Peux-tu te présenter ?
Je suis mariée et j’ai 2 petites filles prénommées Jeanne (8 ans) et Marie (5 ans). J’habite au sud de Pau dans un petit village de 300 habitants à Baliros au pied des Pyrénées. J’ai été recruté en septembre 2002 avec un CDI en tant que conseillère commerciale à la boutique Orange de Périgueux avec un mi-temps annuel payé plein temps (l’équivalent d’un contrat d’insertion professionnel). A cette époque, j’ai pu enfin obtenir une couverture sociale qui n’existait pas, un vrai salaire et j’ai commencé à cotiser pour ma retraite. Ce n’était pas facile de tout gérer (l’hiver, je travaillais à plein temps) mais ce travail m’a rendu plus sereine car le cyclisme féminin était loin d’être professionnel à l’époque. J’ai ainsi pu bénéficier d’une solide formation qui m’a permis d’évoluer dans l’entreprise jusqu’à la fin de ma carrière sportive. Dans le management depuis 10 ans (7 ans en boutique Orange), je gère aujourd’hui une équipe à l’agence entreprise sud-ouest avec 13 personnes qui font du recouvrement de grandes collectivités et de grandes entreprises de la région Nouvelle Aquitaine et Auvergne Rhônes-Alpes. C’est un travail très prenant où l’écoute, la communication l’adaptabilité et l’accompagnement sont les clés de la réussite.
Ton palmarès et les équipes par où tu es passée ?
Côté sport, j’ai démarré dès le plus jeune âge avec la pratique de la danse, de la gymnastique et beaucoup de sports scolaires et UNSS avec l’athlétisme que j’adorais. C’est à l’âge de 13 ans que j’ai compris le cyclisme n’était pas réservé qu’aux hommes en voulant suivre les traces de mon beau-père Alain Brunel qui s’entraînait seul à vélo. J’ai réussi à le convaincre que j’arriverais à le suivre.
Surpris par mes performances, il m’a proposé de prendre ma 1ère licence de cycliste en 1989 au club de la Pédale Faidherbe à Périgueux. Les premières victoires sont arrivées dès ma jeune carrière en catégorie cadette, puis tout s’est accéléré en 1992 dans la catégorie Juniors où je termine 3ème des Championnats de France juniors.
Je suis appelée par Jeannie Longo qui me propose à quelques jours du départ du Tour de France d’intégrer son équipe inter-régionale montée pour l’épreuve (Ile de France-Régions). Je prendrai finalement une belle 30ème place à 17 ans, la plus jeune du Tour.
Je deviens un mois plus tard Vice-Championne du Monde Juniors à Athènes et mon beau-père crée la première équipe exclusivement féminine (le Team Cycliste féminin 24). Cette équipe permet de donner à quelques filles, avec moi compris, la possibilité de participer à un calendrier de courses nationales et internationales pour compléter le calendrier de courses de l’équipe de France.
L’année suivante en 1993, je deviens championne du monde Juniors en Australie.
En 1994, j’intègre l’équipe de France élites et je termine à la 6ème place du Tour de France féminin avec une place de meilleure jeune tout en continuant avec le team cycliste féminin Périgord Boulazac.
Puis l’évolution continue en trustant surtout les victoires dans les courses par étapes et dès que la route s’élevait.
3ème des championnats d’Europe en 1996 et Championne d’Europe en 1997, je signe en Italie dans l’équipe Fanini pour la saison 1998 rejoignant le pays où se trouvent les meilleures mondiales dans l’objectif de progresser encore au plus haut niveau.
Je reviendrai de là-bas en juillet avec beaucoup de déception. Le professionnalisme que j’attendais était différent du leur.
En 1999, je signe au CA Mantes la Ville, 1ère équipe française qui nous fournit enfin des vélos et des salaires mais hélas ça ne durera pas longtemps.
Je continue à courir en 2000 avec mon club, le Team Cycliste Féminin Périgord Boulazac et l’équipe de France.
En 2001, les pruneaux d’Agen investissent dans le cyclisme féminin et donnent de l’argent pour continuer à évoluer et participer à un beau calendrier de courses nationales et internationales. Nous n’avions hélas pas de vélos, ni de salaires.
Vice-championne de France élites en 2004, vainqueure du Tour international de l’Ardèche en 2005, vainqueure d’une étape de la Grande Boucle féminine en 2006 et du maillot de meilleur grimpeur, retrouvant la forme et l’envie je décide pourtant d’arrêter ma carrière à la fin de la saison 2006.
3ème la veille de l’arrivée de cette même Grande Boucle 2006, victime d’un ennui mécanique dans la descente du mont Ventoux alors que j’avais assuré ma 3ème place, je suis obligée d’attendre 20 minutes sur le bord de la route sans être dépannée car l’équipe n’avait pas de vélo de rechange.
C’est en partie par ce manque de professionnalisme, que j’ai décidé d’arrêter ma carrière et d’investir pour l’entreprise Orange qui m’a embauché.
Elisabeth avec son maillot aux liserés arc-en-ciel | © Pierre Sicaud
Le cyclisme féminin est en plein boom. Que penses-tu de la réforme World Tour ? Y trouves-tu des limites ?
Le cyclisme féminin est aujourd’hui dans une nouvelle ère avec cette nouvelle réforme World Tour et c’est positif que les femmes cyclistes soient enfin reconnues. Elles ne sont pas encore à l’égal des hommes côté rémunération mais ce projet UCI va dans le bon sens. Il aurait été souhaitable que l’UCI crée une année de transition pour certaines cyclistes comme la création d’une convention pour celles qui avaient des contrats d’insertion professionnels (ex : armées de terre). Cela aurait permis de cumuler 2 salaires. Les salaires sont encore très bas pour certaines à l’étranger (en dessous du SMIC français). Heureusement, le salaire minimum obligatoire va évoluer pour atteindre d’ici 2023 32107€ à l’année. Aujourd’hui, les coureures peuvent évoluer et courir dans des équipes avec un vrai salaire de coureure cycliste (protection sociale et cotisation pour la retraite) avec des vélos prêtés.
En présence du président de l’UCI : David Lappartient | © Alessandra Cappellotto
Aurais-tu aimé cela à ton époque ?
Nous étions au balbutiement de cette réforme il y a 15-20-25 ans. En revanche, à l’époque nous avions de belles courses par étapes internationales qui sont parties du calendrier (Tour de l’Aude, Grande Boucle féminine, Giro Feminile, Masters Féminin,Tour de la CEE,3 jours de Véndée, Etoîle Vosgienne, Tour de la Drôme, Tour du Limousin,Tour de l’Ardèche, Tour de Suisse, Tour de Bretagne,Tour de Thuringen etc…). Beaucoup de courses françaises ont disparu et c’est dommageable pour l’évolution du cyclisme féminin français. Il faut des courses pour que ces femmes cyclistes soient vues pour donner envie à d’autres qui seront un jour de futures licenciées.
Co-présidente de l’AFCC, en quoi consiste cette association ? Pourquoi en fais-tu partie ?
Aujourd’hui, j’ai accepté cette co-présidence aux côtés de Marion Clignet, ancienne championne qui m’a sollicité en fin d’année 2018 pour la création de l’association française des coureures cyclistes. Cette association (équivalent de l’UNCP pour les femmes) a plusieurs objectifs :
- développer le statut de coureure cycliste professionnel
- défendre et protéger l’ensemble des droits et des intérêts généraux et particuliers, matériels, moraux et professionnels de ces coureures cyclistes
- accompagner les cyclistes dans leur carrière pour mieux appréhender le métier de coureure cycliste et les accompagner dans leur reconversion
- étudier les questions sociales, économiques et juridiques
- promouvoir le cyclisme féminin
Je fais partie de cette asso pour toutes les raisons évoquées lors de ma carrière, de ce manque de professionnalisme même si j’ai pris beaucoup de plaisir à pratiquer ce sport. J’ai aujourd’hui 2 petites filles qui pratiquent elles-mêmes du sport et font du vélo. J’aimerais pouvoir apporter à toutes les jeunes athlètes un avenir meilleur.
Qui en est à l’origine ? Qui la compose ?
L’origine de l’AFCC vient d’une réunion organisée par l’UNCP en 2018 lors des championnats de France de cyclisme. Audrey Cordon-Ragot y avait participé. Elle a constaté que les problèmes des hommes n’étaient pas forcément ceux des femmes et qu’il fallait s’organiser. Nous sommes aujourd’hui un bureau qui a évolué avec 2 co-présidentes (Marion Clignet et moi-même), 3 vices-présidentes (Audrey Cordon-Ragot, Sandrine Bideau et Gaëlle Carreau-Poirier), une secrétaire (Jennifer Letué), une trésorière (Sandrine Deligey), un président d’honneur (Pascal Chanteur) et un membre UNCP (Christophe Agnulotto), 2 secrétaires responsable web (Djoudi Belahcene et Amandine Lac). Nous ne sommes pas un syndicat car il n’existe pas encore de licenciées professionnelles mais une association loi 1901. Nous ne sommes pas comme l’UNCP qui fonctionne grâce à un pourcentage des prix gagnés par les hommes. Nous ne souhaitons pas fonctionner avec le peu de prix qu’elles gagnent. Nous fonctionnons grâce à la recherche de partenaires (aujourd’hui le CIC et MAPEI nous ont aider) et les adhésions.
Elisabeth lors du gala après le critérium de Bergerac | © Stéphane Tillet-Lannegrand
Toutes les coureuses françaises en font partie ? Comment en être adhérente ?
Toute personne peut y adhérer et contribuer à la réussite de nos objectifs. Pour adhérer, il suffit de remplir le bulletin d’adhésion que vous pouvez nous réclamer via messenger sur Facebook et l’ accompagner d’un règlement avec un minimum de 5 euros et l’envoyer au siège social 5 rue des colonnes 75002 Paris. Une vingtaine de coureures cyclistes françaises en font partie mais ce n’est pas encore suffisant. Nous souhaiterions que toutes y adhèrent. La fédération va organiser une réunion avant la première manche de coupe de France le 19 Avril à Chambéry dans l’objectif de mieux nous faire connaître.
Le nombre de licenciés est quant à lui à la baisse. Que doit faire la FFC et les clubs pour changer cela ?
Le nombre de licenciées a baissé tout comme les garçons. En revanche, le pourcentage de licenciées femmes reste le même. Beaucoup de femmes pratiquent le cyclisme mais pas forcément dans un club. La fédération devrait peut-être donner plus de moyens aux clubs pour encadrer les jeunes (souvent livrés à eux-mêmes sans plans d’entraînement) et qui partent dans d’autres sports plus structurés. Il faudrait aussi aider les clubs à organiser en faisant des formations (comment organiser, recherche de sponsors, quels sont les obstacles…etc) et réduire les coûts d’organisation qui restent élevés. Peut-être que la fédération devrait obliger les organisateurs d’épreuves professionnelles à créer des épreuves non licenciés ouvertes à tout le monde ? Cela pourrait permettre de créer des vocations. Il faudrait aussi créer des épreuves toutes fédérations confondues (FFC, UFOLEP, FSGT…).
Elisabeth aux côtés de l’équipe de France route aux Championnats du Monde 2019 | © Elisabeth Chevanne
Pratiques-tu encore le cyclisme ? En compétition ou autres ?
Oui je pratique encore le cyclisme pour le plaisir et pour m’entretenir mais aussi de la course à pied, de la randonnée et de la natation (au moins 2 fois par semaine) quand j’ai le temps. Je faisais également du cyclo-cross l’hiver depuis 2 ans pour le plaisir et pour faire découvrir cette discipline à mes petites filles. J’ai dû arrêter car l’association me prend du temps et on ne peut pas être partout. J’ai besoin de me dépenser malgré tout. Je vais donc faire quelques trails, raid ou duathlon dans ma belle région des Pyrénées où le terrain de jeu est varié.
Qu’est-ce que ce sport t’a apporté dans ta vie quotidienne et ta vie d’aujourd’hui ?
Ce sport m’a apporté de grandes émotions individuelles et collectives et m’a forgé un caractère, un mental qui me sert dans mon travail de tous les jours et dans la vie. Je suis une combattante, je ne lâche rien tant que je n’ai pas tout donné. Je sais rebondir très vite face aux échecs. D’autre part, j’ai toujours eu une vie saine avec le sport, qui est un style de vie que j’ai conservé pour moi et ma famille. Tout cela me sert à tenir parfois dans les périodes un peu compliquées où vous devez gérer beaucoup de choses.