Sa silhouette longue et élancée, son visage rond et aux traits encore enfantins sont devenus familiers dans le monde du cyclisme tricolore. Journaliste diplômé, cycliste sur le tard, il a su se forger progressivement une place dans un milieu prisé par les ex-pédaleurs en reconversion. A la force d’un travail nourri d’une puissante passion, il est parvenu à acclimater l’audience de Stade 2 à sa voix douce et posée en bande-son de reportages d’exception. Si vous lui demandez, il n’est pas journaliste sportif. Non, simplement journaliste s’il vous plaît. Certes, il pratique assidument le triathlon et forge régulièrement ses mollets saillants de cyclistes. Certes, il concentre son activité professionnelle dans les zones mixtes des épreuves cyclistes et dans des émissions à vocation sportive. Mais son travail méticuleux, il le fait selon des méthodes universelles, n’oubliant jamais qu’il n’existe pas de cloisons entre les disciplines physiques et intellectuelles. Le sport n’est pas isolé du monde qui l’entoure, mais répond bien à une série d’enjeux touchant à de multiples domaines des sciences sociales. Le sport est chimique, économique, culturel, le sport est politique, sanitaire et philosophique. Et cela, il le met bien en lumière dans l’exercice d’un métier qu’il ne prend pas au sérieux, non pas d’une manière désinvolte, mais avec un enthousiasme qui ôte toute dimension de contrainte. Son portrait a ainsi pour objectif de rappeler que si les coureurs font la course et écrivent l’Histoire de leur discipline, ce ne sont pas eux qui la racontent et la rapportent. Le portrait du jour est ainsi consacré à un personnage fascinant qui sait systématiquement en extraire la beauté et l’émotion avec un soin tout particulier. Voici donc l’histoire de Nicolas Geay, journaliste pour France Télévisions.
Son parcours :
Au contraire de la majorité des figurants de cette rubrique, Nicolas Geay n’a pas grandi dans un environnement imprégné du parfum de la Petite Reine. Né à Compiègne en 1976, l’adolescent doit attendre l’année de son bac pour découvrir les joies du vélo. Trop tard pour passer pro. Alors il s’engage dans un sentier détourné dans l’idée de retrouver au prochain carrefour la route du cyclisme, et ses rêves de Tour de France. Ainsi, élève travailleur et garçon cultivé, Nicolas Geay s’engage dans un chemin de croix de labeur au cours de l’année clé de la fin du lycée. En parallèle des cours, le picard se prépare assidument au concours de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, dont il s’ouvre brillamment l’entrée. Un premier col de passé pour une vie bien lancée. Bille en tête, le jeune homme est toutefois incité à s’égarer par un incessant « journalisme-bashing » fort désagréable. Les désagréments d’un stage au Ministère des Sports lui remettent vite les idées au clair, et la machine est relancée. Le voilà désormais à l’assaut de la deuxième difficulté du parcours, l’école de journalisme de Strasbourg (CUEJ). Si la discipline y est naturellement bien acceptée, c’est dans ses aspirations à s’engager dans sa déclinaison sportive qu’il rencontre les pourcentages les plus sévères. Dédaigné, méprisé et délaissé, cet itinéraire glissant est pourtant celui où il décide à étrenner ses boyaux. Une fois le diplôme glané, la descente vers la vallée de la vie active l’amène dans les rues de la capitale, au sein de la rédaction de Stade 2. Dès lors, son goût pour les reportages de grande qualité commence à s’affirmer. Au pied du mur, Nicolas Geay se présente déjà au moment charnière de sa carrière, alors qu’elle ne fait que commencer. Faire ses preuves, coûte que coûte, pour hisser la tête hors de l’eau, se sortir de la précarité de ses CDD et vacations à répétition. Dans le monde des années 2000, chaque carrière de journaliste comme par cette épreuve cruelle et tragique, où chacun doit montrer le maillot pour se faire repérer. Or, après un tour chez France 3 Régions et un passage chez Télématin, le compiégnois se fait rapidement remarquer pour ses qualités intrinsèques dans la matière. Son art du reportage et sa conscience du métier lui offrent le prix de la combativité : la stabilité, dans le service de ses rêves : les sports. En 2005, il reçoit même le luxe d’une spécialisation dans le cyclisme, enlaçant à nouveau la Petite Reine avec toute l’envergure de ses grands bras. Un an plus tard, le voilà d’ailleurs propulsé dans l’effervescence de sa première Grande Boucle, entre profession et émerveillement. Cette année-là, Floyd Landis remporte l’épreuve, avant d’être contrôlé positif à la testostérone.Extrait de la fameuse interview de Floyd Landis par Nicolas Geay | © France 2
Or, en vélo comme dans la vie, le talent ne fait jamais rien seul. Tous les champions peuvent compter sur un zeste de chance dans leur carrière. Et c’est le cas de Nicolas Geay. A 30 ans, le picard se dégote le premier entretien de l’américain depuis cette annonce fracassante. Un scoop international, qui fait résonner son nom aux quatre coins de la planète. Son « pouvez-vous me dire les yeux dans les yeux que vous n’avez pas pris de testostérone » restera quant à lui légendaire. L’interview ne manque pas de marquer les esprits, et France 2 n’oublie pas d’envoyer un contrat à son nouveau journaliste dans les mois suivants.
Porté par ce formidable coup de projecteur, lui restant ordinairement dans l’ombre, Nicolas Geay devient coutumier des affaires de dopages, enquêtant dans les antres du cyclisme, se plongeant dans les mécanismes qui gangrènent le sport. Alors intervient un second coup de tonnerre, aussi foudroyant que le premier, et initié par le même diable : Floyd Landis, encore lui. Ostracisé du monde du vélo, l’étasunien joue le justicier déchu. Au micro du compiégnois et devant la caméra de France TV, il se lance alors dans une vaste dénonciation du système Armstrong, des multitudes de transfusions sanguines effectuées chaque matin dans le bus de l’US Postal, lui, l’ancien équipier du « boss ». Evidemment, l’affaire est retentissante, le scandale ne manque pas de bouleverser l’univers du cyclisme. Et Nicolas Geay en sort encore promu.
Mais dans l’obscurité des rédactions, l’oisien remet encore une dent à son dérailleur et poursuit son ascension de la pente de la renommée à une allure effrénée, si bien que ses reportages à succès se font légions. En 2014, il fait à nouveau parler de lui lors de la diffusion de son reportage choc sur les Springboks de Nelson Mandela et d’Invictus, dévoilant la face sombre de la belle histoire. Dans les vestiaires du succès, il raconte les pratiques de la honte, celles des seringues et des substances illicites. Ce chef d’œuvre d’enquête se fraye un chemin jusqu’aux oreilles du jury du prix Albert Londres, mais manque d’y être nommé. Peut-être pénalisé par sa dimension sportive… Suivent alors des reportages sur le système Blatter à la FIFA ou la mort de Marco Pantani, ainsi que moultes portraits poétiques et émotifs des figures fascinantes et inspirantes composant la mélodie des courses d’aujourd’hui. Christopher Froome dans la savane sud-africaine, Nairo Quintana sur les pics des Andes, Thibaut Pinot dans la campagne reculée de Franche-Comté… Pour chacun, Nicolas Geay manie à la perfection l’art de la narration, trouve continuellement les mots justes pour raconter avec sincérité et humilité la vie quotidienne de ces héros populaires. Effectivement, depuis son entretien fracassant avec Floyd Landis, le journaliste dispose d’un accès privilégié à l’intimité des champions, et ne manque pas de partager ce rare privilège avec l’audience de Stade 2, qu’il s’évertue à maintenir en dépit du déclin d’intérêt de l’émission. Parti du bas de l’échelle, le compiégnois est désormais devenu un gage de qualité et ses services sont réputés. Un reportage et sa voix en bande sonore incitent vivement à regarder.
Son statut aujourd’hui :
A ce titre, Nicolas Geay s’est même vu remettre l’année passée le prestigieux Micro d’Or en catégorie Handisport par l’Union des Journalistes de Sport en France (UJSF), à la suite de son portrait d’Adrien Costa, ancien espoir franco-américain au destin tragiquement brisé par un accident d’escalade et une jambe amputée. Si le reportage décrit parfaitement les bouleversements associés à un tel incident à la reconstruction d’une nouvelle vie pour le jeune homme, il ne tombe jamais dans l’écueil du pathos pour attendrir son audience.
En outre, le picard est tout aussi réputé pour son activité sur les épreuves retransmises par France Télévision, à l’instar de Paris-Roubaix, du Critérium du Dauphiné, et surtout du Tour de France. Précédemment sur une moto-son à l’arrière du peloton, Nicolas Geay effectue désormais les interviews d’avant et d’après course, recevant ainsi l’honneur de recueillir le premier les impressions du vainqueur. De plus, la législation empêchant les salariés du service public de travailler sept jours d’affilée au cours d’une même semaine, l’oisien goûte chaque année à sa journée de commentaires de la Grande Boucle en remplacement du commentateur de cabine, savourant chaque instant de ce véritable luxe.
De surcroît, si l’on a découvert Nicolas Geay comme reporter puis apprécié comme commentateur, l’automne dernier nous a donné l’occasion de le connaître au prisme de ses talents d’auteurs, avec la sortie de son ouvrage Col de Légendes aux éditions Amphora. Si ce livre est marqué par sa passion pour ces monuments du cyclisme, il est aussi accompagné de nombreux témoignages de coureurs renommés les ayant grimpés, preuve de sa proximité avec nombre d’acteurs du vélo.Le livre Col de Légendes de Nicolas Geay | © Editions Amphora
Enfin, si Nicolas Geay est un journaliste spécialisé dans le sport, il est aussi un sportif assidu, un pédaleur tumultueux et un triathlète courageux. En mesure d’accompagner Thomas Voeckler ou Marion Rousse – tous deux anciens champions de France – lors des reconnaissances des cols empruntés par la Grande Boucle, le natif de Compiègne dévoile ainsi une forme physique impressionnante, à 40 ans révolus. Enfilant les participations à des half-ironman comme des perles sur un collier, Nicolas Geay découvre ainsi les sacrifices requis par le haut niveau et la nécessité d’un entraînement régulier, tout comme la souffrance tailladant les jambes au cœur de l’effort. Ainsi averti de ces aspects physiques et psychologiques, il échappe ainsi au péril des critiques gratuites et infondées, préférant toujours féliciter que déprécier. Par conséquent, s’il n’est pas coutumier des grandes envolées ou des élans d’euphorie que peut connaître Alexandre Pasteur, on aimerait le voir un jour succéder au franc-comtois aux commentaires du Tour, son ton élégant et bienveillant étant gage de qualité.
Par Jean-Guillaume Langrognet