20 août 2021, quelque part dans la Communauté de Valence, entre la commune de Gandia et le somptueux Balcon de Alicante. Le 4e du classement général de la Vuelta chute. Alejandro Valverde perd le contrôle de son guidon et glisse jusqu’au ravin. Flanc arraché, clavicule fracturée, l’espagnol est touché, et bientôt coulé. Le murcien finit sa course immergée de larmes, dans l’anonymat d’une forêt de pins, consolé tant bien que mal par le staff de son équipe. Naturellement, il n’imaginait pas du tout terminer sa carrière dans de telles conditions. Cette Vuelta était sa dernière, et il n’en verrait pas l’arrivée, il serait même privé de toutes chances de victoires, déshérité des lauriers de l’ancien. Alejandro Valverde était en forme, il cet état relevait déjà d’un petit exploit à son âge canonique (41 ans). Source d’ambition, il se muait alors en générateur de frustration. Alors « Bala » s’est relevé.
Alejandro Valverde, le guerrier
Un mois après la crainte fin de sa carrière, l’Espagnol était de retour en compétition. Et déjà victorieux. En Sicile, il devançait l’italien Alessandro Covi au sommet du mur de Caronia, et empochait ainsi une 130e victoire en carrière. Et le 9 octobre, il se classait à la 5e place du Tour de Lombardie, acquérant ainsi son 13e top 5 en Monuments. Sacré retour pour l’ancien, au corps se bonifiant comme le vin. A vrai dire, sa résilience fait preuve d’une jouvence extraordinaire. Et tant que le bonhomme va bien, la tête se porte au mieux.
Alejandro Valverde a encore triomphé sur le Gran Camino | © Photogomezsport
Ainsi, le 3 novembre, il publiait conjointement avec son équipe une vidéo sur les réseaux sociaux, annonçant « l’UltimoBala », la prolongation de son contrat pour une année supplémentaire. La dernière cette fois, promis. Et s’il s’agit d’un tour d’honneur pour le murcien, qui participera à toutes ses courses préférées (courses par étapes espagnoles et classiques ardennaises), pas question d’en faire un simple pèlerinage pour autant ! A ses followers, il se déclare ainsi animé par « la même envie et le même enthousiasme qu’au premier jour ».
Selon l’étymologie grecque, le prénom d’Alejandro provient des termes grecs « alexein » et « andros » qui signifient respectivement « repousser, protéger » et « homme ». Qu’il s’agisse de ses camarades ou de ses adversaires, le guerrier Alejandro repousse ou protège donc l’homme. Leader incontestable à la Movistar, débarrassé du poids de Miguel Angel Lopez, c’est bien en meneur de cortège qu’il se présentera sur son fétiche Tour d’Espagne, avec l’ambition de repousser les autres cadors dans son sillage.
Valverde, prophète en son pays
Mais avant la Vuelta, il y a toute une saison à disputer. Et Valverde semble d’ores et déjà la croquer à pleines dents. Aligné d’entrée sur les classiques hivernales espagnoles, sous les températures douces et appréciées des Baléares, « Bala » ne tarde pas à marquer. 6e à Calvia, dauphin de Tim Wellens sur le Trofeo Serra de la Tramuntana, il profite du final en pente du Trofeo Pollença pour lâcher ses concurrents et régler au sprint Brandon McNulty. Et célèbre son succès avec autant d’entrain qu’à l’occasion des 130 précédents.
A 41 ans, Alejandro Valverde a toujours la même rage de vaincre | © Photo Gomez Sport
S’il savoure chaque bouquet comme s’il s’agissait de son dernier, cette fatidique heure pourrait bien être tardive. En effet, après une solide prestation sur le Tour de la Communauté de Valence, qu’il conclut à la 5e place derrière une horde de cadors (Vlasov, Evenepoel, Rodriguez), Alejandro Valverde inaugure à la fin du mois de février la première édition du Gran Camino, épreuve par étape galicienne. Notamment opposé à Michael Woods, rival de longue date, et Mark Padun, révélation de l’an passé, le natif de Murcie ne quitte jamais le podium. Finalement auréolé de jaune, il savoure son éternelle régularité : « Samedi, j’ai gagné l’étape. J’ai toujours été devant pendant les quatre jours – troisième à Vigo, deuxième vendredi, troisième dimanche avec en prime le classement général – et je suis enthousiasmé par cette course ». Plus qu’un champion, Alejandro Valverde est un étendard du cyclisme espagnol. Son symbole. Son héros.
La Vuelta ou le rêve d’une carrière en apothéose
Désormais, Alejandro Valverde a le regard tourné vers de plus prestigieuses échéances. Samedi, il sera au départ des Strade Bianche. Deux fois troisième de l’épreuve toscane en 2014 et 2015, il tentera de profiter de sa forme éblouissante pour s’adjuger ce « 6e Monument ». Sur cette cyclo à l’ancienne devenue course-rétro, le seul homme du peloton ayant couru au XXe siècle essaiera de faire un beau clin d’œil à l’histoire.
Puis « Bala » adressera ses adieux à ses chères courses espagnoles, le Tour de Catalogne, qu’il a remporté trois fois, puis celui du Pays Basque, qu’il a accroché à son palmarès en 2017. Il dira ensuite aurevoir à sa « semaine sainte », celle du triptyque ardennais, auquel il doit tant. Il y remporta ses 4 Monuments sur la Doyenne, et devint roi des puncheurs en triomphant cinq fois au Mur de Huy. Seule l’Amstel Gold Race lui résiste encore. Et cette saison constitue sa dernière chance d’y rayonner.
Outre ses 4 Liège-Bastogne-Liège et son triomphe sur la Vuelta 2009, son titre de champion du monde restera incontestablement l’un des moments forts de la carrière d’Alejandro Valverde | © Wikipédia
Une fois sa 43e année entamée, Alejandro Valverde prendra ensuite la route de l’Italie. Peu rancunier, il parcourra ainsi les terres dont il fut banni à la suite de l’affaire Puerto, point sombre de sa brillante carrière, et où naquit cette suspicion dont il ne se débarrassa jamais, comme un chewing-gum vous colle à la chaussure.
Enfin, lancé dans la dernière ligne droite de sa carrière, Alejandro Valverde s’offrira un splendide jubilé. Après un passage par la Classica San Sebastian, dont il gagna par deux fois le béret, il se présentera au départ d’Utrecht, pour la 16e et ultime Vuelta de sa carrière. Durant trois semaines, il pourra ainsi quitter en paix ses routes et son public, dont il s’est tant nourri et qu’il a tant satisfait. Mais cette tournée d’adieux ne sera pas détachée d’ambition. L’espagnol rêve d’une dernière consécration, d’un énième bouquet qui célèbrerait son salut. En 2022, Alejandro Valverde se voit en Alberto Contador à l’Angliru, porté par toute l’Ibérie et aidé par David De La Cruz, adversaire mais compatriote, pour son dernier coup de feu. L’émotion sera garantie.
Par Jean-Guillaume Langrognet