Le 22 août, au sommet des cimes alpestres, dans la fraîcheur de l’altitude, de jeunes coureurs franchissent un à un la ligne d’arrivée de l’ultime étape du Tour de l’Avenir, tracée au sommet du col du Petit Saint-Bernard. Le vainqueur du jour, l’espagnol Carlos Rodriguez, courre discrètement sous les couleurs du Team INEOS depuis deux ans. Quant à Tobias Halland Johannessen, leader final du classement général, il intègrera la modeste formation norvégienne Uno-X Pro Cycling Team à partir de l’an prochain. Et le futur de Hugo Toumire, premier représentant tricolore (5e au général), sera orné de blanc et rouge, au sein de la Team Cofidis, pour laquelle il évolue aujourd’hui en tant que stagiaire. Tous ces noms sont aussi peu connus du grand public qu’ils trusteront les podiums de demain. Et bien qu’ils finissent tous par illuminer les yeux des recruteurs, tous sont issus de voies différentes, sur le chemin du développement optimum de leur talent. Certains sont précoces quand d’autres n’émergent que sur le tard. Certains sautent des classes quand d’autres patinent en catégories amateurs. Certains sont sollicités quand d’autres sollicitent. Il s’agit dès lors de mettre en lumière ces parcours, leurs phases et leurs divergences.
Le podium final du Tour de l’Avenir 2021 (avec, dans l’ordre du classement, Tobias Halland Johannessen, Juan Ayuso et Filippo Zana) | © Tour de l’Avenir
Le grand rendez-vous des juniors
L’apprentissage du métier cycliste est un grand escalier au fonctionnement similaire que le système scolaire. L’accession au sommet se fait étape par étape, accompagnant le développement physique et personnel. Pupilles, minimes et cadets sont ainsi des marches à escalader une par une, où l’accent est mis sur la découverte du sport et de l’envergure de ses disciplines. L’entrée dans les rangs juniors marque en revanche un tournant. S’il est hors de question de mettre le plaisir de côté, le sérieux y est requis pour les meilleurs et les rêveurs, ceux qui voient leur avenir à bicyclette. Les week-ends se parent d’échéances immanquables et deviennent l’occasion de se montrer, de s’illustrer, de briller. Une sélection s’opère alors entre les champions et les anonymes de ces épreuves. La voie du cyclisme pro est barrée d’un premier péage, que seuls les meilleurs passent. Ceux-là dominent les courses régionales, se disputent les bouquets du circuit national et prétendent à revêtir la tunique tricolore en sélection. Principaux acteurs des championnats de France de la catégorie, Romain Grégoire, Lenny Martinez ou encore Pierre Gotherat se sont ainsi retrouvés sur des épreuves d’ampleur internationale, à l’instar de la Course de la Paix ou de l’Ain Bugey Valromey Tour. Pour eux, le soleil du monde pro perce doucement à travers la toison de nuages. Les autres ne verront jamais l’astre.
Romain Grégoire avec le maillot de champion de France Juniors | © AG2R-Citroën U19
Dès lors, les dernières décennies ont vu apparaître et s’accélérer la création de structures spécifiques à l’encadrement de ces pépites. En France, les pôles Espoirs en sont les exemples les plus courants. Associant sport et scolarité, ils offrent à ces jeunes l’environnement idéal pour progresser dans leur discipline tout en poursuivant leur cursus secondaire, grâce à des partenariats avec des classes à horaires aménagés. De la sorte, ils optimisent les chances d’éclosion en élite tout en préparant une solution de repli en cas d’échec. Pour n’en citer qu’un, le pôle Espoirs de Besançon, qui a notamment vu passer dans ses rangs Steve Chainel, Morgan Kneisky ou encore Fabien Doubey, met à disposition de ses athlètes un large panel d’infrastructures, de l’hébergement au vélodrome en passant par un atelier sécurisé. Et s’ajoute à cet aspect matériel un suivi personnalisé, avec des conseils et programmes d’entraînements dignes du monde pro.
La marche des espoirs ou l’ascenseur vers le World Tour
Autrefois, les grands champions des rangs juniors auraient accédé à la catégorie Espoirs sans se poser la moindre question. Aujourd’hui, les véritables cracks sont immédiatement propulsés en World Tour, recrutés par les plus grosses cylindrées. Longtemps jugé impossible, ce grand saut reste aujourd’hui une rareté mais ces cas se sont multipliés au cours des dernières années, comme en témoignent les récents exemples de Remco Evenepoel (Deceuninck Quick-Step), Quinn Simmons (Trek-Segafredo), Juan Ayuso (UAE Team Emirates) ou encore Marco Brenner (Team DSM). Virtuoses de leur génération, le prestige de leur palmarès a immédiatement attiré sur eux tous les yeux des recruteurs, avec des équipes prêtes à signer de gros chèques pour s’offrir leurs services. Ces investissements sur l’avenir s’accompagnent naturellement de contrats longs (jusqu’en 2025 pour Juan Ayuso) et construisent une progression paliers par paliers pour mener progressivement ces jeunes vers des statuts de leaders prédestinés. En effet, ces signatures en WorldTeam ne sont pas immédiatement synonymes de participation à des Grands Tours. Il ne faudrait surtout pas griller ces joyaux. Ainsi, pour sa première année dans les rangs professionnels, à seulement 19 ans, Remco Evenepoel n’avait pris part qu’à des courses de second rang, en ayant à patienter quelques mois pour se hisser sur les podiums, avant d’entamer son incroyable collection de bouquets.
Juan Ayuso, néo-pro au sein du Team UAE Emirates | © Team Colpack – Ballan
Pour les autres, la case Espoirs s’impose dès lors comme l’ultime marche avant l’accession au Graal. Parcourant le calendrier continental, ces survivants des catégories antérieures ont à cœur de bien faire pour séduire les formations d’élites. Sur des épreuves nerveuses courues tambour-battant, ils découvrent un niveau proche du monde professionnel et se forgent l’endurance et la résistance nécessaires pour entrer chez les « grands ». De ce fait, face à une telle concurrence, les vainqueurs des courses reines se prédestinent à un avenir doré, étalant déjà le talent qui compose leurs jambes. Le Baby Giro, le Saska Tour ou le Tour de l’Avenir consacrent ainsi les champions de demain. Tadej Pogacar ou Egan Bernal ont notamment remporté l’épreuve française avant d’éclabousser le Tour de leur aisance en montagne.
Les pépinières amateures ou les réservoirs des Contis
Longtemps, passer Espoirs rimait avec courir en amateur. En France, certains clubs se sont d’ailleurs spécialisés dans la formation de jeunes talents, allant même jusqu’à signer des partenariats avec des équipes professionnelles. Le VC Loudéac est ainsi devenue l’équipe réserve du Team Arkea Samsic et les Belges de Wanty-Gobert ont opéré un rapprochement avec la formation DN1 du CC Etupes pour y recruter le fleuron franc-comtois. Mais l’exemple le plus célèbre reste évidemment celui de l’antichambre d’AG2R-Citroën Team, soit le Chambéry CF. La plupart des champions de l’équipe de Vincent Lavenue y sont passés, à l’instar de Romain Bardet, Aurélien Paret-Peintre ou encore Pierre Latour. A ce titre, ce dernier explique même que la signature de son premier contrat pro n’est que le fruit logique d’une longue collaboration.
L’équipe U23 d’AG2R Citroën | © Chambéry Cyclisme
Toutefois, on voit apparaître ça et là des équipes réserves de WorldTeams, n’évoluant non pas en rangs amateurs, mais en division Continentale, le dernier échelon du monde professionnel. Entre 2013 et 2016, la petite fille de la Quick-Step a sorti de ses rangs un nombre incalculable de champions, de Julian Alaphilippe à Enric Mas en passant par Ivan Garcia Cortina. Disparue depuis, elle a vu son modèle être repris par la Groupama-FDJ avec « la Conti » ou par les kazakhs d’Astana avec Vino-Astana Motors. Concourant sur des épreuves de niveau moindre que les formations mères, ces équipes offrent l’opportunité à leur membre de poursuivre leur développement tout en bénéficiant des avantages du statut pro. Le passage d’un coureur y dure en général deux à trois ans, avec une évolution des objectifs et des attentes, incluant souvent des piges avec la WorldTeam sur certaines courses. Ce modèle permet aux écuries en disposant de « prendre sous leur aile » de prometteurs Espoirs en leur proposant un accompagnement de haut-niveau, tout en s’assurant une primauté pour leur entrée dans l’élite, histoire qu’ils ne se fassent pas « chiper » par des formations adverses. Aujourd’hui, ils sont déjà 5 membres de la Groupama-FDJ à être passés par les rangs de la Conti, et le britannique Lewis Askey s’apprête à les rejoindre l’an prochain.
La Conti Groupama-FDJ | © Equipe continentale Groupama-FDJ
Par conséquent, il n’existe donc pas une mais bien de multiples voies pour passer pro. Et si les principales ont été exposées précédemment, elles sont loin d’inclure l’ensemble des parcours. Geoffrey Bouchard, actuel 17e du classement général de la Vuelta, n’est ainsi passé professionnel qu’à 27 ans, après être resté longtemps coincé dans les rangs amateurs. Et Primoz Roglic, déjà double vainqueur du Tour d’Espagne, n’a jamais remporté la moindre épreuve Espoirs. Finalement, le cyclisme c’est comme la vie, il y a une infinité de moyens d’y réussir !
Par Jean-Guillaume Langrognet