Mathieu, vous avez couru chez les pros de 2006 à 2013, chez Auber 93 mais aussi à la Caisse d’Epargne de 2008 à 2010. Votre fin de carrière a-t-elle été choisie ou subie ?
Plutôt subie car j’aurais voulu continuer encore deux ou trois ans. D’autant plus qu’en 2013 j’ai gagné une Classe 1 : la Classic Sud-Ardèche. Je me suis dit que ma carrière allait se relancer. J’étais en fin de contrat avec Auber et je pensais pouvoir rebondir dans une bonne équipe, ce que j’attendais depuis deux ans. Mais cela ne s’est pas produit. Ça a été une année encore assez difficile, avec des équipes qui baissaient leur budget, qui réduisaient les effectifs. Il y a eu de nombreux coureurs en fin de carrière forcée et j’ai fait partie de ceux-là.
Vous n’aviez que 30 ans…
Et au niveau de la forme je ne me sentais pas sur le déclin. Au contraire, j’ai gagné la Classic Sud-Ardèche devant Romain Bardet, et il y avait un beau Top 10. La photo du podium me laisse un bon souvenir. Fin 2013, je n’ai pas eu de proposition ferme. J’avais la possibilité de continuer avec Auber mais avec une baisse de budget tellement forte que c’était trop risqué d’accepter pour la vie de tous les jours, les crédits en cours. C’était plus sérieux d’arrêter pour prendre son temps et choisir ce que j’allais faire comme reconversion.
Vous n’y aviez jamais songé quand vous étiez coureur ?
Pas vraiment. Dès que l’on commence à préparer sa reconversion, on est un peu moins dans le vélo et si jamais on trouve une reconversion qui nous plaît vraiment, je pense que cela force l’arrêt du vélo. C’est difficile de préparer une reconversion en même temps que mener une carrière.
Comment avez-vous alors organisé cette nouvelle vie ?
Je me suis inscrit à Pôle Emploi et plutôt que de chercher le premier emploi qui venait, j’ai pris le temps de la réflexion pour savoir ce que j’allais faire comme formation. Plusieurs choses m’intéressaient dans la vie et je ne savais pas forcément vers quoi m’orienter. J’ai fait un bilan de compétences avec l’aide de MGS Reconversion, qui travaille avec le syndicat des coureurs. C’était beaucoup plus poussé que ce que l’on peut faire avec Pôle Emploi ou autre. Puis je me suis orienté vers une formation de commerce marketing dans la suite logique de mon BTS technico-commercial que j’avais fait en sport-études en Vendée. J’avais besoin de rafraîchir mes connaissances, et cela me rassurait plutôt que de me remettre dans la vie active après dix ans passés à ne faire que du vélo. C’est comme cela que j’ai fait une année de licence bac+3 responsable du développement commercial chez Pigier avec six mois de stage en alternance chez RVF.
Déjà dans le domaine du commercial, donc ?
La formation était basée sur le commerce et chez RVF, quand je suis arrivé, j’ai fait des études de marché sur certains produits que l’on voulait lancer. J’ai fait des enquêtes pour faire des études que l’on envoyait aux clients. J’ai aussi fait des traductions de fiches produits d’anglais vers le français, des choses qui m’ont vraiment préparé pour l’embauche dans ce métier. J’ai gagné du temps et en étant embauché six mois plus tard j’étais prêt, je connaissais bien les produits, et c’était bénéfique pour tout le monde.
Au bout d’un an votre diplôme a été validé, que s’est-il passé ?
Mon diplôme a été validé mais j’avais eu un accord verbal d’embauche avant d’avoir mes résultats. On me l’a dit rapidement parce que l’on devait prendre un billet pour m’envoyer aux Etats-Unis chez le fournisseur Giro en Californie. C’était une nouvelle aventure qui commençait. C’est très prenant, je n’ai pas vu le temps passer, ça a évité de cogiter et de repenser trop au passé, même si des fois il y a un petit peu de nostalgie quand on voit les copains à la télé.
Votre expérience à l’étranger avec l’équipe Caisse d’Epargne vous a-t-elle automatiquement ouvert aux langues étrangères ?
Oui, c’est sûr que les langues étrangères sont un atout, mais l’espagnol ne me sert pas trop actuellement alors que je le maîtrise un peu mieux que l’anglais. L’anglais, je ne l’ai pas pratiqué dans un pays anglophone ni dans une équipe. Juste comme ça, certaines fois, dans le peloton. Donc je progresse encore au contact des fournisseurs. Mais j’aimerais bien progresser encore un peu plus.
Conseilleriez-vous aux jeunes professionnels d’ouvrir les yeux et de ne pas hésiter à aller dans une équipe étrangère ?
C’est sûr que c’est un plus. C’est vraiment très, très important de parler anglais pour travailler dans le milieu du vélo dans le commerce international. Après, il y a des choix qui se font en fonction du sportif, cela ne fait pas tout.
Votre passé de coureur professionnel vous a-t-il ouvert des portes ?
Tout à fait. Même si je ne suis pas très connu du grand public, cela arrive quelquefois que l’on me reconnaisse en clientèle. Du coup, on m’accorde tout de suite plus de crédit, même au sein de l’entreprise. Après un an, je n’avais pas l’impression que je venais d’arriver, on me faisait confiance plus que pour autre chose. C’est pour ça que je ne m’étais pas forcément dit que je retravaillerais dans le vélo. Ce n’était pas une obligation pour moi car il y a d’autres choses qui m’intéressaient. Mais je pense que j’ai bien fait car j’ai l’impression de moins repartir de zéro. Je profite de toutes ces années d’expérience dans le milieu, même si je ne connaissais pas parfaitement tous les produits que l’on vend aujourd’hui, comme des casques pour enfants, des produits pour femmes, d’entrée de gamme, que je n’utilisais pas. Mais quand j’en parle j’ai quand même plus de crédit que quelqu’un qui vient d’avoir vendu des fenêtres.
Vous distribuez des roues, des casques, du textile, des chaussures, des selles, sur quel produit vous sentez-vous le plus à l’aise ?
J’aime bien les produits techniques parce que d’autres choses m’intéressent comme la technique, l’informatique, les petits gadgets modernes, et lorsque l’on parle des éclairages que l’on vend pour l’urbain, les virées nocturnes, c’est tout de suite un peu technique. J’aime bien en parler, on voit mon enthousiasme pour le produit. Egalement avec les roues et le matériel connecté comme les home-trainer, et je suis devenu naturellement chef de produit sur ces marques là. Cela m’intéresse d’en parler, j’enregistre tout de suite. Après, je peux aussi parler des casques et chaussures que j’utilisais quand je roulais, mais il y a moins de choses à dire et l’on peut facilement dire la même chose quand on n’a pas été professionnel.
Diriez-vous que la formation possible pour les coureurs français, en partie grâce au syndicat des coureurs, est une chance ?
C’est une chance, oui, car en plus de l’orientation il y a aussi une aide au financement de la formation. Cela a été un gros plus pour moi parce que j’ai eu droit à une aide de 5000 euros pour l’année, valable trois ans si j’avais fait trois ans d’études. J’ai pu être dans une formation initiale et non en alternance. Sinon, il faut trouver un employeur qui rémunère, et ce n’est pas trop envisageable pour nous car cela nous fait gagner moins que le chômage.
Le bilan de compétences a-t-il été simple à faire ?
Ce n’est pas facile et il ne faut surtout pas attendre quelque chose de magique, automatique. Ce n’est pas forcément aussi simple qu’en sortant du bilan de compétences on ait le truc qu’il faut sans discuter. C’est un peu l’erreur que j’ai faite, me reposer trop là-dessus. Il faut aussi chercher par soi-même. Tout ne va pas venir de l’extérieur.