EPIDOSE 4
16 juillet 2011. Terminées, les questions des journalistes sur son bonheur de porter le maillot de leader du classement général. Eteintes, les interrogations sur son niveau par rapport aux favoris. Finis, les récits de la belle histoire du petit français en jaune. La conquête miraculée et inattendue de la précieuse tunique s’est désormais transformée en objectif. Finalement, cette progression est à l’image de l’ascension du plateau de Beille, concluant la dernière journée du triptyque pyrénéen que proposait le parcours de ce Tour de France 2011 : un coureur tout d’abord timoré, aux prises de positions discrètes et timides, qui s’affirme peu à peu, au fil des kilomètres et du dénivelé accumulé, qui termine l’étape en toisant ses rivaux, se tenant fièrement et outrageusement à leurs côtés.
Le maillot jaune n’est maintenant plus un cadeau tout droit venu du ciel, il a cessé d’être conçu comme cette offrande que les grands du peloton ont bien voulu lui accorder l’espace de quelques dizaines d’heures, avant de lui reprendre avec une pointe de despotisme. Thomas Voeckler le sait bien, « donner c’est donner, reprendre c’est voler ». Alors il se démène chaque jour pour conserver son précieux tricot de laine dorée, qu’il ne doit plus à personne, ni aux frères Schleck, ni à Alberto Contador, ni à Cadel Evans. Dorénavant, l’ancien champion de France court d’une manière déconcertante, sans le moindre complexe, faisant preuve d’une autorité ostentatoire à l’égard de ses concurrents. Bref, une allure qui rompt avec celle d’un leader par procuration, mais bien celle d’un vrai maillot jaune.
Au bord de l’insolence, l’alsacien se permet d’accélérer l’allure à environ deux bornes de la ligne d’arrivée. Histoire de prouver qu’il en a encore sous la pédale. Car, juste avant, il vient de résister à une dizaine d’attaques d’Andy Schleck, répondant systématiquement, sans lâcher d’un seul mètre la roue du luxembourgeois. A chaque fois, à chaque estocade portée par le coureur du Team Leopard, il se glisse dans son sillage pour rester à l’abri du vent, qui souffle fort sur les hauteurs occitanes. Il tait bravement l’intense douleur qui saisit ses jambes et les dévore. Il brave une souffrance olympienne, inhumaine, qui fait de la pente un véritable instrument de torture. Il refuse de souffrir le supplice que lui propose son pédalier, et l’écrase encore plus fort pour tenter d’en venir à bout. Il connait une lutte de chaque instant entre son corps et sa conscience, entre les ordres contraires que lui rapportent ses muscles et sa tunique dorée. Alors il persiste à occuper les avant-postes, à répondre à chaque offensive, et à prolonger encore un peu plus son aventure en jaune.
Si bien qu’à l’arrivée, son maillot reste encore solidement attaché à ses épaules, conservant près de deux minutes d’avance sur l’ensemble des cadors. Aujourd’hui, s’il n’a pas rompu, il n’a même pas plié. Son poing rageur au passage de la ligne en dit long sur la symbolique de cette résistance. L’épopée continue.
Par Jean-Guillaume Langrognet