Alain, pouvez-vous nous expliquer comment le cyclisme est arrivé dans votre vie?
« Avant on faisait plus facilement du vélo. Maintenant les jeunes jouent avec leurs pouces ! On n’avait pas d’ordinateur et ce genre de choses. Je me suis aussi intéressé au cyclisme en suivant les exploits des champions de l’époque. »
Pouvez-vous nous retracer les grandes lignes de votre carrière?
« J’ai commencé en amateur en 1963. J’ai participé aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968, remporté deux étapes sur le Tour de l’Avenir la même année ainsi que le Paris-Roubaix chez les amateurs. Je suis passé professionnel en 1969 au sein de l’équipe Bic. J’ai remporté le classement général des Quatre Jours de Dunkerque lors de ma première année chez les pros. En 1970 je me suis imposé sur la 8e étape du Tour de France et j’ai fini 6e du championnat du monde sur route. J’ai participé à trois reprises à la Grande Boucle au cours de ma carrière.
Vous avez quitté le monde professionnel en 1974. Etait-ce programmé?
« A cette période c’était la crise (premier choc pétrolier de 1971 ndlr). Les budgets étaient très serrés et certaines équipes n’avaient plus assez d’argent pour continuer. J’ai donc arrêté ma carrière en même temps que l’équipe Bic disparaissait du peloton. »
Par quelles étapes êtes-vous passé en matière de reconversion?
« Je me suis tout de suite installé ici à Steenvoorde (nord). Ce n’était pas vraiment programmé, mais ça rentrait dans la lignée de ce que j’avais fait avant. A mon époque on était nombreux à ouvrir un magasin de cycles après notre carrière professionnelle. A ce moment là celui qui arrêtait de faire du vélo se lançait dans cette activité. »
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un cycliste professionnel sur le point d’arrêter sa carrière?
« (il réfléchit) Vous savez le vélo c’est comme tout métier: quand il n’y a plus de jus on vous met à la rue, et c’est pareil dans tous les sports. Il vaut mieux assurer ses arrières, et peut-être encore plus dans la période actuelle. Avant on était pas dans un monde égoïste comme aujourd’hui. Il faut anticiper les choses du mieux qu’on peut. »
Et le(s) conseil(s) que vous donneriez à un jeune qui débute?
« S’accrocher car ce n’est pas facile. Il y a des jours où on est bien et des jours où on est moins bien. D’ailleurs il y a peut-être plus de jours sans. Il faut du courage et de la persévérance. C’est l’un des sports les plus durs. J’ai longtemps cru que la boxe était le sport le plus difficile, mais même les boxeurs avec lesquels je m’entraînais sur Dunkerque, à une époque, soutenaient que le cyclisme est le sport le plus dur. On ne se repose pas sur un vélo, il y a des étapes longues et c’est comme ça toute l’année. En plus il faut être rigoureux à l’entraînement car sans ça on n’arrive pas à suivre dans le peloton. Il faut aussi savoir que les efforts fournis ne sont pas payés à l’avenant par rapport à d’autres sports. »
« Le Tour reste au dessus de tout »
Que pouvez-vous nous raconter sur votre période professionnelle au sein de l’équipe Bic?
« J’avais un rôle d’équipier. On avait nos leaders: Anquetil puis, par la suite, Ocaña et Janssen. A ce moment là ça fonctionnait déjà comme aujourd’hui: celui qui n’était pas capable de gagner n’avait qu’à travailler ! Après il y avait le facteur chance, parfois ça souriait, parfois non. Les conditions de courses rentrent également en jeu et font que ça marche ou non.»
Quel est votre plus beau souvenir durant votre carrière?
« La victoire d’étape sur le Tour de France en 1970. Quand vous dites aux gens que vous avez fait du vélo, on vous demande tout de suite si vous avez fait le Tour. Il n’y a que ça qui compte car ça reste la plus belle course avec Paris-Roubaix, pour les classiques. »
Et parmi toutes les courses auxquelles vous avez participé, laquelle vous a laissé le meilleur souvenir?
« (il réfléchit) Je n’ai pas de préférence dans le lot. J’aimais quand même bien faire les Quatre Jours de Dunkerque parce que c’était chez moi et que j’y ai gagné pour ma première année chez les professionnels. Après il faut quand même avouer que le Tour reste au dessus de tout. Ça n’a pas changé et ça ne changera pas. C’est le Tour qui tient le vélo. Si on l’enlevait le cyclisme prendrait un coup. Avec le Paris-Roubaix ce sont les courses les plus regardées. »
Le cyclisme c’est une affaire de famille chez les Vasseur. Il y a vous, votre frère Sylvain (ancien coureur professionnel), Cédric et Loïc vos fils. Qu’en est-il de la prochaine génération?
« J’ai cinq petits-enfants: trois garçons et deux filles. Ça m’étonnerait qu’il y en ait qui se lance dans le cyclisme. Si ils apprennent bien à l’école et font les bonnes études c’est mieux. Le vélo ça vient après, parce-que ça reste difficile pour se « recaser ». Et puis il faut vraiment être au dessus du lot. »
Quelle(s) valeur(s) ce sport vous a-t-il enseigné?
« Qu’il faut avoir du tempérament et aller de l’avant ! »
« J’ai roulé avec des gens comme Anquetil ou Ocaña»
Quels sont les gros changements, selon vous, entre la période que vous avez connu en tant que cycliste professionnel et celle d’aujourd’hui?
« Chacun son époque. Aujourd’hui c’est différent. Maintenant les coureurs se préparent uniquement pour certains rendez-vous, soit pour le Tour de France soit pour les classiques ou d’autres courses. On les voit en début de saison, après plus rien, puis on les revoit en fin d’année. Nous on commençait au 1er janvier et on finissait le 31 décembre. Les gars ne se préparent que pour certaines courses. Avant ça se faisait beaucoup moins. Aujourd’hui tout est calculé.
On était peut-être plus complet de mon temps. Un coureur comme Eddy Merckx gagnait toute l’année. Il ne sélectionnait pas une course par rapport à une autre. Je regrette aussi que tout soit millimétré avec les oreillettes. Ça porte préjudice aux échappées. Les mecs se font toujours rattraper à la flamme rouge. Il n’y avait pas ça dans le temps. C’est même lassant pour les spectateurs parfois. »
Quel regard portez-vous sur le monde du cyclisme actuel?
« Les cyclistes restent des smicards par rapport aux footeux. Mais ça s’est quand même fort amélioré par rapport à notre époque. C’est Bernard Tapie qui a mis de l’ordre là dedans. Quand il est arrivé dans le milieu (dans les années 1980, avec l’équipe La Vie Claire, ndlr) les salaires ont fortement augmenté. Il y a quand même eu une différence qui s’est opérée quand il est arrivé. Je constate également que le sponsoring a pris une énorme place dans le monde du vélo justement parce que les couses sont suivies dans le monde entier. »
Vous avez été coureur professionnel dans les années 70 mais y a-t-il une autre période que vous auriez aimé connaître en tant que cycliste?
« Non. Je suis tombé dans une bonne période. J’ai roulé avec des gens comme Anquetil ou Ocaña. Je ne sais pas si j’aurais aimé faire ce qu’il font maintenant. Je suis content d’être tombé durant cette période où il y avait des coureurs comme Poulidor, Janssen, Merckx… de grands champions. A part Merckx, personne ne dominait vraiment. Ça reste le plus grand. On me parle de Froome aujourd’hui mais ce n’est pas la même chose. Il a un palmarès où il n’y a aucune classique. Ce sont de coureurs programmés. Froome reste un très bon coureur mais il n’est pas dans la lignée des coureurs complets. Un gars comme Bernard Hinault c’est quand même mieux. Il a été champion du monde à Sallanches, qui a été l’un des championnats les plus durs, il a gagné les grands tours mais aussi des courses comme Gand-Welvelgem, Paris-Roubaix… Il a un palmarès nettement plus fourni. »
Vous préférez donc les coureurs capables de gagner sur tous les terrains?
« Oui parce que dans le temps on était pas préparé pour telle ou telle course. On prenait tout en suivant. Comme je l’ai déjà dit aujourd’hui ils sont programmés pour des courses précises. Ce n’est plus du vélo. C’est très bien ce que des coureurs comme Froome peuvent faire mais j’aimerais bien le voir gagner une classique. C’est un très bon coureur mais quand je vois la position de Merckx, Anquetil ou Hinault sur un vélo je me dis que c’était autre chose… »
Parmi les coureurs que vous avez côtoyé, lequel vous a le plus impressionné?
« Eddy Merckx. Il a quasiment tout gagné, sauf Paris-Tours (rires) ».
Quel est votre pronostic pour le Tour de France?
« Je ne sais pas trop. Les Sky dominent beaucoup quand même. C’est une équipe qui est capable de faire gagner n’importe qui et ils annoncent souvent la couleur avant. A voir du côté de Bardet, mais il faudrait qu’il ne perde pas trop de temps sur le contre-la-montre. Aujourd’hui pour gagner le Tour il faut être performant dans ce domaine. Ce n’est pas facile d’en dégager un. Quoiqu’il en soit on aura un beau Tour de France. Peut-être que cette année, avec le passage à huit coureurs sur les grands tours, ça risque d’être mieux. Le jour où un coureur d’une équipe sera moins bien il y aura moins de monde pour rouler. On verra peut-être des échappées aller beaucoup plus loin. »
Maxime Lefebvre