Quand es-tu passé professionnel et quand as-tu arrêté ta carrière ?
Alors, je suis passé pro en 1983 chez Saint-Étienne Pélussin et j’ai terminé chez Festina en 1994 après plus de 10 ans de carrière. J’ai participé à 9 Tour de France, à 5 Vuelta et à 3 Giro. Mes meilleures places ont été 9ème à la Vuelta, 19ème du Tour, 20ème du Giro. J’ai eu une victoire sur le Tour d’Italie en 1987 lors de la 6ème étape mais pas sur le Tour de France car j’ai fini 2ème sur une étape. J’ai également eu des victoires sur le Tour Méditerranéen, sur Paris-Nice, sur le Tour de Catalogue… donc une dizaine de victoires au total.
Tu as arrêté ta carrière en 1994, tu l’as plutôt subi ou anticipé ?
Non je ne l’ai pas du tout subi car j’avais 37 ans, donc à partir de là j’avais fait 17 grands Tours, je sentais la fatigue s’installer et je sentais que les jeunes de 20 ans me poussaient dehors et ils avaient bien raison ! J’ai eu le bonheur de participer aux plus belles courses chez les pros, ce que je souhaite à tout le monde, donc c’était une fin de carrière tout à fait normale.
Savais-tu ce que tu allais faire à partir de 1995 ?
Non je ne savais pas mais j’avais tout de même un peu anticipé. Certaines personnes m’avaient proposé pleins de choses mais quand j’ai frappé à la porte de leur bureau, tout s’est très vite compliqué et on m’a expliqué qu’il fallait créer des postes, que ce n’était plus envisageable, je me suis donc retrouvé un peu à la rue. Je me suis demandé ce que j’étais capable de faire et qu’est ce que j’avais envie de faire.
De quels types de postes parles-tu ?
Il s’agissait de postes au département ou à la région pour s’occuper de l’organisation des courses juniors par exemple. Je suis normand mais provençal depuis 30 ans.
Finalement ma première année, j’ai découvert le VTT et j’ai passé un Brevet d’état donc je me suis dit pourquoi ne pas poursuivre dans cette voie maintenant que je connaissais le monde du VTT de haut niveau, mais là encore, c’était compliqué.
Ensuite, j’ai eu la chance de faire une rencontre et j’ai travaillé 2 ans pour Rock Shox Etats-Unis à développer des fourches télescopiques avec le patron.
Puis, j’ai eu la chance d’être contacté par la société du Tour qui m’a proposé d’être pilote pour les invités donc j’en ai profité et j’ai fait plusieurs courses avec eux. En même temps, j’ai effectué des missions au Conseil départemental et je m’occupais de l’organisation de manifestations sportives, notamment en VTT. Avec ASO, j’ai également fait des développement de parcours de cyclo sportives en Amérique du Sud pendant 4 ou 5 ans.
Enfin, un magasin à 2 km de chez moi m’a ouvert ses portes et m’a proposé un mi-temps, comme je l’espérais, donc j’ai travaillé avec eux en magasin. Cela m’a dégagé du temps pour continuer à faire d’autres missions donc c’était très bien.
J’ai aussi décidé de privilégier ma vie de famille car j’étais parti pendant 12 ans. J’ai la chance de conduire le Directeur Général sur le Tour de France et je me rends compte que les situations avec beaucoup de pression, c’est bien quand on sait les gérer. Moi, je ne le peux pas donc cette situation où je peux faire plusieurs activités en même temps, tout en profitant de la vie, de la Provence, du soleil, du vélo, du sport, me convient très bien.
Penses-tu que c’est ton bon relationnel avec les gens qui t’a permis d’avoir toujours une solution ?
Oui tout à fait, les portes m’ont été ouvertes facilement, ce sont les gens qui m’ont sollicité et ce n’est pas moi qui ait fait les démarches. J’ai 52 ans passés mais j’ai le mi-temps chez ASO, le mi-temps dans la boutique et les missions départementales. Je me dis qu’il faut aussi savoir profiter de la vie. Quand je vois Laurent Fignon parti trop tôt, il faut profiter de la vie à pleins poumons, jusqu’à son dernier souffle.
De nos jours, avec le syndicat des coureurs, il y a des plans de formation et des aides à la reconversion, aurais-tu aimé avoir ce genre de possibilités ?
Oui car en fin de carrière on est un peu livré à nous-mêmes quand on arrête. Je m’étais dit ça va je connais du monde, on me propose des choses, et finalement il n’y a rien eu de concret, c’était du vent. Je ne veux pas dire de mal des politiques mais en fin de compte, ils se servaient de nous s’en qu’on s’en rende forcément compte.
Pour en arriver là aujourd’hui, je me suis débrouillé seul. Quand je vois mon fils Yoann qui est chez Cofidis, il va pouvoir profiter d’un an de formation pour pouvoir rebondir ailleurs. C’est très positif pour les jeunes d’aujourd’hui. Actuellement il y a plus de moyens, l’UNCP progresse doucement.
Parmi les coureurs que tu connais et que tu as fréquenté, quel est le meilleur exemple de reconversion selon toi ?
Je pense à tous les copains avec qui j’ai couru et qui sont désormais directeurs sportifs. j’aurais aimé faire ça,. Pendant un an j’ai été parachuté directeur sportif à Force Sud, cela me plaisait beaucoup et on a eu quelques victoires, notamment avec Christophe Capelle. Le management d’équipe me plait beaucoup. Je n’ai pas eu d’autres opportunités, c’est vraiment le rêve que j’aurais eu. Quand je vois ce que font Dominique Arnould, Jean-René Bernaudeau, c’est quelque chose qui m’aurait plu mais seulement sur ces dix dernières années en ayant pu profiter de ma famille avant.
On peut également citer Laurent Jalabert qui est maintenant commentateur, Cédric Vasseur ou Jérôme Pineau. Cependant ce sont des métiers où on peut vieillir vite, moi, j’aime bien ma petite vie très variée, où j’ai du temps, je rencontre des gens adorables, j’ai beaucoup d’amis et je m’entends très bien avec ma femme. Tout va bien !
Les médias se sont beaucoup développés. Aurais-tu aimé être pro à cette époque pour profiter d’une certaine médiatisation et avoir davantage de possibilités pour te faire connaitre et te reconvertir ?
Avoir plus de médias, non, pas forcément. J’étais quelqu’un de discret et je ne souhaitais pas vraiment être mis en avant. En plus, je préfère maitriser ce que je sais faire plutôt que de profiter des médias et être dépassé par la situation. Ma vie de famille est équilibrée et saine. Il faut des médias pour promouvoir le vélo et les sportifs de haut niveau, grâce à eux le vélo a été bien plus connu mais à cause d’eux une période noire a été également difficile à traverser. Le blason est maintenant redoré, il y a de plus en plus de gens qui aiment le vélo et qui sont passionnés.
Une carrière passe vite quand on a la teâte dans le guidon. Quel conseil pourrais-tu donner à un cycliste pro actuel qui sera demain un ancien pro ?
C’est compliqué. J’ai l’exemple de mon fils en ce moment qui reste un peu sur sa fin et qui garde l’après carrière dans un coin de sa tête car il a créé son site internet. C’est vraiment compliqué car un cycliste doit être à 100%, s’il débranche ne serait-ce que 20% de ses capacités pour penser à la suite, il n’est plus à 100% et il est éjecté un an ou deux ans après.
Je pense surtout qu’il faut y penser à 17 / 18 ans pour avoir un bagage avant de passer pro. Il faut un BAC, un DUT, ou être bilingue ou trilingue… Quand tu es sportif de haut niveau et que tu maitrises plusieurs langues tu peux avoir des ouvertures dans le monde des médias.
Les jeunes pensent qu’ils sont invincibles mais quand cet effet retombe, la marche est très haute pour certains. Je pense qu’il faut avoir un diplôme et apprendre une langue avant de passer pro, mais je n’ai pas de vrai conseil à donner, il n’y en a pas, ce serait trop facile ! Mon plus grand regret à l’heure actuelle, c’est de ne pas avoir profité d’être dans une équipe avec des étrangers pour apprendre l’anglais ou l’espagnol. Quand je vois le Directeur Général qui parle 3 ou 4 langues, je suis en admiration devant des gens comme ça et pour moi c’est frustrant. Ca a manqué à ma reconversion et c’est une vraie lacune.
Recommanderais-tu justement à un jeune cycliste français d’aller dans une équipe étrangère pour profiter de ce bain de langues et pouvoir apprendre ?
Oui tout à fait, d’autant plus que les équipes étrangères sont très structurées, il faut faire le pas. Je prends l’exemple de Julien Bernard qui l’a fait et qui est maintenant bilingue, de Kenny Elissonde, d’Amael Moinard. Ce sera vraiment plus facile pour eux en arrivant sur le marché de l’emploi. Tu es français, c’est bien, sportif de haut niveau, c’est bien, tu es bilingue, c’est mieux ! Pour notre fille par exemple, elle est au Panama, elle est trilingue, elle va s’en sortir.
Mathilde Duriez, velo101