C’était l’époque où porter le casque était tout sauf un réflexe, et où du peloton émergeaient de vraies gueules, des visages reconnaissables parmi tant d’autres au milieu d’un paquet. C’était l’époque où le vélo ne se prenait pas toujours au sérieux, où l’on savait plaisanter sans peur du « qu’en dira-t-on ». C’était l’époque de Thierry Bourguignon, professionnel entre 1990 et 2000. Un vrai personnage que ce Bourgui, dont la cote de popularité frisa avec celle de Richard Virenque au rythme de ses barouds au long cours, souvent vains malheureusement, et de ses pitreries qui en firent et en font encore aujourd’hui un personnage éminemment sympathique aux yeux du public. Cette année 2014, nous voulions la commencer avec le sourire de Thierry Bourguignon.
Thierry, vous avez mis un terme à votre carrière en 2000. En quoi a consisté votre activité dans les années qui ont suivi votre passage chez les pros ?
J’ai d’abord eu l’opportunité de passer directeur sportif. J’avais 38 ans, alors j’ai sauté dessus. J’ai beaucoup aimé ce rôle, le contact avec les coureurs, les organisateurs. Mais les choses ont fait que ça s’est arrêté en 2003. J’ai ensuite réalisé deux fois le Tour de France comme animateur au Relais Etape. C’est de là que je me suis rapproché de Look. On m’a dit qu’il y avait une opportunité au poste de responsable des ventes pour le secteur Sud-Est, dont la place se libérait, et que si j’étais libre après le Tour je pouvais commencer de suite. Au lendemain du Tour de France 2005, j’étais chez Look.
Comment apprend-on un nouveau métier à 42 ans ?
La formation, elle se fait sur le tas. Les deux premiers jours j’ai reçu une petite formation technique sur les produits. Ensuite, j’ai tourné une semaine avec un commercial, une seconde sur un autre secteur. Après, avec du travail, on arrive à tout.
Que vous a apporté votre passé de coureur professionnel ?
Sortir d’une carrière dans laquelle j’ai été reconnu m’a entrouvert des portes, c’est clair, mais après c’est le métier qui fait le reste. On ne peut pas se contenter d’un nom ou d’un palmarès si on ne donne pas satisfaction à la clientèle. Maintenant je bénéficie tous les jours de mon parcours chez les pros. Souvent, je suis reconnu par des clients, des consommateurs, et c’est toujours sympathique. Il m’arrive encore d’être interpelé par des gens au supermarché, ce n’est pas désagréable.
Vous seriez-vous vu évoluer dans un autre domaine que le vélo ?
Ça a failli se faire dans la bureautique il y a quelques années. Ça ne s’est pas fait en raison d’un concours de circonstances mais ma vie n’est pas axée que sur le vélo. Maintenant, quand on a passé quinze ans de sa vie dans ce milieu, qu’on est reconnu en tant que tel, on a du mal à couper avec ça. J’ai coupé avec la compétition mais je reste consultant pour RMC pendant le Tour. Je participe aux Grandes Gueules du Sport le samedi et le dimanche sur RMC. Nous parlons de tous les sports, je dois donc me renseigner sur chaque discipline et rester au cœur de l’actualité.
Treize ans après avoir tourné la page, quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre carrière ?
Quand on vieillit, on ne peut qu’être nostalgique des années passées, mais je ne le suis pas trop. Je me dis toutefois qu’on était dans les bonnes années. De jeunes coureurs pros actuels me disent qu’ils auraient aimé courir à mon époque, que ça avait l’air plus sympa. Les gens disent que le cyclisme a perdu de sa sympathie en se professionnalisant. Or nous étions pros, mais nous ne nous prenions pas la tête. Aujourd’hui les gens se prennent un peu trop au sérieux. Moi j’avais pour philosophie d’être sérieux sans me prendre au sérieux. Quand on rigole au boulot, quel qu’il soit, c’est plus sympa. C’est ce que j’aime aussi dans celui que j’exerce aujourd’hui. L’entreprise Look reste une petite entreprise mais nous avons une façon de travailler qui s’apparente à une petite société familiale. On est une équipe.
Dans les années 90, Thierry Bourguignon c’était le déconneur du peloton. Aujourd’hui on serait bien en peine de vous trouver une doublure…
Ce personnage n’a plus lieu d’exister. Aujourd’hui, si tu sors une connerie on te le reproche. On te dit que tu n’es pas pro, pas ci, pas ça. Le mec qui gagne, c’est tout juste s’il tire la gueule sur le podium. Un pro, c’est devenu forcément triste, austère, or ça va à l’encontre de l’image qu’on devrait donner. Celle d’un sport fun. Pourquoi le VTT attire-t-il plus les jeunes que la route ? Simplement parce qu’il véhicule cette image décontractée qui colle plus à la jeunesse. Le vélo de route, c’est astreignant c’est vrai, mais tout travail demande des concessions. Et putain ce que c’est beau ! J’ai fait onze ans de carrière et je me suis totalement éclaté. C’était la belle époque.
Aujourd’hui, en quoi consiste votre pratique du vélo ?
La semaine je suis au boulot et je suis un peu pris avec RMC les samedis et dimanches. Je profite aussi de me détendre avec ma famille. Tout ça me laisse peu de temps pour rouler. Mais quand on en fait on s’amuse entre copains. J’ai eu un problème de clavicule qui m’a contraint à ne plus pratiquer pendant quatre mois (NDLR : il a été amputé d’une partie de l’os après une grave chute) mais je fais généralement deux cyclos, la Look et la Bourgui. Ce sont les deux seuls moments où j’accroche un dossard. Même s’il y a un esprit compétition avec les copains, ça reste bon enfant. On se tire la bourre puis on attend les derniers, quitte à faire demi-tour. On se fait mal à la gueule, c’est le principe du vélo, mais on rigole avant tout.
Dans notre prochain épisode, retrouvez quel ancien équipier de Richard Virenque a refait sa vie au Québec, où il réalise le suivi d’athlètes dans un centre de haute performance. Rendez-vous le jeudi 16 janvier.