Ran Margaliot, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Mon nom est Ran Margaliot, j’ai 30 ans, je suis né en Israël, et j’ai débuté le vélo à 12 ans. J’ai fait aussi pas mal de vtt, comme la plupart des jeunes ici et après la route où j’ai pratiqué sérieusement. Je n’avais pas de qualités spécifiques, mais j’ai vite découvert qu’avec de la détermination, de la passion, de l’entraînement, on pouvait être performant et à 16 ans, j’ai remporté le titre juniors alors que j’avais 16 ans. C’étaient les vrais débuts de ma carrière, et en juillet, Eurosport diffusait le Tour de France, c’était vers 2002 je pense. J’ai regardé cette magie, les voitures, les spectateurs, les coureurs et j’ai dit à mon père « je veux être le premier coureur Israëlien à courir le Tour de France ». Il m’a répondu que j’étais fou, mais il m’a conseillé de planifier tout ça, de travailler tout ça.
© Ran Margaliot
Je suis allé sur internet et j’ai regardé les plans de carrière de coureurs comme Tom Boonen, là, j’ai réalisé qu’il fallait aller en Europe pour progresser et sur les 9 années suivantes, ça a été la poursuite de ce rêve. En moins de 23 ans, j’ai roulé en Europe, surtout en Belgique, où j’ai roulé pour l’équipe espoirs de saunier Duval et ensuite, en 2010, je suis allé à l’UCI au siège pour leur programme de développement. En parallèle, je faisais l’armée, car en Israël, l’armée est obligatoire et dure 3 ans.
Après ça, Bjorn Riis m’a donné ma chance, j’ai été pris comme stagiaire chez Saxo Bank-Sungard d’août 2011 à fin 2011. Et je suis arrivé pro en 2012 chez saxo bank qui est devenue Saxo Bank-Tinkoff en milieu d’année. Le problème c’est que je n’ai pas atteint mon rêve, je n’ai pas couru le Tour de France, même si j’ai été l’équipier de grands coureurs comme A Contador, et je dois dire que ce projet Israël Cycling Academy est la continuation de mon rêve.
Quand vous avez stoppé votre carrière, vous aviez anticipé cette fin ou pas ?
Clairement, cette période après 2012 a été très dure, je n’avais pas de plan B du tout. J’ai travaillé dans la finance, mais san envie, sans talent car ma seule passion c’était le vélo et j’ai commencé à coacher quelques coureurs de différents niveaux. C’est là que j’ai rencontré Ron Baron, et on a roulé ensemble le Tour Transalp, une cyclosportive par étapes et par équipes de deux coureurs. C’est là que le projet ICA est né, on s’est entraînés ensemble, on a parlé, beaucoup. Je l’ai amené sur ce terrain-là, il m’a fait confiance quand je lui ai présenté le projet.
© Ran Margaliot
Diriez-vous que le fait, comme pour tout jeune Israëlien, de devoir faire 3 années d’armée a bloqué votre progression?
Non, si je suis honnête, je dis que je n’étais pas assez bon pour être un bon coureur et un coureur du Tour de France. Même si l’armée n’aide pas à la confirmation des talents, mais je dirais que c’est la combinaison de pas assez de talent, manque de structures, celles qui existent en Europe pour faire progresser les jeunes. En Israel, on grandit sans imaginer qu’on puisse être coureur professionnel. C’est aussi cette constatation qui est à la base de la réflexion vers le projet ICA.
Devoir composer avec 3 années d’armée au moment où on est juniors, c’est une donnée avec laquelle on doit travailler, aux jeunes de s’adapter, ceux qui performent désormais sont là pour prouver que c’est faisable.
Le projet Israël Cycling Academy est parti en 2014, quel était votre rôle à ce moment-là ?
Il fallait tout faire, j’étais le fondateur, le manager, quelquefois directeur sportif, conseil des fois je faisais les massages, le quotidien d’une petite équipe. Il a fallu bâtir étape par étape.
Diriez-vous que ce projet, c’est un coup de coeur ou un coup de com ?
Définitivement un coup de coeur. Il faut se fixer des rêves et le nôtre a été d’amener une équipe Israëlienne au Tour de France, à l’échelon 2020. C’est là le but final, l’ambition suprême, mais il faut grandir, étape par étapes, se structurer et pour ça, il faut utiliser le Tour comme une plateforme car le Tour, c’est ce que chaque Israëlien connaît. Il faut créer ce lien, faire qu’une équipe, que des coureurs Israëliens soient sur le Tour et que les jeunes sportifs s’imaginent à leur place en ayant en tête: ce gars est comme moi, il a grandi en Israël, il a dû composer avec l’armée. C’est notre but premier, faire rentrer dans les têtes que c’est faisable, que le vélo entre dans les habitudes de sport.
C’est un plan à 5 ans, qui doit nous conduire au Tour 2020, après avoir été continentale, conti pro depuis 2 ans maintenant et après la participation au Giro 2018 qui était une belle réalisation mais pas un achèvement. Mais le Giro, ce n’est pas assez, être au Tour est crucial. Aujourd’hui, nous avons la deuxième communauté de followers sur les réseaux sociaux, derrière team Sky, mais ici en Israël ça ne pèse pas. Il nous faut déplacer les montagnes, celle du Tour de France et y participer.
On imagine que vous voulez aussi développer la pratique du vélo, à côté du basket, du football ?
Ou, dans le sens où le cyclisme développe des valeurs, des attitudes qui correspondent parfaitement aux valeurs de notre pays. ça passe surtout par la prise de conscience, pour les jeunes en voyant leurs homologues sur le Tour pendant 3 semaines, que c’est faisable, possible pour eux aussi. C’est ça le plus important, qu’ils soient champions ou pas, ce n’est pas majeur.
© Ran Margaliot
Du point de vue géopolitique, il y a aussi la reconnaissance d’Israël comme nation majeure du sport mondial ?
Oui, et l’accueil du Giro nous a positionnés de ce point de vue là. Surtout, nous voulons être perçus comme une plateforme du sport. Notre équipe de 30 coureurs est composée de 18 nationalités, nous sommes la plus diverse, et tous nos coureurs dans chacun de leurs pays sont nos meilleurs ambassadeurs, en France, en Italie, aux Etats-Unis, …Quand ils viennent au training camp en Israël, à leur retour, ils peuvent témoigner, répondre aux questions. Côté religions on a des équipes de jeunes, de juniors composées avec des coureurs issus de 3 religions et bien sûr, on ambitionne d’accueillir des coureurs de Palestine.
Comment s’articule le partenariat avec Côtes d’Armor dans tout ça ?
C’est Lionel Marie qui est à l’origine de cette relation. On a une double ambition là-derrière, d’un côté, prolonger la formation de nos jeunes coureurs là où le vélo se pratique à haut niveau, là où c’est le mieux, le meilleur niveau. A travers eux, nous voulons monter aux spectateurs, aux médias que les coureurs Israëliens performent, méritent, et dans les mêmes conditions que les autres, ils doivent apprendre tous les rudiments. On sait que la Bretagne est une forte région de vélo, que Côtes d’Armor est un des clubs les mieux structurés, donc c’est là qu’il faut être pour apprendre au plus vite, c’est pour ça que nous sommes allés vers eux et pas l’inverse.
Vous auriez aimé être plus jeune de 10 ans et être candidat coureur à ICA aujourd’hui ?
Oui, bien sûr. Mais j’aime ce que je fais aujourd’hui, je n’étais pas assez bon coureur, et je suis meilleur dans ce que je suis à ce jour.
© Ran Margaliot
Comment voyez-vous, rêvez-vous ICA dans 10 ans ?
Comme une réelle académie, encore bien plus que gagner le Tour de France, car nous voulons montrer et changer la vie des gens par le sport, leur montrer que ce sport est important. Ce team ICA peut changer la vie de beaucoup de jeunes, c’est en cela qu’être au départ du Tour est si essentiel, faire la preuve que c’est possible pour tous les jeunes, de toutes les régions et de toutes les cultures.