La photographie a toujours accompagné la Petite Reine dans son évolution. D’abord rares et précieux, les clichés ont augmenté de manière exponentielle pour devenir foisonnants aujourd’hui. D’abord purement illustratifs, nourrissant alors des imaginaires cultivés par les feuilletons romanciers dressés sur le déroulement du Tour de France, ils se sont peu à peu servis du sport comme une matière d’art, pour ne plus seulement informer, mais aussi marquer, impressionner, bouleverser. La photographie et le cyclisme sont deux univers bien différents mais possèdent cependant des intersections. Quand les coureurs deviennent des modèles, des objets d’études, quand les photographes souhaitent saisir les émotions luisantes sur les visages de ces forçats de la route d’une nouvelle ère, alors ces deux mondes s’entrechoquent pour s’associer dans les pages des journaux, ou bien sur les réseaux sociaux. Certains clichés ont d’ailleurs forgé la légende de certains champions. Fausto Coppi, orné de son maillot Bianchi, franchissant seul les cols gravilloneux du Giro. Bernard Hinault, luttant contre froid et neige sur Liège-Bastogne-Liège 1980 orné de son imperméable jaune. Lance Armstrong, traversant à bicyclette un champ aux alentours de Gap après avoir évité la carcasse de Joseba Belloki. Christopher Froome, courant à pied dans le Mont Ventoux. Thibaut Pinot, abandonnant la Grande Boucle en pleurs dans les bras de son équipier, capitaine de route et ami, William Bonnet. Ces instants épiques, tragiques ou encore comiques font partie intégrante de leur carrière, qu’ils le veuillent ou non. C’est l’auteur des deux dernières images qui le dit. Nom accolé aux bas des images du journal L’Equipe, mais aussi et surtout professionnel passionné par son métier, voici le portrait de Stéphane Mantey.Stéphane Mantey | © Stéphane Mantey
Son parcours :
Ce qui ressort tout d’abord dans le parcours du parisien, c’est l’influence de la figure paternelle. Cycliste et photographe amateur, ce dernier a en effet transmis à son fils les gènes de son métier. Initié sur le tôt aux courses cyclistes en accompagnant fréquemment son père sur les épreuves dominicales dès l’âge de 8 ans, du vélodrome de Saint-Denis à la Cipale, il s’immerge ainsi dès l’enfance dans cet univers aux rites et traditions bien particuliers, jusqu’à y prendre goût. Pourtant, c’est avec le ballon rond qu’il plonge définitivement dans la passion du sport. Eveillé au football à l’heure de l’hégémonie verte de l’AS Saint-Etienne, avec le 9e titre de champion de France en 1976, le francilien est ensuite conquis par la Coupe du Monde 1978, avant d’assister aux premiers succès du Paris-Saint-Germain au Parc des Princes sous l’ère Borelli, qui deviendra par la suite son club de cœur.
Tombé dans le foot et le vélo dès l’enfance, Stéphane Mantey va alors se découvrir une appétence pour la photographie durant l’adolescence. Admirant son père derrière l’objectif, lui aussi veut s’essayer à l’exercice. Des emprunts de plus en plus réguliers de l’appareil argentique paternel le séduisent alors, jusqu’à recevoir en cadeau pour ses 15 ans un splendide Yashica. Rapidement, l’appareil devient son compagnon de route, l’expression de ses sentiments, cet objet fétiche par lequel il fige pour l’éternité ses proches sur le papier, capture des instants de sport ou d’amitié. Au fil des années, le francilien prend alors conscience du pouvoir de la photographie, de sa magie, mais aussi de ses talents en la matière. Si bien qu’au retour de son service militaire, sa décision est prise, il s’en va en faire son métier.
Dans un milieu aussi fermé, les places se vendent chères. Si faire de ses passions sa profession est un luxe, il va devoir se le payer. Alors il part à l’aventure, s’élance dans cette jungle en espérant en sortir la tête haute, et mener une vie précaire pour aboutir à une carrière heureuse. D’abord photographe en freelance, il officie le week-end sur les championnats nationaux et les circuits automobiles, avant d’aller parcourir le lundi matin les rédactions parisiennes, comme le groupe Hommell, proposant à chacun ses clichés, tel un marchand ambulant. Le souvenir des 6 jours de Bercy 1984 lui revient alors en tête, lorsqu’il s’était joué des services de sécurité pour se retrouver sur la piste, au milieu des photographes accrédités, à capturer ces moments qui lui étaient interdits.
Avant tout formé sur le terrain, Stéphane Mantey s’engage toutefois dans la voie universitaire, en quête de diplômes facilitant la recherche d’un emploi plus stable. C’est alors dans les murs de l’Ecole Louis Lumière qu’il se perfectionne, et parvient à intégrer par la suite les agences Mag Sports puis Sipa Sports, ancrant dès lors dans son CV son domaine de spécialisation. Son talent forgeant sa réputation, le parisien progresse alors chez DDPI Images quelques années plus tard, rejoignant-là le secteur football d’une agence majoritairement axée sur le sport automobile. Grimpant en prestige, escaladant la rude hiérarchie d’un système fortement lié aux accréditations, ses clichés tapent alors dans l’œil de la rédaction de L’Equipe, maîtresse en la matière, pour laquelle il travaille d’abord comme pigiste avant de devenir salarié en 2007.
Son statut aujourd’hui :
Là, il touche alors son rêve de jeunesse. Officiant sur les plus grandes épreuves sportives du monde, il devient l’œil de milliers de passionnés, offrant à la postérité des images marquantes de ce grands moments de compétition, gravant l’Histoire de célèbres clichés. Du glamour du Grand Prix de Monaco à la ferveur du Tour de France en passant par l’intensité de la Ligue des Champions, Stéphane Mantey parcourt alors le summum du sport pour l’illustrer, l’exhiber ou même le magnifier dans les journaux. Des photographies d’information du quotidien aux portraits artistiques du magazine, il se balade dans le panel des options, offrant à sa fonction une diversité plaisante, foisonnant de moments et de rencontres d’exceptions.
S’il foule majoritairement les pelouses de football, le parisien a cependant un faible pour la Petite Reine. Au cœur du peloton, les mouvements d’air créés par le passage de sa moto en font une cible idéale pour les attaquants, profitants de son sillon pour fausser compagnie à leurs adversaires. Par conséquent, s’il est généralement ignoré ailleurs, l’œil du photographe est ainsi scruté par les coureurs, livrant ainsi leurs émotions et expressions à l’objectif. Si les corps des acteurs parlent d’eux-mêmes, les regards des coureurs fournissent quant à eux une infinité de sentiments que même les mots ne peuvent décrire. A travers les pupilles, se lisent toutes les peines des cyclistes, luit leur rage et brille leur bravoure.
De sa dizaine de Grandes Boucles suivies, Stéphane Mantey a la tête pleine de souvenirs, mais de cette boîte à merveilles ressortent deux moments magiques. D’abord cette invraisemblable course de Christopher Froome dans le Mont Ventoux en 2016, maillot jaune sur le dos, délaissant son vélo pour user ses cales de chaussures sur le bitume. Dans cet incroyable chaos, entre foule hystérique, marée de motos et bric-à-brac de bicyclettes sur la chaussée, seul Stéphane Mantey se défait du marquage des régulateurs pour se retrouver au premier plan de ce moment de légende. L’adrénaline grimpe immédiatement, comme une hausse de mercure affolant un thermomètre, et le parisien s’applique alors à ancrer dans l’Histoire ces instants de pure folie.Christopher Froome à pied dans le Mont Ventoux en 2015 | © Stéphane Mantey
Trois ans plus tard, la scène est nettement moins comique, mais l’instant tout aussi important. Depuis la veille d’un 26 juillet 2019 dramatique, Thibaut Pinot souffre en secret, muscle du genou déchiré, espoirs de victoire envolés. Seuls quelques-uns sont dans la confidence, dont Stéphane Mantey. La consigne est très claire : marquer le franc-comtois à la culotte tout au long de la course. Les coureurs s’élancent à bon train, le peloton se réduit comme une peau de chagrin, ne laissant bientôt plus que les favoris entre eux, parmi lesquels le coureur de la Groupama-FDJ figure encore. Avant que le muscle ne lâche définitivement. Souffrant le martyr sur sa bicyclette, perdant définitivement toute chance d’atteindre un Graal à la quête duquel il s’est sacrifié, le haut-saônois s’engage dans un élan de bravoure, avant d’être raisonné par William Bonnet. En pleurs dans les bras de son équipier, Thibaut Pinot fend le cœur des français et émeut les étrangers. Depuis l’ère 2000 et les scandales de dopage à répétition, depuis le « boss » Armstrong puis l’hégémonie Sky, la Grande Boucle n’avait plus connu une telle vague de peine derrière un prétendant à la victoire finale. Et Stéphane Mantey était là pour le shooter. Infiniment triste dans la tête mais professionnel dans l’objectif. Pour graver dans l’Histoire ces grands moments d’émotions qui font la légende du Tour et forgent la carrière de ses champions.Thibaut Pinot réconforté par William Bonnet au moment de son abandon, au cours de la 19e étape du Tour de France 2019 | © Stéphane Mantey
Alors qu’il a offert son cliché à Christopher Froome, Stéphane Mantey a vu Thibaut Pinot reprendre ses images sur Instagram à l’occasion d’un communiqué. Si les contextes et les fins de ces instants sont différents, le premier remportant une semaine plus tard sa troisième Ronde de Juillet, le second la quittant l’année où il pouvait la remporter, tous deux ont su saisir leur importance et accepter qu’ils participent à leur mémoire. Et à travers son appareil, Stéphane Mantey en est un vecteur.
Par Jean-Guillaume Langrognet