Bruno, voilà dix ans maintenant que vous avez mis un terme à votre carrière. Vous souvenez-vous de votre dernière course ?
C’était un critérium vers Orléans et j’ai raccroché dans un total anonymat. Personne ne savait que j’avais pris la décision de ne plus accrocher un dossard au bas de mon maillot. J’y avais longuement réfléchi. Je devais déjà arrêter un an plus tôt, en 2003, avec la fin de Jean Delatour. Mais RAGT Semences est arrivé comme sponsor principal et avait besoin de coureurs déjà présents dans l’effectif, notamment pour participer au Tour de France. Ils m’ont proposé de repartir pour une saison et j’étais OK. Mais 2004 aura bel et bien été la dernière.
Saviez-vous déjà dans quelle branche vous alliez vous orienter ?
Non. Les dernières années de ma carrière m’ont justement un peu angoissé. J’ignorais quel chemin j’allais suivre pour ma reconversion. Ça a été une très grosse angoisse. Les mois qui ont suivi la fin de ma carrière ont été assez pénibles. Je me suis retrouvé face à un grand vide, exclu du milieu cycliste dans lequel j’avais vécu depuis l’âge de 18 ans. J’ai passé un bilan de compétences, passé mon Brevet d’Etat, je me suis fait refuser des formations par les organismes pour lesquels j’avais pourtant cotisé, et puis au bout de quelques mois, n’en pouvant plus de tourner en rond, je suis allé à l’ANPE pour sauter sur la première formation débouchant sur un boulot qu’on me proposerait.
Ça a été quoi ?
Ça a été simple. Le conseiller a ouvert un classeur, il y avait un CAP peintre en bâtiment qui commençait en septembre, j’ai pris ! J’ai passé une bonne année au GRETA de Bayonne. De là, j’ai bossé dans une entreprise de peinture pendant deux ans. Mais j’avais à cœur de me lancer dans une autre aventure. David Lefèvre s’était lancé dans le diagnostic immobilier. J’ai étudié l’affaire avec lui et, à l’approche des 40 ans, je me suis dit que c’était maintenant ou jamais. J’ai suivi une formation et j’ai créé en 2008 une société dans le diagnostic immobilier.
En quoi consiste-t-elle aujourd’hui ?
Je suis à mon compte au Mesnil-Esnard, près de Rouen. Je suis tout seul dans ma société, que j’ai lancée à une période qui n’était certainement pas la meilleure, quand le marché de l’immobilier était en pleine crise, mais quand j’ai une idée en tête il faut absolument que je le fasse. Aujourd’hui, je suis mon petit bonhomme de chemin. Ça marche correctement, avec des hauts et des bas, mais ça me suffit.
En quoi votre activité de coureur vous sert-elle dans ce que vous faites aujourd’hui ?
Le fait de se gérer tout seul. Quand tu es coureur, tu es toujours tout seul. A l’entraînement, tu es chez toi et tu dois gérer ton emploi du temps. Quand tu n’as pas la motivation, tu dois avoir la ressource de te mettre un coup de pied aux fesses et d’y aller. Là, c’est un peu la même chose. Tu dois aller chercher des clients, faire du commercial, se booster. Comme partout.
Le nom de Bruno Thibout, du côté de Rouen, fait-il encore tilt dans la tête des gens que vous rencontrez ?
J’ai encore quelques clients qui font le rapport avec ma carrière, ce qui fait toujours plaisir. Mais en fin de compte, étant donné que je me suis vite expatrié dans d’autres clubs, du côté notamment de Vaulx-en-Velin chez les amateurs, les gens en Seine-Maritime se souviennent de moi sans me connaître vraiment.
Vous réalisez en outre des vacations en tant que pilote moto avec Amaury Sport Organisation. Comment a commencé l’aventure ?
J’ai eu la chance, quand j’étais dans ma période de réflexion sur mon avenir, qu’ASO me contacte et me propose de rentrer sur le Tour de France et d’autres épreuves comme pilote voiture invités. Ça m’a permis de remettre le pied à l’étrier et ça m’a fait un bien fou de retrouver la famille du cyclisme, les copains. J’ai fait cela durant quatre, cinq ans, avant de rebondir sur la moto. Cette année, j’ai fait la Flèche Wallonne, la World Ports Classic, le Critérium du Dauphiné, le Tour de France et le Tour de l’Avenir.
Vous êtes toujours en contact avec d’anciens coureurs pros aujourd’hui reconvertis. Quels chemins ont-ils suivi ?
Nous avons tous connu le même problème, c’est-à-dire que nous n’avions pas trop préparé notre reconversion. Nous avons tous été confrontés à une remise en question très compliquée. Aujourd’hui, j’espère que les instances et les équipes commencent à faire cogiter un peu les jeunes sur leur après-carrière car c’est super important. Je leur préconiserais même de faire une semaine en entreprise durant leur trêve hivernale pour voir ce qu’est le vrai monde du travail.
Continuez-vous de rouler ?
J’avais totalement arrêté le sport après la fin de ma carrière il y a dix ans, mais j’ai repris cette année avec assiduité puisque mon fiston de 17 ans, Thomas, est Junior 1. Il s’agit de sa première année de vélo, donc je l’accompagne pour les entraînements. Ça me fait rouler une fois par semaine avec lui. Ça me rassure aussi car les routes sont devenues dangereuses. Et puis ça fait du bien ! Je renoue aussi le contact avec l’actu du cyclisme puisque mon fils commence à suivre tout ça et à me parler des coureurs etc. Mais j’avoue n’avoir découvert l’existence d’une équipe comme NetApp-Endura que sur la World Ports Classic que j’ai effectué en qualité de moto infos…
La passion du vélo de père en fils chez les Thibout, c’est héréditaire ?
Je n’ai jamais poussé Thomas, ça lui est venu d’un coup. Petit, il était venu me voir deux fois sur un critérium, mais il ne m’a jamais suivi sur les courses. Il n’aimait pas le vélo. Il ne suivait pas du tout cela. Et puis il y a deux ans il est venu voir la dernière étape du Tour de France à Paris. A mon retour il m’a dit qu’il voulait faire du vélo. Je lui ai dit : « ce n’est pas parce que tu as vu le Tour de France que… » Mais il m’a certifié qu’il avait désormais envie d’essayer. Je lui ai acheté un petit vélo d’occasion, il y a pris goût, et désormais il est à fond. Le principal, c’est qu’il se fasse plaisir.