« Ici, j’ai été poursuivi par un panda géant. Enfin… par un homme déguisé en panda. – Pourquoi ? – Je ne sais pas ». Ici, c’est la côte d’Ans cette anecdotique rampe de bitume débouchant sur l’avenue Jean Jaurès, où fut un temps consacré le lauréat de la Doyenne. Ce ton passé, il renvoie à l’année 2013, à une époque où les cadors d’appelaient encore Alejandro Valverde, Joaquim Rodriguez ou Philippe Gilbert. Et ces mystérieux interlocuteurs, ce sont les jumelles Daisy et Ella, et leur fier papa, Dan Martin. Plutôt que de revoir l’endroit où il fut célébré cette année-là, l’anglo-irlandais préféra se replonger dans cet étrange souvenir, aussi cocasse que symbolique. Car, si le panda l’a d’abord poursuivi dans ses grandes heures, c’est ensuite le natif de Birmingham qui s’est mis à sa quête lorsque la réussite l’a fui.
Mon autobiographie sort aujourd'hui en français aux éditions Hugo. J'ai eu plaisir à l'écrire en français avec Pierre. Merci à toute l'équipe d'Hugo Sport pour cette aventure https://t.co/KiWZfaXMum
— Dan Martin (@DanMartin86) October 20, 2022
Comme une évidence, « à la poursuite du panda » s’est imposé comme le titre d’une autobiographie à laquelle Dan Martin a longtemps songé, avant de profiter de sa première année à l’écart des pelotons pour s’y adonner. Dans cette entreprise, il reçu naturellement le concours de son ami Pierre Carrey, rencontré du côté des Bouches-du-Rhône, lorsque l’un n’était encore qu’un apprenti journaliste, et l’autre un simple espoir du VC La Pomme Marseille. Pendant trois mois, Pierre a harcelé Dan, le torpillant de questions sur WhatsApp auxquelles l’irlandais s’appliquait à répondre avec détail.
L’exercice était tout à fait inédit pour les deux hommes. Son résultat s’avère magistralement abouti. Porté par la délicatesse des pages granuleuses et du papier glacé des éditions Hugo Sport, l’ouvrage déverse tout l’humanité dont il regorge dès sa prise en mains. Véritable testament d’un temps révolu, grandiose témoignage d’un type de coureur disparu, il livre à son propriétaire les tracas et joies ordinaires d’un sacré coursier.
Dan Martin, le francophile inexpliqué
Né à Birmingham, d’un père anglais et d’une mère irlandaise, Dan Martin s’est vite pris d’affection pour le cyclisme et la France. En tant que neveu d’un champion (Stephen Roche) et fils d’un professionnel (Neil Martin), sa première lubie lui était vraisemblablement prédestinée. La seconde en revanche, reste mystérieuse et même inexpliquée auprès de l’intéressé. Peut-être parce qu’il considérait la patrie tricolore comme le pays du vélo ? Quoi qu’il en soit, Dan Martin apprend soigneusement la langue de Molière sur les bancs d’école et poursuit son destin en rejoignant le modeste VC La Pomme Marseille à partir de la saison 2005. Après avoir appris le français en classe, voilà que Dan Martin s’apprête à faire ses classes en France.
Riches d’enseignements et hautes en couleurs, celles-ci lui offriront une mue totale entre un niveau d’amateur et un statut de grand espoir, auquel l’équipe Garmin s’intéressera de près. Si son recrutement par l’écurie américaine l’éloigna de sa colocation marseillaise pour l’expédier du côté de Gérone, l’Irlandais retourna ensuite s’installer tout près de sa patrie d’attache, au cœur des Pyrénées, dans la Principauté d’Andorre. Comme Ulysse revint à Ithaque une fois sa mission accomplie, Dan Martin profita du paroxysme de sa carrière pour aller fonder une famille là où le son cœur le lui disait.
A l’heure venue de retracer sa carrière en 313 pages et 26 chapitres, Dan Martin a donc fait le choix du français, le vœu de l’amitié, le souhait du romantisme, pour poser les mots sur son passé. Courtisé de longue date par des éditeurs britanniques, la version shakespearienne de cette autobiographie n’est venue que dans un second temps, presque accessoirement. Au pays du panache, Dan le brave se sent comme chez lui.
Dan Martin, l’émotif assumé
Pour la couverture, Dan Martin et Pierre Carrey ont souhaité une photo sans lunettes. Comme elles sont si rares aujourd’hui, strictement réservées à ces jours de déluge où l’eau ruisselle torrentiellement sur les verres. Pourtant elles fournissent un puissant témoignage de l’humanité de l’être dépeint. « Les yeux sont les fenêtres des émotions » rappelle à cet égard le double vainqueur de Monuments. En ce faisant, la façade de l’ouvrage représente son intérieur, et illustre même son architecture. A chaque chapitre, une histoire. A chaque histoire, une peur. « Peur d’être nul », « Peur de tomber », « Peur d’être leader », chaque partie met en exergue les craintes inhérentes au métier de coureur cycliste. Réunies, elles racontent l’indicible et dévoilent l’inavouable.
En dépit de sa sympathie naturelle, Dan Martin, le coureur, a dû refreiner chaque émotion, chaque frayeur, chaque douleur, dans sa posture publique. Alors Dan Martin, le retraité, se libère enfin de cet amas sentimental qui pesait sur son cœur d’homme. Derrière les verres teintés des lunettes enracinées, par-delà des discours tout faits et autres éléments de langages dégorgés, cette autobiographie laisse ainsi vibrer l’âme de l’homme. Du piège du dopage au vertige de la chute, Dan Martin et Pierre Carrey abordent ainsi successivement toutes les phobies et fléaux qui secouent tour à tour les habitants du peloton.
Finalement, il s’agit là de reprendre la doctrine que l’irlandais s’est appliquée tout au long de ses quinze ans de carrière professionnelle. Plus que de ses résultats intrinsèques, celui-ci souhaitait surtout se satisfaire de son niveau de performance, en bon stoïcien. Premier regard en arrière sur une carrière où Dan Martin fut perpétuellement amené à se projeter, cet essai autobiographique a esquissé quelques sentiments de fierté rétrospectifs. Les premiers à cet égard.
Dan Martin, l’hyperactif retraité
Naturellement, une dernière se pose au sujet de l’irlandais. Que devient l’infatigable puncheur depuis qu’il s’est retiré des pelotons ? Relativement discret dans la sphère médiatique, le cousin de Nicolas Roche l’est nettement moins dans le monde commercial. Outre la parution de son autobiographie le 20 octobre dernier, au terme de neuf mois d’un travail intense, Dan Martin a également multiplié les missions d’ambassadeur et testeur de luxe auprès des marques Mavic, Endura ou encore Argon 18. Surtout, il s’est enfin dédié à sa passion pour l’investissement, lorsque cette envie a dépassé son amour pour la Petite Reine. Le montage de sa société a donc de quoi notoirement occuper ses mois.
Ainsi, il déclare s’être arrêté au moment où le métier prenait le pas sur le plaisir, au plus fort des turbulences insufflées par la démocratisation des gains marginaux. Plus le temps passe et moins il se reconnait dans les épreuves courues à tambour battant du premier au dernier kilomètre, qu’il préfère ainsi suivre depuis son canapé. Lorsque l’on lui évoque l’hégémonie Evenepoel ou les envolées de Tadej Pogacar, il nous rappelle qu’il n’y a pas si longtemps que ça, la course au maillot jaune mobilisait bien plus de protagonistes, au sein desquels il parvenait parfois à se glisser. A l’âge où Egan Bernal marchait sur la Grande Boucle, Dan Martin se contentait encore d’un camping-car pour se changer et d’un lit superposé pour se reposer. Et s’il a dû mobiliser toute sa force d’esprit pour résister au dopage, il est heureux d’avoir été épargné par les programmes diététiques stakhanovistes.
Aux côtés des Nibali, Gilbert ou Valverde, la retraite de Dan Martin marque l’amorce de la disparition du cyclisme qu’ils ont animé. A la poursuite du panda prend alors la charge de le raconter.