Avec une victoire d’étape, un top 5 et un top 10 au classement général, cette 109e Grande Boucle n’a pas été aussi mauvaise que prétendue pour le cyclisme français. Comparée aux précédents crus, cette prestation collective véhicule même de nombreux motifs de satisfaction. L’exode de Christophe Laporte (Jumbo-Visma) porte déjà ses fruits. La forme de Romain Bardet (Team DSM) lui garde encore de belles années à courir. L’inédite régularité de David Gaudu (Groupama-FDJ) l’envoie désormais au pied du podium. A cela, on pourrait ajouter un Thibaut Pinot (Groupama-FDJ) toujours revanchard, un Warren Barguil (Arkea-Samsic) capable de tirer son épingle du jeu au sein d’une échappée sur le Tour ou un Benjamin Thomas (Cofidis) réussissant à mettre en échec une meute affamée durant 50 bornes.
Néanmoins, ce tableau est noirci par l’âge de ses protagonistes. En incluant Julian Alaphilippe (Quick Step Alpha Vinyl) et Arnaud Démare (Groupama-FDJ), les principaux pourvoyeurs de victoires du cyclisme français, on élève la moyenne d’âge à 29 ans. En fait, seuls David Gaudu (25 ans) et Benjamin Thomas (26 ans) paraissent véritablement avoir l’avenir devant eux. Leurs compatriotes sont encore capables de belles choses, mais la génération Pinot-Bardet-Barguil-Démare aborde désormais la pente descendante. Pour Thibaut Pinot, la saison prochaine pourrait même être la dernière. Dès lors, cet inquiétant constat mérite de soulever la question de l’avenir du cyclisme français. Le renouvellement est-il en marche ? Ou sommes-nous en train de rater le train de la jeunesse ?
Aujourd’hui, la structuration des rangs espoirs ne produit que des effets relatifs
Depuis quelques années, le modèle des équipes réserves fait son grand retour dans le cyclisme. Instauré au début des années 2010 par Quick Step (avec Etixx-INHed) ou Lotto (avec Lotto-Belisol U23), il est progressivement sorti des plans des plus grosses cylindrées, aux regards désormais portés vers les rangs juniors. Néanmoins, si cette stratégie permet de capter les plus vives pépites avant leur éclosion devant le grand public, elle comporte aussi une part notoire de risques en « brusquant » le développement des coureurs. Le cas d’Ivan Sosa, flamboyant à 20 ans sous les couleurs d’Androni puis invisible ensuite avec le maillot du Team INEOS, illustre parfaitement cette problématique.
Dès lors, la mise en place de structures adaptées aux particularités hexagonales, associant cyclisme et études, s’imposait. Le Vendée U ou la formation AG2R U23 assurait déjà ce besoin au sein des rangs amateurs. La naissance de la « Conti » Groupama-FDJ en 2019 l’a prolongé jusqu’au monde professionnel. En 4 ans, elle a déjà permis à cinq coureurs français (Antoine Raugel, Paul Penhoët, Simon Gugliemi, Alexys Brunel et Clément Davy) d’intégrer une WorldTeam en respectant les étapes de leur développement personnel.
Néanmoins, leur ascension au plus haut niveau a tendance à décevoir. Alexys Brunel a prématurément pris sa retraite, Simon Gugliemi n’a pas été conservé par Marc Madiot à l’expiration de son premier contrat et Clément Davy reste cantonné au rôle de gregario. Si l’intention est louable et la structure admirable, la pépinière de la Groupama-FDJ n’a pas encore donné satisfaction du point de vue des résultats. Quant au Vendée U ou à AG2R-Citroën U23, leurs dernières progénitures victorieuses ont aujourd’hui toutes dépassé le cap des 30 ans, à l’image de Romain Bardet.
A court terme, de brillants espoirs devraient illuminer le cyclisme français
Si la formation est primordiale, le talent prime toujours. Il n’y a qu’à regarder les dernières éditions du Tour de France pour s’en rendre compte. Le cyclisme rajeunit et ses élèves modèles n’ont cessé de sauter des classes jusqu’à prendre leurs aises dans la cour des grands. Et si, à ce jeu-là, la France fait actuellement figure de cancre, les choses pourraient rapidement changer. 10 ans après la vague Pinot – Barguil – Bardet – Démare, une nouvelle génération dorée s’apprête à débarquer sur nos routes et nos écrans.
Cette fois, les héros s’appellent Kévin Vauquelin, Romain Grégoire et Lenny Martinez. Nous en parlions déjà en septembre 2021 dans deux articles dédiés aux meilleurs espoirs et juniors du cyclisme français. Un an plus tard, tous ont franchi la marche supérieure. Kevin Vauquelin est passé professionnel au sein du Team Arkéa-Samsic, où il s’est immédiatement illustré sur le Tour d’Oman. Romain Grégoire s’est engagé auprès de la Conti Groupama-FDJ et ne cesse plus de gagner des courses. Lenny Martinez, également membre de la « Conti », multiplie les piges remarquées dans l’équipe première, arrachant même une belle 8e place sur la Mercan’Tour Classic après avoir abattu un puissant travail d’équipier pour ses leaders.
Ces brillants résultats leur promettent d’ores et déjà de scintillantes perspectives. Vainqueur de Liège-Bastogne-Liège Espoirs, Romain Grégoire rêve de s’asseoir au sommet de la hiérarchie des puncheurs. Quant à Lenny Martinez, son triomphe au Tour du Val d’Aoste lui prête un destin similaire à celui de Thibaut Pinot, son illustre prédécesseur en 2009.
Lenny Martinez, premier vainqueur français du Tour du Val d'Aoste depuis Thibaut Pinot en 2009. pic.twitter.com/0kFaREqZhS
— La Conti Groupama-FDJ (@groupamafdj_ct) July 17, 2022
A moyen terme, le développement du cyclisme français féminin devrait apporter de nouvelles sources de succès
Le cyclisme français ne se conjugue pas seulement au masculin. Il se décline aussi au féminin ! Longtemps, Jeannie Longo écrasa le cyclisme sur route dans cette catégorie. En 2014, Pauline Ferrand-Prévot glana elle aussi les liserés arc-en-ciel, symbolisant à nouveau l’accession du drapeau tricolore au sommet du podium mondial. Si sa décision de se consacrer exclusivement au VTT laissa un vide sur le bitume, une nouvelle génération de championnes s’érige actuellement. Juliette Labous et Evita Muzic, 23 ans chacune, l’incarnent notamment. Toutes deux vainqueures d’une étape sur le Giro, elles se sont récemment disputé la victoire finale du Tour de Burgos, épreuve étiquetée World Tour, laissant derrière elles la renommée Demi Vollering.
Si ces deux pépites commencent déjà à garnir leur palmarès, de nouvelles arrivées triomphantes pourraient redonner le sourire à tous les supporters du cyclisme français. Marie Le Net (FDJ – Suez – Futuroscope), 22 ans, est notamment passée tout proche d’un immense bonheur sur la 6e étape du Tour Femmes, reprise à cinq petits kilomètres de l’arrivée. Et au sein des rangs juniors, la jeune Eglantine Rayer, à peine majeure, ne cesse de se faire remarquer. Son récent titre de championne d’Europe a d’ailleurs consacré son talent, lui promettant un avenir flamboyant.
Enfin, la publicité inédite qu’accorde Le Tour Femmes à la discipline ne va pas manquer de faire des émules chez les jeunes cyclistes en herbe. Comme le relève Marion Rousse, directrice de l’épreuve, « Avec le Tour de France femmes, les petites filles pourront enfin s’identifier à des championnes ». Si les femmes ne représentent aujourd’hui que 10% des licenciés FFC, la lente croissante actuelle des effectifs (+2,7% annuels en 2021) devrait donc être catalysée dans les prochaines années.
A long terme, la diminution du nombre de licenciés FFC doit être compensée par la croissance de discipline annexes
Toutefois, la croissance du cyclisme féminin ne compense pas la perte d’intérêt de la Petite Reine auprès des amateurs de sport. Depuis 2019, l’effectif de licenciés a décru de 10%, frôlant désormais le seuil des 100 000. Soit autant de chances en moins de dénicher la future pépite du cyclisme français. Cette statistique est donc bien loin des 2 millions de licenciés FFF ou du million de la FFT. En outre, le cyclisme pâtit de la démocratisation de sports annexes, que des structures consolidées et une visibilité accrue permettent de développer.
Mais le cyclisme français ne doit surtout pas subir cette tendance. Au contraire, il doit accompagner l’engouement naissant autour du VTT et du cyclo-cross, popularisés par les retransmissions de la Chaîne L’Equipe. Puisque leurs effectifs sont en hausse par rapport à l’effectif total de licenciés FFC, ces sports pourraient servir de rampes de lancement des jeunes français vers le plus haut niveau, voire d’une excellente préparation au cyclisme sur route, comme c’est le cas en Belgique ou aux Pays-Bas. Rappelons que Wout Van Aert, artificier en chef du Tour, n’a pas commencé sur la route mais dans les sous-bois… Il se trouve peut-être là-bas, à l’ombre d’un arbre, le prochain héros du cyclisme français…