Eric, peux-tu nous rappeler les grandes lignes de ta carrière cycliste?

Je suis passé professionnel en 1982 chez Cem France Loire, suite à ma victoire sur le Tour du Vaucluse. J’ai participé au Tour de France en 1983, ce fut le premier d’une série de douze Grandes Boucles consécutives. L’année suivante, j’ai remporté le Tour d’Espagne. J’ai ensuite revêtu le maillot de champion de France en 1988 et 1989. Je compte à mon palmarès deux Tours du Haut Var, un trophée des Grimpeurs mais également quelques victoires d’étapes, sur Paris-Nice et le Midi Libre, entre autres. J’ai levé les bras une trentaine de fois, au total, chez les professionnels. J’ai mis un terme à ma carrière en 1994 après avoir effectué deux saisons au sein de la formation chazal.

Au cours de ta carrière, tu préparais déjà ta reconversion en t’occupant de la terre. Penses-tu que cela t’a porté préjudice?

On peut dire, en effet, que je n’ai jamais été professionnel à 100 pour-cent. J’ai toujours mené de front deux activités : le cyclisme et l’agriculture. L’hiver et même quelquefois pendant la saison, il m’arrivait d’aller travailler après l’entrainement afin de préparer ma reconversion. On sait qu’une carrière de sportif professionnel peut s’arrêter du jour au lendemain, je ne savais donc pas quand est-ce que je raccrocherais le vélo. En préparant mes vignes, mon après-carrière était assurée. J’avais acheté quelques terrains que j’avais défrichés l’hiver et remis à neuf, de ce fait j’ai pu replanter directement des vignes lorsque j’ai arrêté le vélo. Cela me permettait d’avoir l’esprit tranquille au fil des années. Je suis une personne assez soucieuse, donc je préférais assurer mon avenir. Certes, en me consacrant pleinement au cyclisme, j’aurais peut être été un peu plus performant mais je n’ai aucun regret.

As tu envisagé les choses de cette manière dès tes débuts chez les professionnels? N’as tu jamais été tenté par une reconversion dans le milieu du cyclisme, comme directeur sportif ou manager d’équipe, par exemple?

Non, à l’époque il y avait très peu d’équipes françaises. Lors de ma dernière saison, il restait seulement 3 équipes, ce qui signifie que les places de directeur sportif étaient chères. De plus, je possédais déjà des terres et il est impossible de les abandonner quelques années. Ma reconversion était donc déjà toute tracée. Cependant, j’ai tout de même eu l’opportunité de rester un peu dans le milieu du cyclisme en tant que relation public pour différentes boites telles que ASO ou GSF désormais. Il est indéniable que je prends du plaisir à revenir de temps à autres sur les courses de vélo et côtoyer les coureurs. Chaque année, les anciens se retrouvent sur le Tour de France, cela permet de savoir ce que chacun devient aujourd’hui mais également de discuter du bon vieux temps.

Occuper un poste de consultant, dans les médias, à l’image de Laurent Jalabert, ne t’a jamais traversé l’esprit non plus?

C’est une chose qu’on ne m’a jamais proposée et que je n’aurais pas vraiment aimé faire. Je préfère discuter avec les gens en face, en comité réduit. Prendre la parole devant des milliers de téléspectateurs sans établir une réelle conversation n’est pas quelque chose qui m’intéresse et je ne suis pas très à l’aise avec cet exercice. Mon rôle actuel me convient parfaitement, nous sommes 4 dans une voiture et discutons de la course, des tactiques; nous donnons notre opinion par rapport au déroulement de la course, chacun a un point de vue différent et c’est cela qui est intéressant. Certains des invités connaissent un peu le milieu du vélo, d’autres pas du tout. Ces derniers découvrent tout grâce à nous : la façon dont se passe une course, le rôle des voitures, le positionnement des coureurs et des équipes; on ne peut pas comprendre tout cela en regardant du cyclisme à la télévision seulement.

Envierais-tu certaines choses dont tu n’as pas pu bénéficier au cyclisme moderne, les réseaux sociaux, les nouveaux médias ou même les centres de formation par exemple? 

Forcément, les entrainements tout d’abord. A mon époque, on s’entrainait à l’aveugle, on ne savait pas trop où on allait. On essayait de reproduire le programme des années précédentes en fonction de nos pics de forme. Cela restait tout de même très flou. Lorsqu’il nous arrivait de rester un mois sans courir, nous avions besoin d’une course d’une semaine, au moins, pour retrouver le rythme. Aujourd’hui, grâce aux entrainements pointu et aux intensités, les coureurs n’ont aucune peine à retrouver le rythme dès leur premier jour de course. C’est donc plus facile, ils courent moins et peuvent être performants directement. C’est une autre génération, de mon temps les programmes d’entrainement n’existaient pas et on était tous au même niveau donc c’est comme ça, je ne vais pas m’en plaindre. Le cyclisme évolue, et heureusement.

Etant un coureur discret, comment te serais-tu senti aujourd’hui avec les réseaux sociaux et la multiplication des sources d’informations dans le sport? 

Je n’aime pas trop ça; et même si j’étais jeune, je me connecterai très peu sur ces réseaux. Selon moi, l’entrainement est quelque chose de personnel que je n’afficherais pas au public. Je pense que la préparation physique doit rester secrète afin que les concurrents n’essayent pas de prendre exemple. Avec les réseaux sociaux, les gars exposent toute leur vie, et il n’y a plus cette part de mystère, que je trouvais indispensable, face aux adversaires.

 

Aujourd’hui tu es propriétaire, peux-tu nous expliquer ton activité en quelques mots? 

Je produis essentiellement du raisin de table, du muscat de Hambourg. J’ai également un peu de raisin de cuve que j’emmène dans une cave coopérative, Terra Ventoux, afin de faire du vin. Je possède quelques cerisiers mais ma principale production reste le raisin.

En parallèle, j’ai fait construite un gîte que je loue généralement d’avril à octobre.

Dernière question, toi qui connais bien le Ventoux, que penses- tu de la décision du préfet qui a souhaité neutraliser la partie supérieure cette année lors du Tour de France? 

Je pense que ça a été la bonne décision, les coureurs ont eu du mal. Hier, je discutais avec Jalabert qui a suivi la course sur la moto, il dit être passé près de la chute à plusieurs reprises. Selon moi, le dernier kilomètre était quasi impossible à faire en course. Avec le vent de face, les coureurs n’auraient pas attaqué dans les 6 derniers kilomètres, le scénario de l’étape n’a donc pas été modifié. C’était, en tous points, une sage décision. Il y a eu quelques petits incidents, toutes les infrastructures n’ont pas pu être placées mais ce sont les aléas du Tour de France. Le Ventoux fera, une fois supplémentaire, partie de la légende du Tour : l’étape a été tronquée, Froome est tombé et a couru à pieds.