Elle est la première à offrir au Tour de France une voix féminine. Depuis 1958 et la première retransmission en direct de la Grande Boucle, à l’occasion du l’ascension du col d’Aubisque, les commentaires de la Ronde de Juillet s’étaient toujours prononcés avec une voix grave. De Robert Chapatte à Thierry Adam en passant par Léon Zitrone, le Tour avait été exclusivement masculin. A l’heure où le cyclisme féminin est en pleine expansion, s’arrogeant chaque année un peu plus de droits d’antennes et convaincant un nombre croissant de jeunes filles de souscrire à leur première licence, cette pionnière du commentaire ouvre donc la voie à un peu plus d’inclusivité dans un univers longtemps réservé aux hommes. Il faut dire que l’heureuse élue n’a pas été sélectionnée par hasard. Biberonnée au vélo et grandissant sous le regard bienveillant de la Petite Reine, il s’est vite attelé à battre à la pédale de nombreux garçons avant de faire retentir la Marseillaise sur le podium des championnats nationaux. Malgré cet indéniable talent, hérité de gènes familiaux, son éclosion précoce concordait encore avec une période où faire carrière dans le cyclisme féminin n’était pas synonyme de sérénité pour l’avenir. Ainsi, la douceur de sa voix, sa compassion pour les coureurs et la justesse de ses analyses en ont fait une consultante hors-pair, vite propulsée dans le grand cirque du Tour de France. Portrait de la star montante du commentaire cycliste, portrait de Marion Rousse.Marion Rousse, consultante de luxe pour France Télévision et Eurosport | © Marion Rousse
Son parcours :
Comme évoqué précédemment, Marion Rousse ne peut pas échapper à une chute retentissante dans la marmite du vélo dès sa plus jeune enfance. Fille d’un coureur amateur de première catégorie, cousine de David Lefèvre, Laurent Lefèvre et Olivier Bonnaire, tous trois coureurs professionnels, la petite ch’ti grandit également dans un environnement pleinement embaumé de la ferveur du cyclisme, entre pavés de Roubaix et monts des Flandres. Entraînée chaque été sur la route du Tour par ses parents et rapidement accroc à la Ronde de Juillet, la native de Saint-Saulve voit très tôt sa vie être irrésistiblement liée avec la Petite Reine. Ainsi, dès l’âge de 6 ans, alors qu’elle est encore haute comme trois pommes, la nordiste se lasse de se contenter des retransmission, désirant passer à l’action. Bille en tête, elle compte alors sur sa mère pour pousser la porte de UV Fourmies et y acquérir sa première licence, lui permettant ainsi de s’aligner sur ses premières compétitions.
Très vite, la jeune fille se forge sa place dans ce milieu d’hommes, et s’amuse même à distancer ses concurrents garçons à la première occasion. Habituée depuis sa naissance à vivre le vélo à 101%, elle s’intègre avec facilité dans un environnement particulièrement familier à ses yeux. Progressivement, la Petite Reine commence à occuper une place prépondérante dans le quotidien de Marion Rousse, et ses parents se mobilisent pour l’accompagner continuellement par-delà les frontières de son département et de son pays. D’une séance d’entraînement par semaine accompagnée de la course du week-end, la nordiste accentue au fil des années la charge de travail, en parallèle de l’explosion de son palmarès. Ainsi, la famille Rousse multiplie les déplacements et les voyages pour accompagner leur championne en herbe se frotter à la concurrence des kermesses belges mais aussi effectuer des séances de vélocité au vélodrome de Gand. Si les kilomètres au compteur du vélo défilent, les pleins du réservoir de la voiture se multiplient également, sans que le poids des sacrifices ne se fassent toutefois ressentir.
De toute manière, la jeune Marion donne rapidement raison à ses parents de l’avoir conforté dans la voie de la bicyclette. Sélectionnée au sein de l’équipe de France alors qu’elle n’est encore qu’en cadette, elle commence alors à s’entraîner avec l’élite de sa génération, bénéficiant d’un suivi et de conseils de grande qualité. Le cap de la majorité à peine passé, la voilà déjà un stylo en main pour signer en 2011 son premier contrat professionnel au sein de la formation Vienne Futuroscope, acquérant ainsi un statut faisant encore figure de luxe dans le monde du cyclisme féminin. La confirmation ne tarde pas. En effet, la nordiste se montre aérienne sur la Ronde de Bourgogne et se paie le scalp au classement général de la future triple championne d’Italie sur route Elena Cecchini. La saison suivante est déjà celle de la révélation. En effet, alors qu’elle n’a pour objectif que de se mettre au service de ses leaders sur les championnats de France de Saint-Amand-les-Eaux, la jeune grimpeuse s’échappe à deux tours de l’arrivée en compagnie de Julie Krasniak, avant de régler cette dernière au sprint grâce à son surplus de pointe de vitesse. Vainqueur inespérée, Marion Rousse attire alors grâce à ses liserés tricolores le regard des grosses cylindrées de l’élite féminine. Dès l’hiver, la nordiste franchit à nouveau la frontière belge pour revêtir le maillot du Team Lotto-Belisol Ladies, formation sœur de l’équipe masculine du même nom, et pionnière dans la discipline.Marion Rousse lors de son titre national en 2012
Continuellement en soutien des cadors de son écurie, Marion Rousse peine alors à jouer sa carte personnelle, et s’enferme progressivement dans son rôle d’équipière. En 2013, seule une huitième place au classement général des jeunes sur la Route de France en fin de saison lui offre l’occasion d’une apparition dans le top 10 d’une course majeure. Pourtant, c’est paradoxalement à cette période-là que la carrière de la ch’ti décolle, en quittant momentanément les pelotons pour rejoindre les plateaux de télévision.
En effet, première invitée féminine de l’émission cycliste d’Eurosport Les Rois de la Pédale à la suite de son titre national en 2012, Marion Rousse en séduit le présentateur Guillaume Di Grazia, qui l’enjoint de devenir consultante en septembre 2013 sur la Vuelta. Une nouvelle fois, la Saint-Saulvienne fait figure de pionnière. Comme elle l’explique a posteriori à Ouest France en juillet 2018, « une fille qui commentait le cyclisme masculin, ça ne s’était jamais vu ». Grâce à Marion Rousse, cela est devenu possible. Ses interventions à l’antenne se multiplient, sur les plateaux comme en cabine de commentaires, jusqu’à mettre à mal sa carrière de cycliste professionnelle. A l’heure du choix, la nordiste se retrouve alors tiraillé entre deux horizons ayant en commun leur lien avec la Petite Reine, mais aux activités radicalement différentes. Pédaler ou commenter. Considérant le succès de sa voix, la jeune femme choisit alors la seconde voie. Bien lui en prend.
Brillant par sa discrétion et complétant à merveille les dires de Jacky Durand et les commentaires d’Alexandre Pasteur, Marion Rousse se distingue rapidement par une discrétion appréciable dans le métier et une (re)connaissance implacable des coureurs du peloton, qu’elle fréquente au quotidien. Bienveillante à leur égard et s’attachant à souligner régulièrement leur mérite, elle excelle par son humanité au sujet de l’un des sports les plus durs physiquement. Après un premier essai amplement réussi sur la Grande Boucle en 2016 au micro d’Eurosport, elle est appelée par le service public pour rejoindre les antennes de France Télévision en compagnie de son compère et ami Alexandre Pasteur. Trois ans plus tard, sa renommée n’en finit plus de croître, symbole d’une réussite éclatante dans un exercice dans lequel elle a su trouver ses marques.
Son statut aujourd’hui :
En effet, Marion Rousse est aujourd’hui une tête d’affiche du dispositif de France TV Sport, intervenant systématiquement lors des retransmissions d’épreuves cyclistes masculines, mais aussi à quelques reprises sur les plateaux de Stade 2 ou de Vélo Club en période de Tour de France. A l’antenne, le trio qu’elle forme avec Alexandre Pasteur et Laurent Jalabert a largement su séduire son audience, effaçant ainsi les critiques récurrentes à l’adresse de Thierry Adam. Plus discrète que ses deux collègues, ses prises de paroles sont toujours pertinentes et illustrent admirablement sa pratique et son suivi assidu du cyclisme. Excellant en reconnaissance dans les vues d’hélicoptères, elle séduit aussi par son positivisme, s’efforçant continuellement de souligner le mérite des coureurs dans une discipline où la douleur des jambes réfrène de manière récurrente les désirs d’offensives. Si la nordiste se montrait parfois timide ou timorée dans ses interventions au cours de ses débuts dans la profession, elle a progressivement su s’affirmer avec mesure pour se placer dans le registre idéal de prises de parole. A ce titre, sa justesse dans l’exercice a conduit Eurosport à la rappeler en septembre dernier pour commenter à nouveau les ascensions endiablées de la Vuelta en compagnie de ses compagnons initiaux, dans une ambiance plus détendue que sur le service public.
De plus, Marion Rousse est également devenue la spécialiste pour France TV des courses féminines, dont les retransmissions en direct se développent doucement mais sûrement. D’ailleurs, si elle s’est retirée des pelotons, sa posture lui permet d’être une ambassadrice idéale et exemplaire de ce sport en pleine expansion, faisant figure de modèle pour des milliers de jeunes filles attirées par le monde de la Petite Reine. Alors que la France est en retard sur des nations comme la Belgique ou les Pays-Bas, surclassant actuellement la concurrence sur les épreuves du Women World Tour, la nordiste est une actrice majeure de l’avancée s’effectuant dans ce domaine à l’intérieur des frontières de l’hexagone.
En outre, directrice adjointe du Tour de la Provence depuis l’année dernière, la Saint-Saulvienne n’a mis qu’un an, avec son collègue Jean-Maurice Courtade, à proposer aux coureurs et téléspectateurs un spectacle digne d’intérêt, en introduisant notamment au menu une ascension du Mont-Ventoux jusqu’au Chalet Reynard, s’arrogeant de la sorte un plateau relevé, avec Thibaut Pinot et Nairo Quintana en têtes d’affiche ! Cependant, la médiatisation de l’épreuve a été mise à mal par une diffusion en différé sur la chaîne L’Equipe, n’offrant pas la même saveur que l’excitation du direct. Un changement est donc vivement espéré pour la saison 2021 !
Alors que la jeune femme prend encore plaisir à chevaucher son vélo de temps à autre, c’est bien cette combinaison d’activités médiatiques florissantes et de responsabilités organisationnelles naissantes qui compose aujourd’hui sa vie professionnelle. Lauréate du prix de la reconversion à La Toussuire en début d’année, succédant ainsi au footballeur Bixente Lizarazu, Marion Rousse a parfaitement du gérer ce passage anticipé de la bicyclette à ses domaines liés. Au terme de cette période privée de toute épreuve cycliste, entendre à nouveau sa voix aura un goût tout particulier, symbole du retour d’une passion.
Par Jean-Guillaume Langrognet