Carlos, vous souvenez-vous du dernier dossard que vous ayez accroché au bas de votre maillot ?
Oui, c’était sur Paris-Tours 2007. Et Marc Madiot me l’avait dédicacé. Ce dossard, je ne l’ai jamais décroché du maillot, que j’ai précieusement conservé. C’est un souvenir. Je garde une émotion particulière de ce dernier jour de carrière. J’avais pris la décision de raccrocher après une chute au Tour d’Espagne quelques semaines plus tôt. Un soir, tandis que nous étions à table, je me suis levé et j’ai annoncé à mes coéquipiers la fin de ma carrière. Marc me proposait un nouveau contrat de deux ans mais j’avais fait onze ans – je m’en étais donné dix au début de ma carrière – et je sentais que le moment était venu de tourner la page. Avant de faire l’année de trop.
Vous évoquiez une chute. A-t-elle tenu le rôle de déclic ?
Disons qu’à un moment donné j’ai commencé à avoir peur sur le vélo. Quand tu commences à freiner avant les autres, ça devient difficile. Avec les années, tu es un peu plus réfléchi face à de jeunes coureurs aux dents longues. Tu finis par prendre moins de risques. Et puis ma famille s’est agrandie, or j’étais souvent parti sur les routes, dans les hôtels. Une fois que tu as fait le tour du monde trois ou quatre fois, tu as envie de poser tes valises à la maison. Je voulais voir mes enfants grandir et je ne le regrette pas.
A 33 ans, vous avez alors décroché un Master…
Cette décision, je l’ai prise sur un coup de tête, puis je me suis donné deux bons mois pour prendre du recul. Là je me suis dit qu’il était temps de reprendre mes études. J’avais déjà un bac+2, j’ai pu aller au bout de mon cycle avec un bac+5. J’ai fait mes études en alternance, ce qui m’a permis d’intégrer la Fondation FDJ. J’ai alors pris goût au marketing. Comme j’avais laissé une bonne image à l’entreprise, le président de la Française des Jeux a souhaité que je travaille pour lui. Il m’a créé un poste de responsable des partenariats sportifs de l’entreprise, qui investit beaucoup dans le sport.
En quoi votre carrière cycliste vous aide-t-elle aujourd’hui dans votre activité ?
C’est surtout le réseau. En tant qu’ancien sportif professionnel, j’ai eu et j’ai toujours des contacts avec d’autres sportifs. Ça m’aide aujourd’hui dans mon boulot. Je possède une enveloppe budgétaire pour réaliser des partenariats dans le milieu sportif. Aujourd’hui la Française des Jeux est partenaire de la Ligue de Football, partenaire majeur de la Coupe de la Ligue, mais aussi de la Fédération Française de Rugby et du XV de France, des Fédérations Françaises de Basket, de Handball et de Volley. En marge de ces partenariats je dispose d’une enveloppe pour développer des dispositifs d’image, de visibilité, j’organise des concours, des voyages, des rencontres avec les joueurs…
Vous avez également intégré l’UNCP, le syndicat des coureurs. Dans quel but ?
J’ai pris moi-même la décision de mettre fin à ma carrière. Je savais que si ça venait de moi, il me serait plus facile de réussir ma reconversion. Quand on doit faire ce choix contraint et forcé après avoir cherché un contrat jusqu’au bout, le choc est terrible. Cela arrive à des gars qui finissent par déprimer et dont la vie de famille prend forcément un coup. C’est pourquoi j’ai souhaité, au sein de l’UNCP, mettre en place un dispositif de reconversion et de formation destiné aux coureurs. Aujourd’hui trente coureurs bénéficient d’un suivi particulier.
En quoi consiste-t-il ?
Il y a ceux, la moitié, qui ne savent absolument pas que faire après leur carrière et pour qui nous réalisons un suivi très pointilleux. Après, il y a ceux qui ont bien gagné leur vie et qui veulent prendre du recul, pour qui nous proposons du conseil et de l’accompagnement afin de ne pas les perdre de vue. Et enfin il y a ceux qui savent ce qu’ils veulent faire et qui ont besoin d’un coup de main, ne serait-ce qu’administratif. Nous essayons aussi d’inclure le couple dans notre dispositif.
Le couple ?
Oui car la fin de carrière d’un coureur entraîne souvent une rupture pour les deux. Du temps de sa carrière, le coureur est parti la moitié de l’année, si bien que lorsqu’il revient à la maison, il n’a plus ses marques. La femme est quant à elle habituée à vivre avec les enfants et a ses propres repères. Quand le coureur revient à la maison, il y a un travail à faire avec la cellule familiale, ce qui n’est pas forcément évident. Je me charge un peu de tout ça en marge de mon activité professionnelle.
Toutes ces activités vous laissent-elles encore le temps de rouler ?
Non, je n’ai plus beaucoup touché au vélo. Je fais un peu de footing. J’ai dû faire deux sorties de deux heures en six ans du côté de Longchamp, histoire de se remettre un peu en selle et de retrouver quelques copains. Mais ça me manque, et c’est pourquoi j’aime revenir sur les courses. Plus pour l’ambiance, cette communion avec un public qui ne m’a pas oublié. Je retrouve des gens qui m’ont encouragé et supporté durant toute ma carrière, qui sont encore là et supportent désormais la nouvelle génération.