Il est aux manettes du géant planétaire de la grande distribution d’articles de sport, d’un véritable goliath commercial regroupant l’ensemble des disciplines physiques pratiquées. Ecrasant les particuliers, roulant sur la concurrence, cette multinationale s’est imposée avec une autorité de fer au sommet du marché concerné. Véritable ambassadrice des moins aisés, elle a fait de ses rayons les étendards du sport à petit prix, ouvert et accessible à tous. Pour les cyclistes, qu’ils parcourent les routes, les chemins ou les pistes, elle s’est efforcée de proposer une revue à la baisse des coûts, rendant au moyen de produits d’entrée de gamme la Petite Reine à son milieu d’origine : les classes populaires. Ainsi, ce dimanche, portrait du self-made-man qui en est à la tête, portrait de Michel Aballea, Directeur Général de Décathlon.Michel Aballea | © Inde en Marche
Son parcours :
Il a beau diriger le groupe régnant globalement de la grande distribution d’articles de sport, il a beau gérer quotidiennement des milliers de salariés et de magasins, il a beau connaître parfaitement le marché extérieur aux frontières françaises, Michel Aballea n’est pas un PDG comme les autres. Prenant les racines de son ascension loin des couloirs bourgeois d’une prestigieuse école de commerce, ce quarantenaire commence sa carrière au bas de l’échelle, comme tous ses collègues et collaborateurs au sein du groupe possédé majoritairement par la famille Mulliez. Embauché dans une boutique brestoise dans les années 80, il progresse peu à peu en niveau de responsabilités. D’abord promu chef de rayon, il accède par la suite à la fonction de responsable de magasin sous l’effet de son professionnalisme, de la qualité de ses conseils ainsi que ses dons pour la gestion financière à petite échelle.
Surtout, Michel Aballea possède un sens de l’innovation, de la création éternelle, partageant l’idée d’un progrès incessable des équipements sportifs. Encerclé par la mer au sein de cette pointe de terre qu’est le Finistère, il est un jour illuminé par la possibilité de mettre au jour sa propre marque de matériel aquatique, qu’il intitule Tribord. Celle-ci intègre alors par la suite la collection « Passion » de Décathlon, balbutiement de la mise en vente des premiers produits fabriqués par l’enseigne. D’ailleurs, remarqué pour son initiative, Michel Aballea se voit confier de 1997 à 2007 la direction du développement des articles et des marques « made in Decathlon » sur le plan international, dépassant ainsi l’activité élémentaire de distribution de la corporation basée à Villeneuve d’Ascq. Voyant exploser durant cette décennie le nombre de composants des « marques Passions », de quelques unités à plusieurs dizaines, le breton est récompensé de sa réussite en étant l’un des émissaires de la conquête Décathlon sur de nouveaux continents. Un temps pressenti sur le marché chinois, il est finalement envoyé en Inde, où il ouvre la première boutique de l’enseigne fondée en 1976, sous la forme d’un « cash and carry ». Foudroyé par le succès, il est alors à l’origine d’un développement florissant des magasins du groupe Oxylane en une poignée d’années dans le pays de Gandhi. En effet, d’une feuille vierge à son arrivé, il quitte la nation indienne en 2015, peuplée d’une quarantaine de boutiques réparties dans une trentaine de villes, fortes d’environ 2 500 passionnés.
De retour en France, il atteint le sommet de la pyramide Décathlon, plus de trente années après en être parti de la base. Annoncé par l’historique directeur général de l’entreprise, Yves Claude, comme son successeur à la tête du groupe, il entame une longue transition d’une année avant d’en prendre seul les rênes, laissant à son prédécesseur la charge du développement de la corporation en Asie du Sud-Est. De simple équipier, Michel Aballea s’est désormais transformé en véritable leader.
Son statut aujourd’hui :
Quatre ans après son accession au pouvoir, le bilan de Michel Aballea est mitigé. Si les ventes à l’international ont poursuivi leur impressionnante croissance, l’enseigne a en revanche connu un coup d’arrêt en 2018 sur le marché français. La réorganisation des rayons par disciplines au cours de cette année ainsi que l’explosion des sports traités a quelque peu désorienté les clients de la marque, peu enclins à un professionnalisme aussi pointu. De plus, les idées de management horizontal de Michel Aballea, faisant du breton l’un des 5 PDG de grandes entreprises français les plus appréciés par leurs employés, n’ont pas été récompensées de leur générosité. La décision de confier à chaque magasin un projet singulier, tentant d’appréhender au mieux le public concerné pour en initier le plus grand nombre aux joies du sport, n’a pas obtenu les résultats escomptés. Ainsi, si le chiffre d’affaire global de la marque française poursuit son incroyable hausse, dépassant désormais les 11,3 milliards d’euros annuels, le résultat net a quant à lui été revu à la baisse sur l’exercice 2018, passant de 610 à 497 millions d’euros. Une statistique qui ne semble pas inquiéter du côté de la direction du groupe, où Michel Aballea assure que les effets pervers de la réorganisation ont été prévu en amont.Vélo Van Rysel au salon Vélofolies 2019 | © Vélo 101
Du côté plus spécifique du cyclisme, Décathlon s’est affirmée comme la marque privilégiée des débutants, et en particulier des enfants. Avec Rockrider pour le VTT, et Van Rysel voire B’twin pour la route, l’enseigne nordiste se place pour chaque discipline en entrée de gamme, loin des prix exorbitants des machines de fabricants plus prestigieux. Les vélos Décathlon ont d’ailleurs longtemps été une des figures de proues dans la communication de l’enseigne, afin de contourner astucieusement l’interdiction de publicité touchant les grandes surfaces. Sur la route, celle-ci s’est notamment mise en valeur avec la signature s’un partenariat avec la formation AG2R Prévoyance de Vincent Lavenu entre les saisons 2000 et 2007, avec Décathlon Cycles puis B’twin. Toutefois, en dépit de cette expérience d’équipementier de haut-niveau, la corporation ne parvient pas à se détacher de l’image d’un matériel peu qualitatif, même si cet abaissement de coût a permis de démocratiser la discipline chez les jeunes. Changer de réputation en la matière revient donc aujourd’hui à la toute jeune marque Van Rysel, lancée à l’hiver dernier, et étrennée dans les pelotons amateurs par les équipes U19 Team B’twin et AG2R la Mondiale.L’équipe AG2R La Mondiale U19, parrainée par les marques de cycles Décathlon | © AG2R La Mondiale U19
Surtout, Décathlon représente aujourd’hui 3 millions de vélos vendus chaque année en France, en particulier dans les segments de jeunes. Si cette posture d’ambassadeur de cycles auprès des enfants fait la fierté de l’enseigne, celle-ci a également fait son entrée dans le monde des amateurs confirmés en signant un partenariat avec Alltricks, la start-up de distribution au détail d’articles en ligne de Gary Anssens. De quoi asseoir incontestablement la place de Michel Aballea dans cette rubrique.
Par Jean-Guillaume Langrognet