C’est l’histoire d’un coureur modeste muté en directeur sportif de renom. C’est l’histoire d’un cycliste de l’ombre aux méthodes désormais lumineuses. C’est l’histoire d’un équipier devenu meneur d’hommes. Professionnel au cours des années 2000, il s’est révélé au grand monde par ses qualités managériales, une fois la reconversion actée. Murmurant aux oreilles de Chris Froome, Geraint Thomas ou encore Egan Bernal, il est ce brillant génie qui guide à distance leurs performances de haute-volée. Personnage mystérieux au sourire aussi charmant qu’énigmatique, le portrait de mec cool et posé décrit par ses proches s’oppose aux lourdes suspicions de dopage organisé florissant sur les réseaux sociaux. Bourreau de travail mais avant tout passionné, il a fait de la direction sportive un jeu terriblement efficace. Ce jeudi, portrait du roi des gains marginaux au pays du succès répété, portrait de Nicolas Portal, le stratège diabolique du Team INEOS.Nicolas Portal au micro de Vélo 101 | © Vélo 101
Son Parcours :
Si Nicolas Portal semble avoir émergé de nulle part au moment de l’émergement hégémonique du Team Sky, le gersois a bel et bien un passé. Loin du climat austère et du maillot sombre de la formation de Dave Braidford, le français voit en effet le jour sous le soleil d’Auch, un 23 avril 1979. Garçon séduisant à l’accent sudiste enchanteur, il est rapidement attiré par le goût irrésistible du sport, s’attachant à l’enivrement des sensations du VTT. Dévalant les collines, parcourant les sous-bois et faisant-fi de tout obstacle, il fait de ce hobby son passe-temps favori. Se découvrant au fil des années des qualités physiques intéressantes, il s’essaie progressivement à la compétition. Talentueux et prometteur, la magie du professionnalisme passionnel s’opère alors. Si rare et pourtant si belle, elle illumine une poignée d’hommes et de femmes chaque année, changeant à leurs yeux leur loisir en une éventualité de métier, les poussant à comprendre qu’il leur est possible d’intégrer le monde merveilleux rémunérant l’élite de la discipline. Alors, lorsque l’on combine ce fabuleux tour à des difficultés scolaires, la voie se trouve instantanément tracée.
Ainsi, à l’ouverture d’un nouveau millénaire, le destin de l’auscitain change radicalement de dimension. Repéré et recruté chez AG2R Prévoyance par l’œil bien avisé de Vincent Lavenu, Nicolas Portal reproduit sur la route les qualités ayant fait de lui un talentueux vététiste. Gardant son état d’esprit d’antan, lorsqu’il faisait des terres gersoises son terrain de jeu préféré, il affiche un tempérament cool et posé, tout en possédant un inlassable caractère offensif. Compensant son manque de connaissance de la discipline par une curiosité inassouvie, ses progrès effrénés convainquent vite le manager briançonnais de l’engager définitivement en 2002 sous les coureurs terre-et-ciel. Equipier modèle sans prétentions ni ambitions personnelles, il ne se fait pas pour autant prier lorsque l’on lui accorde carte blanche. Bon puncheur, sagace grimpeur mais aussi excellent rouleur, il s’illustre dans un premier temps en contre-la-montre avant de faire parler ses talents de baroudeur. Médaillé de bronze des championnats de France de chrono pour sa seconde année professionnelle, il signe également cette saison-là ses premiers top 10 sur des courses majeures, acquis le plus souvent à la faveur d’échappées couronnées de succès. Mais c’est en 2004 qu’il touche du doigt le seul et unique Graal de sa carrière, en remportant en solitaire la quatrième étape du Critérium du Dauphiné. Court moment de gloire rapidement enseveli par l’anonymat d’une carrière, il lui offre malgré tout l’occasion de goûter pour une fois la délicieuse saveur de la victoire, nettement plus intense et prononcée que lorsqu’elle est obtenue en tant que gregario.Nicolas Portal sous le maillot d’AG2R Prévoyance | © Le site du cyclisme
Puis Nicolas Portal retourne alors à sa vie enfouie dans les profondeurs des classements. Transfuge au sein de la formation ibérique de la Caisse d’Epargne à l’intersaison 2005-2006, il y est au service de Francisco Mancebo puis d’Oscar Pereiro. Sous les ordres du galicien, le gersois connait d’ailleurs en 2006 sa première victoire par procuration sur la Grande Boucle, à la suite du déclassement de Floyd Landis, condamné pour dopage.
Les années passant, l’auscitain peine même de plus en plus à se hisser aux dix premières places des épreuves, restant continuellement aux côtés de ses leaders dans le peloton. Au printemps 2009, il croît même voir sa carrière s’arrêter avec toute la brutalité générée par la détection d’une arythmie cardiaque, alors qu’il atteint à peine la trentaine. Si l’anomalie s’avère finalement bénigne, l’homme n’en reste pas moins marqué. Après une dernière saison au sein de la toute naissante formation Sky, il passe durant l’hiver suivant de l’autre côté de la frontière, de la précarité de la selle au confort du siège de la voiture, du statut de dirigé à celui de dirigeant.
En effet, pour son aisance en relations humaines ainsi que pour son infinie sympathie, il est recruté par Dave Braidford pour intégrer le staff de l’équipe britannique. Également enrichi d’une dizaine d’années passées dans les pelotons professionnels où il n’a jamais tari sa soif d’apprendre, il jouit d’une lecture de la course hors-du-commun, dévoilant rapidement des qualités tactiques exceptionnelles. Voilà donc le gersois directeur sportif, expression peu signifiante pour lui, à laquelle il doit même rajouter le prestigieux qualificatif « en chef » à partir du départ de Sean Yates en 2013.
Et dans cette deuxième vie, fruit d’une réincarnation réussie, le succès est bien au rendez-vous. Immense, grandiose et majestueux, il happe le sudiste dans une spirale continue de bouquets et de victoires, nappée de la dorure du maillot jaune. Se perpétuant éternellement, elle en fait le directeur sportif le plus prolifique de l’histoire du Tour de France, constituant au palmarès de la Ronde de Juillet une véritable dynastie Sky, tous princes héritiers de son savoir-faire. Du sacre de Wiggins à l’émergence de Bernal en passant par l’hégémonie Froome sans oublier le règne estival de Thomas, tous se plient aux consignes du français pour faire de leur équipe cycliste une incontestable machine de guerre, roulant sur la Ronde de Juillet avec toute l’autorité qu’une armée puisse avoir. Car si Nicolas Portal est un garçon reconnu et admiré pour sa philanthropie au quotidien, c’est bien un commandant impitoyable qui prend place dans la voiture Sky lorsque la course commence.
Ainsi, grâce à l’application stricte et pure de ses méthodes infaillibles par les hommes en noir, le palmarès de la Grande Boucle connaît désormais une flagrante monotonie dans la colonne « formation ». 2012, 2013, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019, la liste est devenue impressionnante. A la révolution engagée par la victoire de Bradley Wiggins en 2012 a succédée une longue répétition d’une formule gagnante et inattaquable. Si bien qu’en dehors de l’épisode malheureux de 2014, où l’abandon de Christopher Froome avait engagé la déroute du Team Sky, les hommes ont changé au sommet de la Ronde de Juillet, mais pas le maillot.
Surtout, le bouleversement instauré par Nicolas Portal ne concerne pas seulement l’identité du vainqueur du Tour, mais bien le cyclisme mondial dans sa globalité. Rejoignant pleinement Dave Braidford dans sa quête des gains marginaux, il a fait de ces infimes millièmes de secondes des secondes qui deviennent à leur tour des dizaines de secondes, voire des minutes à l’échelle des classements généraux finaux. Faisant d’un pistard spécialiste de la poursuite, d’un kenyan anonyme du Tour de France 2008, ou encore de l’avant dernier de l’édition 2007 des vainqueurs triomphant de la Grande Boucle, il s’est imposé avec un brio inouï dans le paysage de la direction sportive.
Il faut dire que le gersois est un véritable bourreau de travail, un perfectionniste, un entêté. Préférant peaufiner la préparation de l’étape du lendemain qu’aller se coucher, il a fait de son investissement ardent dans la tâche une clé de la réussite. Repérant minutieusement chaque portion délicate du parcours de l’étape à suivre jusqu’à des heures sans nom de la nuit pour les exposer tour à tour lors du briefing d’avant course, organisant avec un soin tout particulier l’ordre de passage de chaque équipier au sein de l’infernal train Sky, glissant à ses hommes de multiples consignes aussi simples que nécessaires, il est un élément majeur du triomphe décennal de la formation britannique. Et forcément, quand on oppose un écran de suspicion à autant d’attention, ça a de quoi susciter l’énervement chez cet homme aux nerfs pourtant relaxés. Cependant, son aisance face aux médias lui permet de protéger ses coureurs, leaders comme équipiers, armé de son inviolable calme, de son irrésistible sourire et de ses réponses malignes, passant d’une langue à l’autre comme on changerait de train.
Alors, à la vue des potentiels d’Egan Bernal, d’Ivan Sosa ou encore de Pavel Sivakov, on aurait pu se dire qu’avec la douceur de l’accent de Nicolas Portal dans les oreillettes, la concurrence a du mal à se faire pour les années à venir.
Nous transmettons toutes nos condoléances à ses proches, sa famille et ses amis. Pour nous, au delà d’être un gars sympa, il restera un vététiste passé à la route et, surtout, l’homme qui murmurait à l’oreille des vainqueurs de grands Tours.
Par Jean-Guillaume Langrognet (article datant du 23 janvier 2020)