Le 4 juin dernier, Marc Madiot réalisait un grand coup dans sa carrière de manager, en prolongeant de trois ans supplémentaire ses quatre leaders d’un même coup. Alors que la saison 2020 n’a même pas commencée, le mayennais s’est offert le luxe de se projeter sur le long terme, en bâtissant une formation durable sur ses piliers Thibaut Pinot, David Gaudu, Arnaud Démare et Stéphane Küng. Il faut dire que l’annonce retentissante de janvier l’a bien aidé. En effet, alors que la plupart des équipes cyclistes vivent dans une certaine précarité, partant chaque saison à la chasse au sponsor, la Groupama-FDJ a la chance de reposer sur un mariage tenace, assuré jusqu’en 2024. Quatre ans de tranquillité pour coureurs et staff, quatre ans pour porter un projet ambitieux autour de Thibaut Pinot dans sa conquête du Tour de France, avant qu’une nouvelle page ne se tourne et les objectifs ne soient renouvelés. L’intéressé lui-même l’affirme : il se donne ce laps de temps pour réussir là où il a échoué jusqu’ici. L’année dernière, il l’a frôlé. Avec un collectif robuste, fidèle et solidaire, bâti autour de son profil, et un staff veillant à ne rien laisser au hasard dans son environnement, il ne peut espérer être dans une meilleure position. Mais une nouvelle fois, il est important de relever que cette conquête du Graal, qui tient en haleine depuis de nombreuses années la France du cyclisme, et s’apprête encore à l’animer pendant les prochaines saisons, elle n’est permise que par la confiance de deux sponsors majeurs de la Petite Reine moderne, aux investissements financiers non négligeables et à la symbiose bienfaisante autour de ce projet sportif commun. Dans les premiers mois de la rubrique, nous avions présenté Stéphane Pallez, dirigeante de la Française des Jeux. Aujourd’hui, après deux belles annonces depuis le début de l’année, voici le tour du directeur général de Groupama. Portrait de Thierry Martel.
Son parcours :
Son truc, lui, c’est les assurances. Titulaire d’un cursus universitaire brillant, passé notamment par Sciences Po et Polytechnique, Thierry Martel s’est immédiatement engagé dans ce secteur lors de son plongeon dans la vie active. D’abord commissaire-contrôleur à la Commission de Contrôle des Assurances pendant trois ans, il rejoint la direction de Groupama dès 1990, entamant ainsi une longue montée en grade au sein de la société, et le début d’une longue relation de fidélité envers la compagnie d’assurances.
A cette époque, la mythique équipe cycliste Peugeot, ayant compté jadis dans ses rangs les grands Eddy Merckx ou Bernard Thévenet, voit son sponsor principal se retirer progressivement pour faire d’abord place à Z, société de prêt à porter pour enfants, puis Gan, assureur. Autrefois co-sponsor des cycles Mercier, du temps de Raymond Poulidor, la compagnie fait cette fois office de partenaire unique. Les couleurs bleues, blanches et jaunes du maillot brillent alors dans les pelotons élites pendant 5 ans, notamment emmenées par le recordman de l’heure, l’américain Chris Boardman, ou le routier-sprinteur français Frédéric Moncassin. Si cette entrée de l’assurance dans le monde du cyclisme est finalement refermée par l’arrivée d’une banque, le Crédit Agricole, la brèche n’en est pas moins restée ouverte et le rachat de Gan en 1998 par Groupama perpétue l’amour de la Petite Reine dans ce groupe.Eric Boyer sous le maillot de Gan | © Wikipédia
Attaché au Tour de France et à sa proximité inégalée avec le public, dans l’idée qu’il s’agit de la seule épreuve sportive qui vient aux français, traversant de nombreuses régions du territoire pour passer au cœur des villages et des campagnes, dans des lieux ordinairement désertés par de tels évènements, Thierry Martel conserve alors l’idée d’un retour du partenariat dans un coin de sa tête, conscient des bénéfices éventuels qu’une telle entreprise pourrait apporter. Envoyé dans le Grand Est en 1995 pour y prendre la direction assurance de la caisse régionale à partir de 1999, le français poursuit son petit bonhomme de chemin dans la hiérarchie de la société, s’attachant à faire systématiquement ses preuves à chaque nouveau poste. Son travail payant, il est rapatrié en région parisienne en 2003 pour y occuper le poste de directeur de l’audit général et actuariat Groupe, au sein de Groupama SA, avant d’être nommé directeur de l’assurance de la personne, puis de superviser les activités d’assurance et services individuels.
Grimpant pas à pas l’échelle, Thierry Martel franchit une marche supplémentaire en 2008, lorsqu’il accède à la tête de la direction générale de l’assurance France, en prenant notamment en charge la filiale Gan, avant d’accéder au dernier échelon deux ans plus tard, en étant nommé Directeur Général assurance et banque France, et même élu en 2011 Président de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance Mutuelles (FFSAM).
Son statut aujourd’hui :L’effectif de la Groupama-FDJ lors de la présentation de l’équipe en janvier dernier, au siège de Groupama | © Groupama-FDJ
Ainsi, le français occupe désormais son poste depuis 10 ans et tient bien le cap de la compagnie d’assurance, qu’il a notamment su sortir de la crise économique. Cependant, il doit aujourd’hui faire face à un nouveau challenge prépondérant avec la crise sanitaire secouant actuellement la planète, dans laquelle le secteur des assurances est évidemment clé. Dans ce contexte particulièrement délicat, le service presse de la société a refusé de répondre à nos sollicitations, préférant jouer la carte de la sobriété pour se concentrer sur la fonction essentielle du groupe d’assurance.
Cependant, le contrat est néanmoins signé depuis janvier et le partenariat entre la Française des Jeux, Groupama et la formation de Marc Madiot s’étendra jusqu’en 2024, année olympique et échéance majeure en France, à moins d’une faillite improbable. Il prolonge ainsi un partenariat entamé en 2018 par la compagnie d’assurance, fort d’une association de deux sponsors fidèles portant solidement le projet sportif du manager mayennais. Alors que Groupama et FDJ investiraient chaque année 20 millions d’euros, à eux deux, pour soutenir Thibaut Pinot et consorts, tournant ainsi la page de la voile, l’équipe cycliste bénéficierait ainsi de moyens semblables à ceux de la plupart des autres formations du World Tour, excepté les géantes Team INEOS, Lotto NL Jumbo ou encore Deceuninck Quick-Step, aux budgets astronomiques (on parle de 45 millions d’euros pour l’équipe de Dave Braidford).
Cet investissement se fait bien sûr sous le signe de la passion du côté de Thierry Martel et de son groupe, supportant de ce fait un sport rendu extrêmement populaire dans l’Hexagone par la Grande Boucle, suivie chaque année par 30 millions de français, et glorifiant chaque été le patrimoine et les paysages nationaux, traversant régions et villages ordinairement délaissés par la mondialisation, apportant fête et joie de vivre le temps d’une journée. De plus, alors que le peuple bleu cherche toujours un successeur à Bernard Hinault, cet engagement fort de la part de Groupama est également un formidable geste de patriotisme, soutenant fièrement l’entreprise de Thibaut Pinot et ses hommes dans leurs aventures estivales sur les routes du Tour, dans la conquête de la plus grande épreuve cycliste du monde. Si la bravoure et le talent des coureurs sont indéniables, l’extraordinaire Grande Boucle 2019 est aussi due à cette confiance de sponsors généreux.
Evidemment Groupama n’est pas non plus désintéressée dans cette affaire. Et le bonheur apporté sur les routes de juillet lui a été restitué sous une forme financière dans les mois ayant suivi les exploits puis les tragiques déboires de Thibaut Pinot, les souscriptions dépassant toutes les estimations. Mais qu’il y aurait-il de mal à conclure un tel pacte ? Au contraire, il est évident que le vélo est malheureusement devenu une affaire d’argent. L’infernal train INEOS en est la preuve la plus évidente. Et de nos jours, l’apport de sponsors comme la Française des Jeux ou Groupama est fondamental à la survie du cyclisme français. En offrant à la France de si grandes joies sur les routes ou devant son téléviseur, ils deviennent même des ambassadeurs de la Petite Reine dans les chaumières, et de véritables vendeurs de rêves pour tous les passionnés. Alors, dans un élan de projection fictionnelle, si Thibaut Pinot venait héroïquement à remporter le Tour en 2020, 2021, 2022 ou 2023, il faudra avoir une pensée pour ses deux sponsors, et les remercier.
Par Jean-Guillaume Langrognet