Une année de plus, le Tour de l’Avenir n’a pas déçu. En récompensant Romain Grégoire de son audace et en couronnant la pépite Cian Uijtdebroeks, « le Tour de France des moins de 23 ans » a encore joué à la perfection son rôle de révélateur des talents. Ces derniers temps, il est même devenu l’épreuve de vérité pour les principaux Espoirs du cyclisme international, avant que ceux-ci n’intègrent définitivement la cour des grands.
David Gaudu, Egan Bernal et Tadej Pogacar s’y sont imposés entre 2016 et 2018. Et nombre de protagonistes de l’actuelle Vuelta y ont également laissé leur marque. Marc Soler, vainqueur de la 5e étape, y a remporté le gros lot en 2015. Ilan Van Wilder, dernière rampe de lancement de Remco Evenepoel, y est monté sur le podium en 2019. Enfin, Carlos Rodriguez, promu leader du Team INEOS par les défaillances de ses aînés, a manqué d’un souffle la victoire finale l’an dernier, battu par Tobias Johannessen pour sept petites secondes.
En fait, le Tour de l’Avenir est devenu le véhicule du rafraichissement du sport cycliste. Et pas seulement du point de vue des graines de champions qu’il consacre. En effet, l’épreuve française se pense aussi comme un « laboratoire du cyclisme », toujours prête à sauter dans l’inconnu, à inventer le futur de la Petite Reine. Parcours, métiers, formules de course, tout y passe. Jusqu’à l’organisation du Tour par nations ? Philippe Bouvet, ancien journaliste à L’Equipe devenu attaché de presse de l’épreuve, nous éclaire sur les rôles d’ingénierie et de formation que porte le Tour de l’Avenir.
Le Tour de l’Avenir, épreuve-plateforme du cyclisme mondial
Aspect particulièrement méconnu dans la sphère médiatique, le Tour de l’Avenir abrite non seulement le futur du peloton, mais aussi celui de son staff. En effet, organisée selon une convention tripartite entre l’organisateur Alpes Vélo, et ses partenaires principaux, ASO (Amaury Sport Organisation) et l’UCI (Union Cycliste Internationale), la course est voulue comme une plateforme du cyclisme mondial par l’instance suprême de la discipline. Dès lors, elle concentre le gratin des apprentis des métiers de la bicyclette, des régulateurs aux commissaires en passant par les mécaniciens. Lorsque des stars en puissance apprennent à endosser le leadership d’une nation, d’autres progressent parallèlement dans la maîtrise de leur profession.
En outre, cette « université du cyclisme » se dote d’un cadre international. Dans la continuité de la mondialisation du sport, l’UCI invite ainsi des jeunes gens issus des cinq continents pour inscrire ce mouvement dans la durée. Ce programme voit d’ailleurs sa nécessité renforcée par l’absence de courses de renom dans de nombreuses zones géographiques, rendant l’immigration en Europe inévitable. Sur la route comme dans le paddock, les membres du Centre Mondial du Cyclisme côtoient donc les ressortissants du Vieux Continent. Et c’est le niveau global du cyclisme qui en ressort gagnant.
Enfin, si le Tour de l’Avenir forme les pépites de la Petite Reine, il s’offre aussi comme un incubateur aux entreprises en pleine croissance. C’est notamment le cas de l’équipementier australien Black Sheep, pour qui cette collaboration apparaît comme une étape phare de son développement. Candidate auprès de la Grande Boucle pour fournir les maillots officiels de la plus grande course du monde, finalement battue par les moyens de Santini, elle a été redirigée par ASO vers le Tour de l’Avenir dans l’optique d’y grandir.
Le Tour de l’Avenir, l’éclaireur de la Grande Boucle
Si l’on ne compte plus les champions du Tour de l’Avenir devenus héros du Tour de France, il serait tout aussi impossible d’énumérer exhaustivement les emprunts de parcours d’une course à l’autre. Effectivement, si cela fait désormais quelques années qu’Amaury Sport Organisation a lâché la tête du comité d’organisation du plus grand évènement U23 de la saison, la société n’a pas rompu tout lien pour autant. Au contraire, consciente que la pyramide du cyclisme doit jouir d’une base bien fondée, elle a conservé un partenariat clé dans la mise en œuvre et la promotion de l’évènement. Elle prête notamment main forte à Alpes Vélo en matière logistique, au moyen d’une poignée de véhicules officiels, d’une horde de saisonniers du Tour et d’une conséquente dotation financière.
En contrepartie, elle récolte moultes enseignements sur le spectacle offert par les nouveaux tronçons auxquels la course s’essaye. Chaque année, elle récupère ainsi çà et là des idées de parcours pour l’avenir, convaincue par le déroulement des évènements. Puisque leur liste est longue comme le bras, cantonnons-nous simplement à quelques exemples. Le Plateau des Glières ? C’est le Tour de l’Avenir qui l’a testé en premier, en 2013, accordant d’ailleurs le bouquet du jour à un certain Julian Alaphilippe. Plus récemment, l’épreuve a également servi d’éclaireur sur le col de la Loze, qu’elle a emprunté dès l’inauguration de la route, en 2019, soit un an avant sa grande sœur. Quant à la présence de Christian Prudhomme et son entourage à Provins ou à Bar le Duc l’an passé, il n’était certainement pas anodin, à la vue du tracé du Tour Femmes 2022.
Voilà donc ce que Philippe Bouvet qualifie de « travail en bonne intelligence » entre les deux épreuves.
Le Tour de l’Avenir, laboratoire de nouvelles formules
Et ce n’est pas tout ! Non content d’explorer de nouvelles routes pour la Grande Boucle ou de roder le futur de l’élite de son sport, le Tour de l’Avenir pense le cyclisme de demain. En effet, l’épreuve française ne cesse d’expérimenter de nouvelles formules de course, sans avoir pour autant le caractère révolutionnaire du tournoi Masters Next Gen en tennis, lui aussi réservé aux pépites de la discipline.
Cette année, le Tour de l’Avenir a repris de volée l’idée lancée par les élus de la Roche-sur-Yon en accompagnant la présentation des équipes d’un contre-la-montre collectif factice. Autrement dit, la course s’est amusée à organiser un prélude sans aucune incidence pour le classement général, tout en le dotant d’un enjeu sportif suffisant pour attirer les foules. La distribution du maillot jaune et la comptabilisation des écarts dans le classement par équipe ont suffi. L’aura fut immense et joyeuse, le public séduit, les organisateurs ravis. Et si l’organisation du Tour de France est trop contrainte pour qu’elle puisse se laisser aller à de telles fantaisies, l’idée du prélude pourrait néanmoins se répandre sur d’autres courses…
En effet, par le passé, le Tour de l’Avenir est arrivé plusieurs fois à écarter le cyclisme du sentier de la dépendance duquel il est souvent fait prisonnier. La tenue d’une étape « flash » de 30 bornes en 2018, entre Moutiers et Méribel, fait ainsi figure de précédent à aux étapes majoritairement tronquées du Tour de France 2019 ou du Tour d’Occitanie 2022. De même, la limitation des effectifs à six coureurs fut une source d’inspiration pour la réduction des collectifs sur les courses professionnelles en 2018 (passage de 9 à 8 coureurs sur les Grands Tours et de 8 à 7 ailleurs).
Le Tour de l’Avenir, moteur du retour d’un Tour par nations ?
Et si le Tour de l’Avenir incitait le Tour de France à revenir au format par nations, abandonné depuis l’an 1962 ? Effectivement, contrairement au Giro U23, l’épreuve française opte pour une formule de course à sélections nationales, accompagnées par quelques comités régionaux français et une équipe internationale, dont font partie les coureurs issus du centre mondial du cyclisme d’Aigle (Suisse), majoritairement africains. Cette philosophie permet au monde entier de se retrouver sur les routes de l’Hexagone, en mêlant dans un même peloton des coureurs venus des 5 Continents, des nations historiques du cyclisme aux Etats-Unis, en passant par l’Australie, le Kazakhstan ou encore l’Erythrée.
A ce titre, Philippe Bouvet rappelle le rôle précurseur du Tour de l’Avenir dans la mondialisation du cyclisme. En 1961, elle invitait déjà une équipe d’Uruguay en Europe, défrichant ainsi le sentier pour le continent sud-américain. A l’instar des premiers Colombiens venus sur le Tour de France, l’épreuve fut rude pour ces hommes, passant majoritairement à la trappe dès la première étape. Mais ces petites mésaventures ont marqué l’entame de la grande ouverture du cyclisme vers l’international. De la même manière, Philippe Bouvet relève que, dans une Europe coupée entre Occident et Monde Soviétique par la Guerre Froide, le Tour de l’Avenir a opéré les premiers pas d’une réconciliation des deux pôles en cyclisme, au cœur des années 1970.
Aujourd’hui le cyclisme a triomphé de cette marche. Une trentaine de nations participent chaque année au Tour. 45 sont représentées aux mondiaux. Ne serait-ce donc pas le cadre idéal pour le retour d’une Grande Boucle par nations ? Philippe Bouvet réfute l’hypothèse, dépité : « c’est lorsque cette mutation est enfin possible qu’elle est devenue impossible ».