloton professionnel), la France (7,65%), la Belgique (7,00%), l’Espagne (5,20%) et les Pays-Bas (5,65%). Si l’on se penche vers le passé, on s’aperçoit que ce sont exactement ces cinq mêmes nations qui ont remporté le plus de titres mondiaux, pour un impressionnant total de 67 couronnes. Si l’on se tourne vers le Tour, on retrouve également les quatre premières nommées au sommet du classement, avec 70 victoires à elles quatre !La carte des plus grandes cohortes du peloton | © Global Odds Index
Ce constat fait, les points rassemblant ces cinq nations sont aisément identifiables. Pays développés, riches en dénivelé et fortes d’un réseau cyclable dense, ils ont tout de paradis du vélo, et cela même parce que le vélo y a historiquement occupé une place considérable. En France comme en Italie, le cyclisme a même été un vecteur d’unité nationale, avec le Giro et le Tour. En Belgique, il est l’une des rares choses qui réunit flamands et wallons. Et aux Pays-Bas, il est le symbole d’une profonde culture du deux-roues, principal moyen de locomotion de la population.
Les petits états européens, optimisateurs de chances
Toutefois, ce n’est pas dans ces pays que vous avez les plus grandes chances de passer professionnel. Certes grands pourvoyeurs de cyclistes de haut-niveau, ils sont aussi d’importantes puissances démographiques du Vieux Continent. Cela explique pourquoi, lorsque l’on ramène le nombre de coureurs professionnels à la population de la nation, celles-ci rentrent dans le rang. Dès lors, sur cet aspect, l’étude pointe du doigt les petits pays européens, bénéficiant d’un niveau de développement élevé tout en ayant une population de taille très réduite. Le Luxembourg, le Monténégro ou l’Islande émergent ainsi au sommet du classement, en permettant à un citoyen sur 2 000 de marier passion et carrière sous les auspices de la Petite Reine. Quelques places plus loin, apparaissent également des nations comme l’Estonie, la Slovénie, la Norvège ou le Danemark.Magnus Cort Nielsen devance Primoz Roglic à l’occasion de la 16e étape de la Vuelta 2020 | © Photo Gomez Sport / La Vuelta
Si le Luxembourg, encerclé par la France et la Belgique, jouit également d’une longue culture du vélo, ayant notamment vu naître l’illustre Charly Gaul ou les célèbres frères Schleck, les autres pays nommés ont une histoire beaucoup plus récente dans la discipline. Longtemps absents des devants de la scène, ils ont dernièrement profité de leur prospérité économique pour établir d’efficaces pôles de haut-niveau et devenir de véritables ateliers à champions. La toute récente Vuelta en est d’ailleurs l’exemple même, en ayant consacré le slovène Primoz Roglic, vainqueur de quatre étapes en plus du classement général, le danois Magnus Cort Nielsen, triplement récompensé, ou encore l’estonien Rein Taaramae, triomphateur au Picon Blanco et porteur du maillot rouge pendant deux jours.
Plus étonnant, la Namibie se hisse également à la troisième place de ce classement, avec un cycliste pro pour 2 059 habitants. Cristian Heidarson, analyste de données chez Magmatic Research, y voit l’effet de la création d’un championnat local, plaçant le cyclisme dans le calendrier cycliste national. Mais cette statistique est à nuancer, tant l’Etat d’Afrique Australe est loin des nations précédemment citées en termes de niveau, puisqu’elle ne compte actuellement aucun ressortissant en World Tour, ni même en division Continentale Pro. Au cours de la dernière décennie, seul Dan Craven, sextuple champion national, avait évolué à ce niveau chez Europcar puis Israël Cycling Academy.
Le vélo, un truc de pays riches
Comme attendu, les grands absents de ces classements sont malheureusement les pays en voie de développement. Selon l’index, il n’y aurait qu’un cycliste pro pour 11 millions d’habitants en Egypte, et le peloton international ne serait composé qu’à 0,05% de cubains ou de kenyans. Coûteux d’un point de vue matériel et complexe à organiser, le cyclisme est un sport encore inaccessible à la majeure partie de la population mondiale. Si des progrès s’opèrent, comme au Rwanda ou en Afrique du Sud, ils restent toutefois très limités, et ne sont nullement généralisables à l’ensemble de ces Etats, en Afrique comme en Asie.
Sur ce point, le cyclisme est donc loin d’égaler le football, sport mondial et particulièrement accessible, répandu dans les favelas brésiliennes comme dans les campagnes françaises. Comme révélé par l’Index, « The Beautiful Game » peut en effet se targuer d’avoir la répartition d’origine des joueurs la plus serrée que n’importe quelle autre discipline, en reposant notamment sur des grandes puissances continentales en développement, telles l’Argentine, le Nigeria ou la Colombie. Car un ballon restera toujours moins cher qu’un cadre, et un terrain toujours plus facile à aménager qu’une piste.Le centre mondial du cyclisme à Aigle | © UCI
Conscient de cet écueil, l’UCI s’emploi à y consacrer un axe notable de son travail, grâce au centre mondial d’Aigle (Suisse), où se retrouve le gratin des « malchanceux ». Bénéficiant des programmes d’entrainements les plus performants et d’infrastructures des plus modernes, ceux-ci se voient même offrir la chance de participer à des épreuves de renom sous la bannière de l’UCI, à l’instar du Tour de l’Avenir. C’est notamment là que les quatre Tours de Christopher Froome sont nés…
Par Jean-Guillaume Langrognet