François, pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de votre carrière, quand êtes vous passé pro et quand avez-vous arrêté ?
Je suis passé pro le 1er janvier 1985 chez Fagor. Cela s’est poursuivi pendant 13 ans jusque chez Gan en 1997 où j’ai arrêté ma carrière. J’ai fait Fagor pendant 4 ans, puis Z un peu plus longtemps et enfin Gan de ’93 à ’97.
Le résultat marquant de ma carrière, c’est une victoire Maillot Jaune sur le Tour de France en ’90 quand j’étais équipier avec Greg LeMond. Quand on défile sur les Champs Elysées avec le Maillot Jaune, c’est quand même quelque chose !
J’ai fait 10 Tours de France, mine de rien, cela me sert aujourd’hui dans mon travail et cela compte. J’ai eu 5 victoires à mon compteur dont le Tour de Vendée. Ma carrière a été celle d’un équipier, mais il en faut !
J’ai fait également deux Giro et deux Vuelta. Mon premier Giro, j’ai fini 21ème, ce qui était pas mal pour un coureur qui n’avançait pas dans les contre-la-montre.
Avez-vous plutôt choisi ou subi votre fin de carrière ?
Non, je ne l’ai pas subi, je l’ai choisi, je n’en pouvais plus. A 37 ans, quand on se lance dans la vie active, on est un ancien qui approche de la quarantaine, il faut faire très attention.
J’avais quelques idées que je retrouve encore maintenant chez les cyclistes qui arrêtent et qui souhaitent aussi être éducateur, entraineur, travailler dans une équipe… Je savais que je voulais travailler dans l’organisation mais sans savoir que ça allait effectivement devenir mon métier.
C’est dans mon tempérament, je ne voulais pas rester sans rien faire. C’est le danger quand on arrête sa carrière, on a tendance à attendre qu’on vienne nous chercher. d’ailleurs, c’est ce que je déconseille aux coureurs qui arrêtent. Il ne faut pas attendre car on est vite oubliés. On n’a pas de coups de téléphone, de courriers et c’est fini. De mon côté, j’ai eu la chance d’être contacté tout de suite par Laurent Fignon et j’ai intégré sa structure dès le premier janvier.
C’était un choix à faire. Ce n’était pas simple de choisir entre un salaire de cycliste pro et un salaire d’organisation. Laurent Fignon m’avait dit « tu sais, au début, on commence on est smicard, on ne sait rien faire, il faut tout réapprendre et partir d’une page blanche à 37 ans ». La structure était petite, il fallait tout faire nous même donc j’ai énormément appris, et vite. J’ai appris à organiser des cyclo sportives, des événements sportifs pour les entreprises…
C’est là que j’ai réalisé que quand on est pro, on est dans notre bulle, on a l’impression que tout est facile mais en réalité ce n’est vraiment pas simple dans la vie de tous les jours.
Aviez-vous pensé à passer par la case formation théorique ?
J’aurais peut-être dû mais pour moi, la formation sur le terrain, c’est la meilleure ! Avec des « si », on refait le monde. Quand j’étais coureur, on m’avait dit « pourquoi tu n’as pas tenté ta chance ? Tu aurais pu gagner ». Certes, mais j’étais équipier. Là, j’ai eu un métier et j’ai fait du terrain. Peut-être que si j’avais fait une formation, je n’aurais pas eu de boulot… C’était le destin et cela s’est bien passé. Je ne regrette vraiment pas ! (Rires).
Vous avez souligné votre rôle d’équipier, quand on est leader, il est plus simple d’avoir de l’argent, des sponsors, des contacts. Quand on est équipier, il faut sans cesse se battre… Pensez-vous que cela vous ait forgé le caractère et que cela vous sert encore maintenant ?
Oui absolument car quand Christian Prudhomme parle de notre équipe chez ASO, avec Thierry Gouvenou entre autres, il sait qu’on est tous des équipiers. On était des porteurs d’eau. Ça a une incidence sur la qualité de notre travail. Notre force, c’est notre cohésion. Si on arrive à faire des belles organisations, c’est parce qu’on ne travaille pas chacun de son côté, et c’est en partie grâce à cela. Il ne faut pas renier ce qu’on a fait avant, au contraire, il faut s’en servir.
Comment avez-vous rebondi après Laurent Fignon ?
J’ai travaillé 5 ans pour Laurent Fignon, c’était une petite structure qui n’arrivait pas à se développer. Il organisait Paris-Bourges, il a racheté Paris-Nice et l’entreprise a pris un peu de volume mais malheureusement il y a eu des difficultés d’organisation les deux années.
Ensuite, le Tour de France a racheté Paris-Nice, et comme je connaissais bien l’organisation et que je faisais tout depuis la base, ASO m’a recruté parce que j’étais déjà opérationnel. D’ailleurs, je n’ai pas quitté le Paris-Nice depuis l’année 2000.
Trouver des sponsors est bien plus simple quand on s’appelle ASO que quand on s’appelle Laurent Fignon…
Oui et en plus Laurent avait son franc-parler, cela ne passait pas toujours. Mais au moins, il a su amener des choses au Paris-Nice, comme la diffusion sur Eurosport en semaine, ce qui n’existait pas avant. Il a amélioré les choses. D’ailleurs, cela m’arrive encore souvent de dire « avec Laurent, on faisait ci, on faisait ça ».
Selon vous, y a t-il une qualité que vous aviez en tant que coureur et qui vous sert encore aujourd’hui ?
Je dirais que c’est mon côté diplomate. Je ne me fâche jamais avec personne, j’essaie toujours de trouver des solutions. C’est ce qui me permet aujourd’hui d’avoir des contacts et un bon relationnel. J’étais déjà comme ça en tant qu’équipier, quand quelqu’un est en difficulté, on fait en sorte de l’aider. C’est ce que Christian Prudhomme dit souvent de nous quand il nous remercie en fin de course, il remercie les équipiers, c’est ce qui fait notre force. On sait rester humble.
Votre fils est dans le métier. Que conseilleriez-vous à un coureur qui arrive en fin de carrière et qui a encore la tête dans le guidon ?
Quand on est coureur, on est dans sa bulle et c’est tout à fait normal. Je leur dit que cela va très très vite et qu’il ne faut pas rester sans rien faire. D’ailleurs, je contacte souvent d’anciens coureurs pour être pilotes sur les courses car je m’occupe du recrutement pour ASO. Tout le monde veut rester dans le vélo mais il n’y a pas assez de place pour tout le monde. Certains sont dans le dur, on se doit de les aider mais nous n’avons pas de solution pour tout le monde.
Pensez-vous qu’une formation pendant la carrière cycliste serait bénéfique ?
Quand on est coureur et qu’on vous parle de formation, vous vous dites que c’est pour plus tard. Je pense que dans le fond, on a peur d’affronter l’échéance. Mon fils qui a arrêté sa carrière en aout l’année dernière a travaillé une semaine dans un magasin de matériaux, il m’a dit qu’il n’était vraiment pas préparé à ça. C’est un autre monde, il ne faut pas avoir peur de l’affronter mais il faut s’y préparer.
Il y a des reconversions tip top comme celle de Christophe Capelle qui a pris une formation totalement à l’opposé ou Anthony Gelin qui est complètement en parallèle. Il n’y a pas de la place pour tout le monde et il ne faut pas ignorer qu’un jour, cela va s’arrêter.
Pour moi, l’exemple de reconversion réussie, c’est vraiment Christophe Capelle. Nous, nous sommes des privilégiés. Etre coureur et après, pouvoir organiser des courses, c’est fabuleux !
Mathilde Duriez, vélo101