Eric, pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de votre carrière ?
J’ai commencé ma carrière professionnelle en 1985. J’ai été engagé par Cyrille Guimard, qui dirigeait à l’époque la grande équipe Renault-Elf et qui avait gagné quatre fois le Tour de France avec Bernard Hinault et deux fois avec Laurent Fignon. C’était un petit peu la Sky d’aujourd’hui. Quand on était enfant, adolescent, on rêvait d’aller dans cette équipe. J’ai eu la chance d’être recruté par Cyrille et de tout de suite côtoyer les grands champions. Et ma carrière s’est terminée onze saisons plus tard en 1995 dans l’équipe italienne Polti. J’avais un petit peu regretté à l’époque de ne pas avoir connu une équipe italienne plus tôt, mais c’est la vie et tout ça est maintenant derrière moi.
Vous avez finalement arrêté votre carrière jeune, à 32 ans ?
J’ai eu la chance de décider d’arrêter et ne pas attendre que l’on me dise qu’il n’y avait plus de boulot pour moi. C’était un choix. J’ai du coup pris le temps de préparer ma reconversion et j’en ai eu plusieurs. A l’époque, comme beaucoup de coureurs cyclistes en activité, je rêvais d’intégrer une équipe en tant que directeur sportif et j’espérais pouvoir apporter tout ce que j’avais acquis de mes onze ans de carrière. Mais on ne rentre pas comme ça dans une équipe, il n’y a pas beaucoup d’emplois. Cela dit j’avais rédigé un dossier destiné à des chefs d’entreprise pour les convaincre de créer une équipe cycliste. Entretemps, j’ai été sollicité par Eurosport qui était à l’époque la chaîne qui démarrait dans le vélo et dans le monde du sport, sans grands concurrents. Patrick Chassé, qui développait le cyclisme sur la chaîne, m’a demandé d’être le consultant. Nous étions quatre avec Laurent Fignon, Jean-François Bernard et Vincent Barteau. Ce rôle de consultant était passionnant, vraiment agréable à l’époque, on avait une grande liberté d’expression. C’était sympa et puis quand on quitte le peloton on reconnaît les coureurs facilement.
Vous avez donc abandonné votre première idée de reconversion ?
Non, en parallèle j’essayais toujours de convaincre des chefs d’entreprise. Mais malheureusement l’année 1998 que tout le monde connaît est arrivée et là il n’était plus question de présenter un projet. Donc j’ai continué le rôle de consultant puis j’ai travaillé pendant six mois à l’organisation de Paris-Nice auprès de Josette Leulliot où j’ai appris énormément. Puis Josette a vendu à Laurent Fignon et finalement, après avoir fait pas mal de choses dans l’univers du cyclisme en communication, marketing, commerce, relations publiques, j’ai créé ma boîte de conseil. J’avais des tas d’idées et j’ai tenté de les mettre en place. A l’époque j’étais l’un des premiers à réfléchir sur des randonnées à vélo à l’étranger. Aujourd’hui, quand je vois quel chemin cela a pris… Je n’ai jamais regretté de ne pas avoir concrétisé mais l’idée n’était pas mauvaise. Je grenouillais dans des projets que j’avais imaginés, que je tentais de mettre en place. Certains ont commencé à fonctionner, d’autres mettaient plus de temps, mais en tout cas j’ai beaucoup appris de ces cinq années. Et puis en février 2005, François Migraine m’a téléphoné pour me demander de diriger son équipe. J’ai accepté et j’ai donc arrêté mes activités avec mon entreprise pour partir diriger l’équipe Cofidis qui rencontrait alors beaucoup de difficultés.
C’était un poste de manager ?
Oui, c’était le poste de manager général. Cela a duré de juin 2005 à juin 2012, moment où François Migraine a considéré que l’on ne pouvait plus travailler ensemble. J’ai rencontré des problèmes personnels avec lui et évidemment c’est lui qui, contrairement à ce qu’il dit et ce que l’on pense, dirigeait l’équipe. Mais ces sept années m’ont permis de découvrir pas mal de choses.
C’était la facette du métier que vous espériez faire en 1995 ?
Oui, sauf que quand on a la chance de créer une équipe, on a le choix de travailler avec qui on veut. On recrute, du coureur jusqu’au personnel. Des gens dont on pense que l’on va développer les compétences, s’entendre et travailler en collectif. Alors que quand on est recruté pour être à ce poste il y a tout le passé de l’équipe. Et là il y avait surtout un passif. Nous avions aussi des dirigeants qui s’impliquaient énormément, à tort et à travers, et il fallait faire avec. Je n’ai pas du tout regretté ces sept années qui ont été extrêmement difficiles. J’ai découvert que les égos des dirigeants étaient beaucoup plus compliqués à gérer que ceux des coureurs, ces derniers étant finalement les personnes avec qui j’ai pris le plus de plaisir. J’ai appris énormément, mais cela ne s’est pas bien terminé.
En 1995, quand vous vouliez devenir manager d’équipe, quels personnages vous inspiraient ?
Cyrille Guimard et Laurent Fignon, quand en 1987 ils ont créé leur structure qui accueillait un sponsor. Je trouvais que c’était intéressant, ils ont été précurseurs. A l’époque, c’étaient les sponsors qui montaient leur équipe et qui salariaient les dirigeants. Là, c’était une structure qui accueillait le budget d’un sponsor. Elle gérait ce budget et employait le personnel qu’elle voulait et les personnes étaient salariées de cette structure. Cela permettait d’accueillir un co-sponsor en milieu de saison. Et aujourd’hui, c’est le modèle économique utilisé par presque toutes les équipes. J’avais ce modèle là sur le plan économique mais j’avais surtout l’envie de proposer aux coureurs des entraîneurs plutôt qu’uniquement des directeurs sportifs. C’est pour moi un métier totalement différent.
Votre objectif était alors de faire évoluer les méthodes d’entraînement ?
Des outils arrivaient sur le marché, on commençait à parler des SRM, des capteurs de puissance, mais les directeurs sportifs en place depuis plus de vingt ans ne savaient pas utiliser ces outils. Ils protégeaient leur métier en disant que ce n’était pas utile. Mais on sentait qu’il y avait un bon potentiel de développement, Greg LeMond en était l’un des premiers utilisateurs à avoir compris que ces nouvelles technologies étaient indispensables dans la progression et dans le travail et qu’il n’y avait qu’une chose pour faire progresser le coureur, c’était la qualité de l’entraînement. A l’époque, les réflexions ressemblaient à : « Si tu ne marches pas tu dois t’entraîner plus. » Mais plus c’était pire. On s’est aperçu qu’on pouvait s’entraîner un petit peu moins en quantité mais dix fois mieux en qualité. C’était cette philosophie que je voulais installer en montant une structure à l’époque. C’était apporter des compétences qui n’existaient pas dans le cyclisme en France. J’avais découvert ce potentiel de développement chez Polti.
Aujourd’hui vous travaillez encore dans les médias, comme la chaîne L’Equipe, ou chez Time comme relation avec les partenaires et les coureurs. Qu’utilisez-vous de vos différentes carrières dans votre nouveau métier ?
A la chaîne L’Equipe j’ai maintenant quelques difficultés car je ne reconnais plus les coureurs. Il faut du temps et c’est vraiment très difficile, mais ce n’est finalement pas si grave. Il faut essayer d’expliquer aux téléspectateurs les stratégies qui sont en train de se mettre en place, comment il faut réagir par rapport à une situation, une échappée… C’est intéressant d’expliquer ce qui se passe, ce qui s’est passé, ce qui va se passer, d’anticiper et de maintenir un intérêt pour que le téléspectateur ne quitte pas la chaîne. Et puis depuis le mois de mai 2016, j’ai été recruté par le groupe Rossignol pour diriger la partie marketing sportif de Time. C’est un nouveau challenge pour moi, qui est tout aussi passionnant que toutes les activités que j’ai pu exercer depuis 1995 et ma reconversion. Je n’imaginais pas un jour que j’allais travailler sur la machine et que j’allais tenter de collaborer avec des équipes et des sportifs qui utilisent ces vélos. Je me suis dit que je pouvais peut-être créer une synergie avec les produits que Time met au point, avec une technologie de fabrication qui rend ce vélo reconnu comme étant l’un des meilleurs sur le marché. Mais la question était de savoir comment approcher les équipes pour convaincre ces athlètes d’utiliser nos vélos.
Quelle a été votre approche pour réussir à les convaincre ?
J’ai pas mal d’arguments pour cela. Le fait que je connaisse Time depuis la création en 1987, que toute ma carrière j’ai pédalé sur les pédales Time, que lorsque j’étais dirigeant de l’équipe Cofidis j’ai pu pendant deux saisons proposer les vélos Time aux coureurs. Cela veut dire que je peux démontrer que ce vélo a été utilisé par des grands champions, qu’ils ont gagné des courses avec ces vélos là. Depuis, Time a rencontré des obstacles qu’ils ont su surmonter et la technologie et le vélo sont tout aussi performants qu’ils l’étaient à l’époque. Sauf qu’aujourd’hui il est un petit peu moins utilisé qu’il l’était à l’époque. A moi de renouer avec les athlètes pour leur permettre d’évoluer à l’avenir avec nos vélos. C’est le but de ma mission. Il faut préserver et développer le partenariat que nous avons avec HP BTP-Auber 93 mais aussi intégrer le triathlon l’an prochain. Ce qui sera une nouveauté pour Time car jamais la marque n’avait décidé de pénétrer ce marché. Nous vendions des vélos à des triathlètes mais nous n’étions pas partenaires.
Allez-vous également aller sur le marché des cyclosportives ?
Depuis que j’ai pris mes fonctions je constate qu’il se passe quelque chose de très fort et qui se développe de façon extrêmement rapide au niveau des grands rassemblements de pratiquants de cyclisme. La preuve est qu’ASO a compris qu’il fallait proposer à ces gens qui pratiquent le vélo et qui ne sont pas obligatoirement des supporters du cyclisme professionnel des grands challenges. Si la Haute Route s’est créée il y a quelques années c’est qu’ils ont bien compris qu’il y avait quelque chose à développer. Et nous avons décidé de travailler avec Classic Challenge parce que c’est un esprit qui débute et qui est en train de s’installer, revisiter tout ce qui a écrit l’histoire et qui est à l’origine du cyclisme en France. Les courses qui partaient de Paris pour rejoindre une autre ville étaient l’ADN du cyclisme en France durant le siècle dernier. Il n’en reste que deux, Paris-Roubaix et Paris-Tours. Toutes les autres ont disparu mais elles restent bien dans l’esprit des gens. L’idée est de revisiter toutes ces épreuves et de permettre à celui qui veut réaliser l’itinéraire en partant de Paris, quand il veut et avec qui il veut, avec une communication via les réseaux sociaux. Nous avons un concept qui est en train de se mettre en place.
Aujourd’hui les professionnels sont concernés par les outils de communication avec les réseaux sociaux, auriez-vous aimé avoir cela autour de vous pendant votre carrière ?
Imaginer à mon époque qu’aujourd’hui ces réseaux sociaux sont indispensables, ce n’était pas possible. Si je me replonge dans ma carrière cela m’aurait gêné. Mais maintenant que je les utilise au quotidien dans mon travail, que mes enfants les utilisent, je pense qu’ils sont indispensables à condition de les maîtriser et de ne pas en devenir esclave. Nous avons avec nous toute une batterie d’outils qui nous permet de gérer notre propre communication, celle qu’un collectif met en place, de répondre à tous ces gens qui du coup ont un accès direct avec une personne. C’est intéressant. Mais il faut savoir de temps en temps se poser, ne pas réagir à tout ce qui se dit et tout ce qui se fait, garder du recul. Et moi j’ai constaté chez mes jeunes coureurs que cela peut être dangereux dans le sens où il se dit tout et n’importe quoi et sur le plan émotionnel et affectif. On peut s’y perdre.
Auriez-vous aimé avoir accès à des potentialités de formation à l’époque où vous étiez professionnel ?
Oui totalement car à l’époque on devait se débrouiller tout seul dans la reconversion. J’ai eu la chance d’être réactif et de ne pas avoir la timidité d’aller frapper aux portes mais ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut vraiment que les coureurs mesurent la chance qu’ils ont. S’ils n’ont pas eu la chance de préparer leur reconversion, il existe des organismes qui les prennent en charge. Je suis même ravi que l’UNCP s’en occupe car s’ils ont un rôle à jouer je crois que c’est bien celui-ci. Il ne faut pas le rater et il ne faut pas en avoir peur, on ne retourne pas à l’école, c’est entre adultes et en général cela se passe très bien.