Son sport, ce n’est pas le cyclisme mais la natation. Discipline idéale de préparation pour les uns, partie initiale des triathlons pour les autres, elle en a fait son métier pendant plus de 10 ans, portant haut sur les podiums le drapeau tricolore, malgré ses origines et son nom à consonnance roumaine. Spécialiste des épreuves de dos, elle s’est forgé une place au sein de l’élite mondiale de la matière, remportant au tournant des années 2000 l’or aux échelles mondiale et continentale, frôlant même le sacre olympique à Sydney. Contribuant à la gloire de la France en tant qu’athlète, elle essaie aujourd’hui de faire le bien politique de son pays, en apportant au gouvernement son expertise et son œil avisé de sportive retraitée. Nommée au Ministère des Sports depuis septembre 2018, elle fait actuellement face à une période particulièrement tumultueuse, entre scandales sexuels au sein de la Fédération Française des Sports de Glace et repos forcé pour les athlètes nationaux sur fond de crise de coronavirus. Voici donc le portrait d’une femme que le destin ne prédestinait pas au cyclisme, mais dont l’action s’en trouve désormais liée. Voici le portrait de Roxana Maracineanu.
 

Son parcours :

L’enfance de Roxana Maracineanu n’a pas été aussi rectiligne qu’une longueur de bassin. Au contraire, les pirouettes ont été nombreuses et fréquentes. D’abord dans des salles de gymnastique de Roumanie, puis entre les différentes frontières du monde et les résidences d’immigrés. A sa naissance en 1975, la jeune fille parait à des milliers de lieux des podiums mondiaux et du drapeau tricolore, à l’aube d’une enfance aux possibilités limitées et au devenir fermé, dans une position initiale incompatible avec un poste au conseil des ministres du gouvernement français 40 ans plus tard. Mais voilà, la vie est faite de surprises, de grandes déconvenues et d’immenses rebonds. Chez Roxana Maracineanu plus que chez les autres, elle fait parler son imprévisibilité, transportant les individus dans des états ou des lieux inimaginables quelques jours, mois ou années auparavant. Si la vie malmène certains, les plonge peu à peu ou soudainement dans des abîmes infernaux, elle a choisi d’orner d’une touche de merveilleux l’existence de cette jeune roumaine, aux dons encore bien cachés.

Ainsi, l’enfance morose de la native de Bucarest prend un premier tournant inattendu lorsque son père parvient à exiler sa famille en Algérie, au gré d’un contrat coopérant. S’ils sont gardés à l’œil par les services secrets roumains, ils parviennent à échapper à leur emprise en profitant des liens post-coloniaux entre l’état du Maghreb et la France pour fouler en 1984 le sol du pays des Lumières. Toutefois, si Roxana Maracineanu comptait peu dans le système soviétique roumain, piégée dans une société aux strates hermétiques, elle touche à son arrivée le fond de la valeur humaine. Perçue comme immigrée, étiquetée comme sans papiers, internée dans des camps de réfugiés, elle commence alors une très longue remontée de l’échelle sociale.

Si nombreux échouent dans cette épreuve herculéenne, rattrapés par les difficultés économiques et ostracisés du modèle éducatif, la nouvelle habitante de Blois puis de Mulhouse va compter sur un catalyseur commun à la Roumanie pour se hisser jusqu’aux salons de l’Elysée : le sport. Tel une perche sur laquelle s’appuyer pour franchir moultes obstacles et se hisser à des hauteurs célestes, celui-ci va bouleverser la vie de Roxana Maracineanu, changeant les regards, modifiant son image. En quelques années, la jeune fille passe du stade de la réfugiée roumaine au titre de championne française.

En effet, naturalisée française en 1991 à l’âge de 16 ans, c’est cette même année qu’elle glane ses premiers titres nationaux en catégorie élite. Accumulant les performances et les titres sur les épreuves de 100 mètres et 200 mètres dos lors des championnats suivants, elle s’impose rapidement dans le gotha des nageuses françaises, parvenant à faire de ce sport sa profession. Malheureusement, battue par sa rivale et compatriote Hélène Ricardo au plus mauvais moment, lors des championnats d’été et d’hiver 1995 et 1996, elle rate la sélection pour les Jeux Olympiques d’Atlanta, la première à laquelle elle pouvait prétendre dans sa jeune carrière de sportive de haut-niveau.

Qu’à cela ne tienne, cette déception la rend plus forte. Mise en confiance par deux médailles sur les championnats d’Europe 1997, elle se hisse sur le toit du monde l’année suivante à Perth en remportant l’épreuve de 200 mètres dos, réalisant par la même occasion l’exploit de devenir la première française championne du monde. Ce splendide clin d’œil au destin, alors qu’elle n’était encore qu’une immigrée 10 ans plus tôt, révèle alors la puissance sociale du sport, formidable roue de la fortune dans laquelle chacun peut prétendre au jackpot s’il possède le talent nécessaire, au contraire du système éducatif.

Ce sacre planétaire ouvre alors la période de grâce de Roxana Maracineanu. Mûre physiquement et suffisamment expérimentée, elle parvient alors à s’offrir régulièrement des consécrations majeures. Incontestable championne d’Europe sur le 200m dos en 1999 puis médaillée de bronze sur le 100 mètres, elle permet définitivement à son rêve olympique de devenir réalité en planant sur les championnats de France d’hiver 2000. Concentrant toute sa première partie de saison sur une préparation méticuleuse de la grande échéance de Sydney, elle se présente en Australie avec l’idée de réaliser l’exploit dans une discipline historiquement peu rémunératrice en médailles pour les français. Dès l’épreuve du 100 mètres dos, elle annonce la couleur en ratant de peu le podium, échouant à la 4e place. Quatre jours plus tard, la mulhousienne démarre fort sur le 200m, se détache de la meute avant de finir à la 2e place, seulement battue – nouvelle ironie de l’histoire – par une stratosphérique concurrente roumaine de 16 ans, Diana Mocanu, imbattable cette année-là. Médaillée d’argent, Roxana Maracineanu voit sa renommée médiatique décoller pour la seconde fois après son titre mondial, auréolée de gloire par la France, décorée de la Légion d’Honneur par le président Jacques Chirac en personne, bien loin de la noirceur de son enfance. Prise dans une spirale d’effervescence populaire et nationale, la native de Bucarest n’oublie pas pour autant qu’à peine 10 ans plus tôt, elle n’aurait même pas pu courir sous la bannière française.

Mais aussi grisant qu’il soit, le sport n’en reste pas moins cruel. Aussitôt la fête terminée, Roxana Maracineanu retourne plonger dans les bassins, sans jamais parvenir à retrouver une réussite équivalente à celle qui l’avait propulsé sur le podium olympique. Ecartée de la sélection des mondiaux 2001 de Fukuoka par le directeur de l’équipe de France Claude Fauquet en raison de performances insuffisantes, elle échoue également à retrouver les podiums aux championnats d’Europe de Berlin de 2002, n’y glanant que des accessits. Empêtrée dans le problème insolvable de la combinaison d’études et d’une carrière de sportive à haut-niveau, elle échoue à nouveau à se qualifier pour les mondiaux 2003 à Barcelone, en ne passant pas au-dessous du seuil des minimas établis par Claude Fourquet, en dépit d’un titre national sur le 200 mètres dos. L’année suivante, cette même règle drastique la prive d’une seconde olympiade à Athènes, où elle voit une jeune fan, Laure Manaudou, lui reprendre le relais de l’incarnation de la natation féminine française en triomphant sur l’épreuve du 400 mètres.

Annonçant sa retraite au mois d’octobre, Roxana Maracineanu peut immédiatement se projeter dans l’épreuve de la reconversion grâce à son cursus entamé quelques années plus tôt en maîtrise LEA Anglais / Allemand et à l’ESCP Europe, dont elle sort brillamment diplômée en 2005. Cependant, c’est tout d’abord en qualité de consultante qu’elle entame sa seconde vie, qui la voit à nouveau grimper là où elle aurait pu plonger. Au micro de France Télévision à partir des championnats du monde de Melbourne en 2007, elle voit progressivement son contrat se prolonger jusqu’en 2015, en ayant au passage l’honneur de commenter les Jeux Olympiques 2008 de Pékin et 2012 de Londres, avant d’être écartée par le succès de la paire Laure Manaudou – Philippe Lucas.

Mais pour la native de Bucarest, cette période correspond aussi à l’entame d’un nouveau projet professionnel, celui d’une carrière politique. Effectivement, élue conseillère régionale d’Ile de France de 2010 à 2015 en figurant sur la liste PS de Jean-Paul Huchon dans les Hauts-de-Seine, Roxana Maracineanu y concrétise un investissement dans les affaires publiques débuté en 2005 auprès de la Fondation du Sport puis en tant que candidate à la Fédération Française de Natation en 2015. C’est finalement en 2018 que tout bascule pour elle, lorsque le Premier Ministre Edouard Philippe la charge d’une mission interministérielle pour réfléchir aux moyens d’améliorer l’apprentissage de la nage aux enfants. Satisfaisante dans l’exercice, elle est alors nommée Ministre des Sports au mois d’octobre, succédant ainsi à Laura Flessel, démissionnaire. 

Son statut aujourd’hui :

Si Roxana Maracineanu a été une nageuse d’exception, portant enfin la France sur le toit du monde dans la discipline, son bilan ministériel ne jouit pas de la même réussite. En effet, sa découverte à l’occasion du Classico de mars 2019 des chants homophobes coutumiers des stades de football a eu de quoi douter de sa connaissance du sport dans sa globalité. Si la volonté de la native de Bucarest de sévir face à ces insultes devenues banales va évidemment dans le bon sens et mérite d’être salué, il apparaît cependant regrettable que la Ministre des Sports ne s’en soit aperçue qu’une fois nommée, pointant ainsi une méconnaissance du ballon rond.

En revanche, sa réaction à la suite des déclarations choc de l’ancienne patineuse Sarah Abitbol en février dernier a été particulièrement positive, puisque la championne du monde de Perth s’est empressée de condamner fermement l’omerta régnant au sein de la Fédération Française des Sports de Glace, et de faire pression contre son président Didier Gailhaguet, installé confortablement à sa tête depuis 1998. En parvenant à pousser ce dernier vers la sortie, Roxana Maracineanu a ainsi su faire preuve de courage contre un système solidement installé, ouvrant enfin la porte à un changement de pratiques.

Du côté du cyclisme, si l’action de la ministre s’est faite relativement rare, il faut tout de même relever le lancement du dispositif Savoir Rouler à Vélo le 17 avril 2019 aux côtés des Ministères de l’Intérieur et des Transports, ainsi que de la Fédération Française de Cyclisme. Cette mesure visant à généraliser l’apprentissage de la pratique du vélo en autonomie pour l’ensemble des enfants avant l’entrée au collège d’ici 2022, apparaît en effet fondamentale dans la mesure où la bicyclette pourrait devenir le transport de demain, dans un climat d’exigence impérative de baisse des émissions de CO2 et de construction massive de pistes cyclables. D’ailleurs, cette mission interministérielle a particulièrement motivé la présence de la native de Bucarest au départ de la 6e étape du Tour de France à Mulhouse en juillet dernier, retrouvant par la même occasion les terres de son enfance.

Enfin, si Roxana Maracineanu n’est évidemment pas la seule décideuse des mesures de confinement mises en place actuellement, ses déclarations sur l’autorisation des joggings tout en interdisant le vélo peuvent être remises en cause. En effet, pourquoi interdire la pratique du cyclisme tout en autorisant les joggings ? Pourquoi interdire un sport où les usagers sont naturellement espacés les uns des autres et autoriser une discipline où les runners n’hésitent pas à s’entasser et à se frôler dans les parcs ? S’il peut en effet sembler sage d’éviter d’engorger encore plus les hôpitaux après d’éventuelles chutes lors de sorties, il semble tout aussi aberrant de laisser encore de la place au sport en extérieur en cette période de confinement. A chacun de se montrer consciencieux et raisonnable afin d’endiguer le phénomène de propagation du virus !

Par Jean-Guillaume Langrognet