On ne peut pas décider de lancer une rubrique sur les maillots cultes qui ont marqué l’Histoire du cyclisme sans revenir sur le célébrissime damier de Peugeot… En effet, lorsque nous avons sondé quelques passionnés parmi vous, c’est bien l’un des maillots qui revenaient en tête de liste, dont on parle avec une certaine nostalgie. Alors histoire de se remémorer le parfum d’une époque du cyclisme révolue, revenons sur l’une des toutes premières équipes à avoir brillé sur l’asphalte — le premier Tour de France remporté par Peugeot datant de 1905.
Évoquer aujourd’hui la marque Peugeot revient irrémédiablement à parler de la voiture, véritable fleuron français dans le secteur. Toutefois, si l’on remonte l’horloge et l’histoire de la famille éponyme, on trouve une famille d’industriels français surnommée « le clan des Sochaliens » qui se lance dans de multiples activités au milieu des années 1800, dont la fabrication de cycles — suite logique de son activité métallurgique qui a commencé avec les moulins à café. L’entreprise Peugeot Frères est fondée en 1810 et prend le nom de Société des Automobiles Peugeot en 1896. Et c’est donc avant la première voiture, qui arrive en 1891, qu’Armand Peugeot lance la fabrication en série du « Grand Bi », alors très à la mode outre-Manche. On connaît la success-story qui en découle : fabrication de tricycles, puis de ce que l’on appelle alors « bicyclettes à roues égales et transmission par chaîne ». En 1900, l’entreprise vend 20 000 bicyclettes : des modèles destinés à une clientèle féminine comme « La Lion » aux bicyclettes à deux vitesses qui font le bonheur des amateurs de compétitions, les Cycles Peugeot s’imposent dans le paysage du monde du vélo. L’histoire d’amour entre le moyen de locomotion et son sport est née… Et très tôt le fabricant de cycles devient célèbre : en 1892, les cinq premiers de la course Paris-Nantes roulent avec des vélos Peugeot, et en 1896 Paul Bourrillon devient Champion du monde de vitesse sur cycles Peugeot-Frères.
On ne peut donc pas vraiment se demander comment Peugeot est « arrivé » au sponsoring cycliste ; c’est plutôt le sponsoring qui est « arrivé » à l’entreprise, puisque l’équipe cycliste s’est ainsi constituée au fur et à mesure du développement du cyclisme professionnel. Celle-ci a existé de 1901 à 1989, et l’on considère bien volontiers qu’elle est l’équipe la plus titrée de tous les temps. Avec neuf Tour de France remportés (de 1905 à 1908, puis 1913, 1914, 1922, 1975 et 1977), trois Vuelta (1948, 1969 et 1971) et six Paris-Roubaix (dans les années 1900-1910 puis dans les années 1960), elle a placé la barre haute me direz-vous. Parmi les grands noms qui ont porté haut les couleurs de Peugeot, on compte beaucoup de Français qui pavent le début du cyclisme professionnel : Hippolyte Aucouturier, Louis Trousselier, René Pottier, ou encore Lucien Petit-Breton, Philippe Thys et Firmin Lambot. On n’oublie évidemment pas Roger Pingeon — vainqueur du Tour de France 1967 — et Bernard Thévenet, vainqueur des deux éditions du Tour remportées avec la tunique à damier dans les années 1970. D’autres grands champions ont également contribué à la gloire du maillot : Tom Simpson, Eddy Merckx, Walter Godefroot ou encore Phil Anderson et Stephen Roche — pour n’en citer que quelques-uns.
S’associant d’abord avec des fabricants de pneumatiques (Wolber, Dunlop, Englebert, Michelin) puis des marques pétrolières (BP, Esso, Shell) et enfin la marque Z, l’équipe changera régulièrement de nom entre 1905 et 1989. Certaines années, on compte même deux équipes Peugeot dans le peloton : le maillot « Elvé-Peugeot » tire la bourre à « Peugeot-Dunlop » puis « Peugeot-BP-Dunlop » entre 1946 et 1959. De même, le maillot connaît plusieurs évolutions liées aux impératifs textiles et télévisuels au cours de son histoire. D’abord jaune et bleu — les couleurs de la région Franche-Comté — le maillot ne se pare du fameux damier qu’en 1963. On raconte que celui-ci a été pensé pour mieux « passer à la télé » puisqu’à l’époque, la télévision française est encore au noir et blanc. Le motif était également très facile à reproduire sur les casquettes et les cadres de vélo. Il disparaît finalement en 1987, remplacé par le très coloré Z de la marque de vêtements pour enfants.
Les années 1960 marquent un tournant dans l’histoire de la marque et de ses relations avec son sport et son secteur d’activité. En effet, l’équipe cycliste connaît ses heures de gloire — malgré des tragédies comme le décès de Tom Simpson lors de l’ascension du Mont Ventoux en 1967 — mais le secteur économique fait face à une guerre commerciale. L’entreprise est peu à peu contrainte de restructurer son activité ; elle aura vendu près de 20 millions de vélos après 1892. L’histoire avec le cyclisme professionnel s’achève à la fin des années 1980 lorsque Peugeot cesse d’être sponsor principal d’équipe. En parallèle, l’outil de production et le réseau de production sont cédés à Cycleurope, sans que l’entreprise abandonne la licence et la marque. Si Peugeot revient sur les routes professionnelles en tant que fournisseur de vélos dans les années 1990 — avec notamment l’équipe Festina — tout cela prend fin en même temps que le XXème siècle. L’histoire entre le moyen de locomotion et son sport est donc en sommeil à tous points de vue. Définitivement ? En 2010, le fabricant a relancé sa gamme à travers Cycleurope et son réseau de distribution, mais aussi chez ses concessionnaires. Faut-il alors s’attendre à un retour de la marque au lion sur la route et en compétition ? L’histoire nous le dira.