Stéphane Augé au micro de Vélo 101 | © Cheeky Wheel
Stéphane, pour commencer, peux-tu nous remémorer les grandes lignes de ta carrière ?
Je suis passé professionnel en 2000 chez Festina. J’ai fait deux ans dans cette équipe puis je suis parti une saison chez Jean Delatour, puis deux ans et demi au Crédit Agricole et, de 2005 à 2010, j’étais chez Cofidis. Mes principales succès sont deux victoires d’étape sur le Tour d’Allemagne, en 2002 et 2007, une étape sur le Tour de Pologne, une autre sur le Tour du Limousin et enfin une étape sur les Quatre Jours de Dunkerque en plus du classement général de cette épreuve.
On te définissait comme un coureur « passe-partout », capitaine de route sur ta fin de carrière; es-tu d’accord avec ça ?
Oui, tout à fait. J’étais un baroudeur, c’est une espèce en voie de disparition aujourd’hui. Je m’échappais souvent, j’avais le nez pour ça, et quand ça allait au bout j’avais une belle pointe de vitesse, ce qui m’a permis de gagner de belles courses et de belles étapes.
Comme tu l’as dit, les baroudeurs sont une espèce en voie de disparition. A quoi est-ce dû selon toi ?
Je dirais que les directeurs sportifs et les équipes – et je suis bien placé pour le savoir car j’ai été directeur sportif pendant cinq ans – essayent de cadenasser de plus en plus les courses et d’anéantir les chances des baroudeurs en faisant en sorte que l’échappée ne prenne jamais plus de trois ou quatre minutes d’avance. C’est difficile d’aller au bout maintenant. Concernant les oreillettes, je ne sais pas. On s’est aperçu que les écarts restaient les mêmes lorsqu’il n’y en avait pas en course. Beaucoup de choses changent dans le cyclisme, il y a beaucoup plus d’enjeux pour une victoire d’étape, on ne laisse plus rien au hasard maintenant.
Qu’est-ce qui pourrait faire que les choses évoluent dans le sens des baroudeurs selon toi ?
Les oreillettes limitent la prise d’initiative, c’est certain, car dans chaque équipe il y a des sprinters maintenant. J’ai toujours été dans des équipes où il y avait des leaders mais pas pour gagner des étapes ou des classements généraux. Dans mon cas on était vraiment libres. Maintenant toutes les équipes se structurent de mieux en mieux et ont dans leurs rangs un grimpeur et un sprinter. Le travail du baroudeur se limite maintenant à un rôle d’équipier. On voit tout de même que certaines échappées vont au bout, lors d’étapes de transitions durant lesquelles il y a des cols. Les baroudeurs se doivent de bien passer la montagne maintenant.
Parmi les coureurs actuels, dans lequel te reconnais-tu le plus ?
Thomas De Gendt, bien qu’il grimpe mieux que moi (rires). Il prend souvent la bonne échappée. Maintenant il faut être très fin, bien analyser les courses. Il faut avoir les jambes mais aussi la tête (sic). Un coureur doit bien se connaître pour savoir où il peut gagner. Toutes ces analyses sont importantes pour déterminer les étapes qui correspondent le mieux au coureur. Qui plus est, le jour où on décide d’attaquer, il ne faut pas se louper. Thomas De Gendt y arrive très bien.
Comment s’est passée ta reconversion ? Ta fin de carrière était-elle subie ou anticipée ?
Je ne me suis pas retrouvé sans rien. En 2010 il me restait encore une année de contrat et je passais mon brevet d’Etat, car le métier de directeur sportif me plaisait. Eric Boyer, le manager général de Cofidis à l’époque, m’a proposé un poste de directeur sportif et de « casser » ma dernière année de contrat en tant que coureur. Il m’a laissé le temps de réfléchir. J’ai vite pesé le pour et le contre : j’avais déjà fait huit Tours de France, j’aurais pu en faire un neuvième, sans savoir comment ça aurait été… J’ai donc sauté sur l’occasion et j’ai passé cinq années en tant que directeur sportif chez Cofidis.
On parle toujours de la peur de faire la saison de trop. Est-ce quelque chose qui a joué chez toi ?
Non. Je voulais choisir la façon dont j’allais arrêter. J’ai eu une opportunité et je l’ai saisie. Je n’avais pas peur de faire la saison de trop. Je suis très fier d’avoir pu choisir la façon dont mon départ allait s’organiser, d’autant plus que je sais que ce n’est jamais facile pour un coureur cycliste.
Comment s’est passée cette période en tant que directeur sportif ?
J’ai fait cinq années à ce poste. En parallèle j’ai un ami qui a créé la marque Grupetto pour laquelle je prêtais mon image, mais je ne m’en occupais pas. Je lui filais un coup de main sérieusement mais sans rétributions. Je faisais ça pour l’aider et pour le plaisir. Quoiqu’il en soit je ne voulais pas faire ma reconversion dans le textile, c’est un milieu particulier.
On aurait pu imaginer que tu souhaites devenir manager après avoir été directeur sportif…
Oui ça m’a traversé l’esprit. Après il faut connaître les bonnes personnes, trouver les budgets. C’est quelque chose qui n’est pas évident. A côté de ça, j’ai d’autres activités; j’ai investi dans l’immobilier, j’ai un gîte qui marche très bien dans le Béarn. En parallèle j’ai fait une formation en coaching, management et préparation mentale, et là je vais lancer au gîte des séminaires d’entreprises, des séminaires pour sportifs également, pour parler de la préparation mentale.
Avec une dominante relative à la pratique du vélo on imagine …
Bien sûr. Le gîte est en activité depuis un an, il y a encore des choses à restaurer. J’ai pas mal de boulot mais tout se passe bien.
Y a-t-il une qualité que tu avais en tant que coureur et qui te sert encore aujourd’hui ?
La prise d’initiative, l’envie d’aller de l’avant, anticiper les choix qu’il y a à faire dans la vie. Il faut toujours mesurer le pour et le contre, mais à un moment il ne faut pas se poser trop de questions, il faut y aller.
Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un jeune professionnel quant à sa fin de carrière ?
S’il gagne un peu d’argent, je lui dirais de ne pas n’importe quoi avec, d’investir, car ça passe vite. Après il y a plusieurs options pour investir. Je n’étais pas « grosse voiture » donc je n’ai rien flambé de ce côté. Il y a des choix à faire dans la vie. Je lui dirais surtout de garder les pieds sur terre, de penser à l’après sans pour autant trop y penser. Quand on est en pleine carrière ce n’est pas simple d’y réfléchir, mais il faut garder à l’esprit que ça va vite et qu’on peut rapidement se retrouver sans rien.
Que penses-tu des formations comme celle de l’UNCP ?
C’est primordial. Je connais l’UNCP depuis longtemps, c’est un organisme qui évolue en fonction des cyclistes d’années en années, et maintenant il font des bilans de compétences pour aider les coureurs. Je sais également qu’ils font des stages avec d’anciens pros chaque hiver pour parler de reconversion. Je trouve ça super important car ça fait prendre conscience au coureur de l’après-carrière.
Quel modèle de reconversion inspirante citerais-tu ?
Je dirais Thomas Voeckler, il reste dans la même lignée que Jacky Durand, Laurent Jalabert. Ce sont des coureurs qui ont un nom plus connu que le mien, ils ont gagné des étapes sur le Tour, je crois que ça aide. Mais ces personnes ont ouvert des portes pour les autres. Thomas Voeckler est en train de bien se débrouiller.
L’environnement cycliste dans lequel tu étais jusqu’en 2010 est forcément différent de celui d’aujourd’hui; il y avait moins de réseaux sociaux. Aurais-tu aimé être professionnel aujourd’hui avec tous ces moyens de communication ?
Non pas vraiment. Je me servais des réseaux sociaux mais pas jusqu’au point d’aller y mettre tout ce que je faisais, tous mes entraînements. En tant que directeur sportif je le disais à mes coureurs : en mettant trop d’informations vous êtes en train de donner des indications à vos adversaires. Il y a du pour et du contre. Il faut vivre avec ces outils, c’est vraiment très utile, mais il faut que ce soit utilisé à bon escient.
Tu restes au contact du milieu cycliste, puisque tu fais des piges régulièrement pour la chaîne l’Equipe, entre autres …
Oui, j’ai plusieurs petits boulots. Je travaille avec ASO pour la marque Carrefour sur le Tour de France depuis trois ans. Je suis également consultant pour la chaîne l’Equipe, je travaille pour eux une vingtaine de jours dans l’année. Depuis le mois de mars 2018, je travaille également pour l’équipe Groupama-FDJ, je m’occupe de l’hospitalité des invités. Je possède aussi 35 hectares de terre, mes parents étaient agriculteurs, et depuis le décès de mon père il y a un an et demi j’ai repris l’exploitation familiale, mais ça je le fais plus par plaisir. Je suis un garçon de la terre, de la campagne et ce sont des biens que je ne voulais pas laisser partir. Nous produisons du maïs, du soja, du tournesol et un peu de colza.