Eddy Seigneur | © IAM Cycling
Eddy, pouvez-vous nous raconter comment le vélo est arrivé dans votre vie?
J’ai commencé un peu par hasard. J’ai pratiqué auparavant le judo pendant 4 ans et du football… pendant un jour. Je me suis mis au cyclisme car au football l’entraîneur ne m’avait pas mis dans la composition d’équipe pour le dimanche. J’étais déçu (rires), je suis parti du club et j’ai commencé à me mettre au vélo vers l’âge de 13 ans au club de Beauvais. J’ai ensuite gravi les échelons au fur et à mesure du temps. J’ai connu l’équipe France à l’âge de 16 ans où j’ai participé à mes premiers championnats du monde chez les Juniors. Il y a eu ensuite la catégorie Elite chez les amateurs pendant laquelle j’ai développé des qualités de rouleurs.
Quelles sont les personnes qui vous ont aidé dans votre progression?
Francis Van Londersele m’a permis de progresser énormément lorsque j’étais chez les amateurs. Je pense aussi à Michel Thèze lorsque j’étais en équipe de France. Ce sont les deux personnes, entre autres, qui m’ont beaucoup apporté de 16 à 18 ans.
Il y a eu ensuite le monde professionnel…
J’avais 20 ans lorsque je suis passé pro. J’étais à l’époque au club de Nogent-sur-Oise qui était sponsorisé par Z. J’ai ensuite eu la chance d’être stagiaire. J’ai participé à ma première course professionnelle au Tour du Poitou-Charentes où je remporte le prologue. Je m’en souviendrais tout ma vie car je bats Colin Sturgess, qui était à l’époque champion du monde de poursuite, sur un effort court, un domaine qu’il connait assez bien. Pour moi c’était une super performance pour ma première course chez les pros. Ça a mis tout de suite une bonne ambiance dans l’équipe. Le lendemain j’avais des coureurs comme Eric Boyer ou Gilbert Duclos-Lassalle qui roulaient pour moi, c’était énorme. Ca n’a pas duré longtemps car dès le jour suivant Kim Andersen a gagné l’étape et a pris le maillot de leader. Il devait être vexé qu’un jeune vienne le torpiller la veille (rires). Il a voulu remettre les pendules à l’heure. C’était vraiment une bonne entrée en matière pour moi, car en plus du prologue je m’étais imposé sur le contre-la-montre. Je suis passé pro l’année suivante.
Comment ça s’est passé ensuite?
J’ai passé de très bonnes premières années dans l’équipe de Roger Legaey (Z et Gan). J’avais une très bonne relation avec lui, il était dur mais c’est durant ces années que j’ai obtenu mes meilleurs résultats: les 4 Jours de Dunkerque, l’étape des Champs-Elysées lors du Tour de France 1994 et le titre de champion de France en 1995… Il a énormément compté pour moi. Roger (Legaey) était un grand meneur d’hommes et un formidable manager. J’ai ensuite été une saison dans la nouvelle équipe de Marc Madiot, la Française des jeux. J’ai eu une période creuse à la suite de ça…
Pouvez-vous nous parler de cette période « creuse »?
En 1997, à la Française des jeux, j’ai « marché » mais sans plus. Je n’étais pas dans les meilleures dispositions pour réussir, c’est dommage. Marc Madiot sortait de sa carrière de coureur et n’était pas encore le patron d’équipe qu’il est à l’heure actuelle. J’ai voulu voir quelque chose de nouveau mais ça a été un échec. Ayant été pendant plusieurs années avec un Roger Legeay qui était un grand meneur d’hommes je pense que j’étais formaté sur un certain mode de fonctionnement. Je suis tombé sur Marc Madiot qui avait déjà d’énormes qualités mais qui n’avait pas le niveau de Legeay à l’époque. Il aurait peut-être fallu un peu plus de temps pour apprivoiser la chose. J’ai échoué et suis retourné dans l’équipe de Roger Legeay l’année suivante (1998, ndlr) et ça a été une année où rien n’a fonctionné, je n’ai pas eu les résultats que j’espérais. Roger (Legaey) m’avait dit avant de me rependre qu’il me virerait de l’équipe si je me « loupais », et c’est ce qu’il s’est passé. Ca a toujours été très franc et direct avec lui, tant mieux quelque part. A partir de là ça a été une descente aux enfers. Je suis retourné l’année suivante chez les amateurs – dans l’équipe Saint-Quentin-Oktos-MBK – alors que l’année d’avant je faisais encore le Tour de France ou Milan-San Remo. Ce fut une période où j’ai touché le fond, je n’avais plus de motivation et sur les courses je n’y arrivais plus. Je voulais arrêter le vélo à ce moment-là, j’en avais assez. C’était juste après l’arrivée des championnats de France du contre-la-montre, où je finis très loin. Et là, une heure et demie après, je reçois un appel de Michel Gros qui montait son équipe Jean Delatour.
«J’avais la hargne, je voulais prouver que je n’étais pas cramé »
Que vous a-t-il dit?
Je sortais d’un effort violent après le contre-la-montre, j’avais beaucoup de déception, et il me proposait un nouveau projet. Je lui ai dit que ça ne n’intéressait pas, que je voulais arrêter le vélo. En fin de compte, il a su me parler et trouver les mots. On s’est rencontré le lendemain, on a discuté et le soir il me proposait un contrat. A partir de là, c’est reparti de plus belle, puisque c’est avec Jean Delatour et RAGT j’ai gagné trois titres de champion de France de contre-la-montre. Comme quoi le vélo, c’est assez bizarre. J’étais dans le trou et je suis allé faire des stages pour me préparer correctement et tout s’est enchainé par la suite.
Diriez que cette période difficile a donné plus de saveur aux succès qui sont venus par la suite?
Oui, j’avais vraiment touché le fond. Tout ce qui m’arrivait ne pouvait être que positif. J’ai profité de toutes ces choses, je me suis remis en question, j’ai pu régler plein de choses sur le plan sportif mais personnel aussi. Grace cette formation et à l’envie retrouvée j’ai su ramener des titres à l’équipe. J’avais la hargne, je voulais prouver que je n’étais pas cramé comme on pouvait le dire. On était peut-être pas des gros leaders chez Jean Delatour, mais on marchait quand même bien. Il y avait une ambiance familiale et j’étais vraiment dans les meilleurs dispositions pour repartir de plus belle.
Eddy Seigneur a été 4 fois champion de France du contre-la-montre | © Peter Geyer / cyclingfans.com
Avez-vous été soutenu par le milieu durant cette période compliquée?
Dans ce milieu quand vous êtes dans la merde (sic) il y en a très peu qui vous appellent ou qui vous aident. C’était à moi de me sortir de là, de me bouger, pour réussir. Ce qui était normal quelque-part puisque c’était de ma faute si je n’avais pas été assez professionnel. C’était à moi de remonter la pente et de montrer que le Seigneur qui existait avant n’était pas mort.
Comment s’est passée la fin de votre carrière? Etait-ce quelque-chose de subi ou de choisi?
C’était un choix. En 2000, lorsque j’ai repris avec l’équipe Jean Delatour, je m’étais donné 5 ans pour faire ce qu’il fallait et je m’étais dit que j’arrêterai ma carrière après. A 35 ans, en 2005, je ne progressais plus, je récupérais moins bien. J’ai profité des deux dernières années pour essayer d’amener quelque chose aux jeunes coureurs de l’équipe, leur faire profiter de l’expérience que j’ai pu acquérir auprès de grands coureurs comme Duclos-Lassalle, LeMond ou Boyer.
Vous aviez donc anticipé les choses…
Deux ans avant d’arrêter, je m’étais renseigné auprès de la fédération pour devenir directeur sportif. En tant que capitaine de route j’arrivais à apporter mon expérience et je voulais apprendre mon métier de directeur sportif au sein d’une structure. Il y avait des formations qui se faisaient en fin d’année pour les anciens pros.
Parlez-nous de cette reconversion…
J’ai passé mes diplômes en 2006 et j’ai commencé par des vacations avec Cofidis l’année suivante. En 2008 j’ai été à temps plein pour le Crédit Agricole. J’ai été directeur sportif jusqu’en 2016, avec l’équipe IAM Cycling. Suite à la disparition de l’équipe World Tour, je me suis retrouvé au chômage. J’étais toujours dans l’attente et dans l’espoir d’avoir des contacts avec des managers pour être dans une équipe professionnelle, chose qui ne s’est pas produite. Il a fallu vite penser à la suite. J’avais un projet d’équipe avec Lima Da Costa qui a échoué, faute de financements et de partenaires. Entre temps, pour anticiper les choses, j’ai fait une formation de taxi, ce qui n’a rien à voir. A un moment donné il a fallu faire un choix voyant le milieu cycliste qui oublie les anciens directeurs sportifs. J’en ai appelé des directeurs sportifs, des managers… il n’y en a pas un qui m’a répondu. C’est difficile d’avoir été dans ce milieu pendant plusieurs années et que personne ne vous réponde. J’étais vraiment déçu et il a fallu réfléchir à une nouvelle reconversion en dehors du vélo. Ma vocation première c’est d’amener quelque-chose à des jeunes, à des amateurs ou à des pros, de leur faire bénéficier de ce que j’ai pu apprendre auprès des personnes que j’ai côtoyé dans le milieu du cyclisme pendant plusieurs années. Maintenant j’ai fait abstraction de tout ça et je me lance dans une nouvelle vie à partir du mois de novembre. Ca sera à moi de gérer mon entreprise.
« J’aurais voulu rendre au vélo tout ce qu’il m’a donné »
Le vélo sort définitivement de votre vie ou vous laissez une porte ouverte ?
Je suis vraiment axé sur mon entreprise pour l’instant, j’y ai investi beaucoup de temps et beaucoup d’argent. Le vélo gardera toujours une place mais j’ai vraiment été déçu. Ça fait vraiment mal quand vous appelez des managers et que personne ne vous répond. Je tiens quand même à souligner que le seul qui a su répondre est Marc Madiot, même si c’était une réponse négative.
Gardez-vous contact avec d’anciens coureurs ou d’anciens collègues du milieu cycliste?
Oui surtout avec Lionel Marie, Mario Chiesa, d’anciens directeurs sportif chez IAM Cycling. Nous restons en contact. Chez les coureurs que j’ai dirigé ou côtoyé, pas vraiment.
Avez-vous déjà envisagé de vous investir auprès de clubs cyclistes locaux, à un niveau moindre?
Oui, ma vocation première c’est d’être éducateur. Si j’ai passé mes diplômes c’est aussi pour apporter des choses à des jeunes de 17, 18 ou 20 ans avant qu’ils ne passent à l’échelon supérieur. Ce qui m’intéresse ce n’est pas d’être dans une équipe World Tour mais d’amener quelque-chose à des athlètes, de les faire évoluer. J’ai les boules (sic) que mon équipe IAM Cycling se soit arrêtée en 2016 car je n’avais pas terminé le travail entrepris. J’aurais voulu rendre au vélo tout ce qu’il m’a donné.
Quel regard portez-vous sur le cyclisme professionnel actuel?
Je commence à prendre du recul sur le vélo. Je constate que ça devient de plus en plus professionnel. Les cadres techniques doivent être de plus en plus à la hauteur vis à vis des demandes des coureurs. Avec l’arrivée des réseaux sociaux, les coureurs sont à l’affût de nouvelles choses, des évolutions, et si en tant que cadre technique tu n’es pas à la page, tu es vite débordé par ça. Ce sont des éléments sur lesquels ils faut être maintenant très attentif.
« Ma victoire sur les 4 jours de Dunkerque est la plus belle, il y avait une dimension humaine dans ce succès »
Parmi les coureurs qui vous avez côtoyé, quel est celui qui vous a le plus impressionné?
Ca a toujours été et ça restera toujours Gilbert Duclos-Lassalle. Il était au service de ses leaders mais savait aussi se mettre des objectifs comme Paris-Roubaix. J’admirais sa façon de préparer les courses, sa motivation, et le travail qu’il faisait toute l’année à côté. Il apportait beaucoup de choses auprès des jeunes, auprès des ses leaders, on pouvait toujours compter sur lui. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup apporté, beaucoup plus que certains leaders.
Vous arrive-t-il encore de rouler?
Plus beaucoup (rires).
Mis à part la période que vous avez connu en tant que cycliste professionnel, y en a-t-il une autre que vous auriez aimé connaître?
La période actuelle peut-être. J’étais dans les mauvaises années. Maintenant tout est beaucoup plus cadré, tout est beaucoup plus professionnel et surtout, c’est tolérance zéro. Je pense que j’aurais eu une meilleure carrière si j’avais couru dans ces années-là.
Quel est le plus beau souvenir de votre carrière?
Ma victoire sur les 4 Jours de Dunkerque, pas la victoire sur les Champs Elysées comme on pourrait le croire. Sur cette épreuve, c’est une équipe qui a gagné et pas un seul homme. On a tenu un maillot, il fallait être opérationnel, j’ai eu des coéquipiers (Gilbert Duclos-Lassalle, Thierry Gouvenou, Christophe Capelle, Philippe Cassado, etc.) qui ont roulé pour moi pour défendre le maillot. Je ne pouvais pas échoué grâce à ces mecs-là. Pour moi c’est la plus belle victoire, il y avait une dimension humaine dans ce succès. Un homme seul n’y arrivera pas, un leader doit avoir un monde autour de lui, fédérer, pour parvenir à un objectif.
Quelle valeur qui vous a été utile en tant que cycliste vous sert encore aujourd’hui?
La volonté. Ne jamais rien abandonner et continuer à y croire.
Propos recueillis par M.L.